Dynamique de la filière du lait de chamelle au Niger: Opportunités et défis pour un développement durable

Auteurs-es

  • Maman Sanoussi LAWALI MAMAN Département de Sociologie et Economie Rurales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger https://orcid.org/0000-0002-9649-5532
  • Christian CORNIAUX CIRAD, INRAE, Institut Agronomique, Montpellier, SELMET, Université de Montpellier, France https://orcid.org/0000-0002-0046-5989
  • Mahamadou ALI Département de Sociologie et Economie Rurales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger
  • Véronique ALARY CIRAD, INRAE, Institut Agronomique, Montpellier, SELMET, Université de Montpellier, France https://orcid.org/0000-0003-4844-5423
  • Maman Laouali ADAMOU IBRAHIM Département de Biologie, Faculté des Sciences et Techniques, Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger https://orcid.org/0009-0006-4554-8012
  • Hamani MARICHATOU Département de Productions Animales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger

DOI :

https://doi.org/10.5281/zenodo.15595993

Mots-clés :

Organisation, circuit de collecte du lait de chamelle, prix, stratégie, contractualisation, coordination

Résumé

Cette étude explore la dynamique en pleine mutation de la filière du lait de chamelle dans le bassin d’approvisionnement de la ville de Tahoua. Un total de 137 acteurs clés dont 88 éleveurs, 28 collecteurs du lait et 21 points de vente ont été enquêtés. Entre 2011 et 2024, le nombre de collecteurs est passé de 1 à 56 et celui des points de vente de 1 à 32 au cours de la même période, traduisant une structuration progressive de la filière. Cette évolution a contribué à faire passer les volumes journaliers de lait livrés à la ville de 85 litres à 793 litres. Pourtant, cette croissance de l’offre reste en deçà d’une demande urbaine toujours croissante, sans incidence sur le prix de vente au consommateur, resté fixe à 1000 FCFA/litre (1,5 Euros) depuis 2013. La fluctuation des prix est observée principalement entre les producteurs et les collecteurs. La chaîne repose largement sur des contrats oraux et des relations de confiance ancrées dans les liens familiaux et ethniques. Face aux multiples contraintes techniques, organisationnelles et logistiques, les acteurs déploient des stratégies d’adaptation qui assurent une certaine résilience du système et permettent de maintenir l’approvisionnement de la ville en lait de chamelle.

Mots clés: Organisation, circuit de collecte du lait de chamelle, prix, stratégie, contractualisation, coordination

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INTRODUCTION

Au Niger, la population de dromadaires a connu une croissance rapide entre 1980 et 2021, passant de 391 000 à 1 882 961 têtes en trois décennies (Institut National de la Statistique, 2010; 2022). Ces dernières années, avec l’expansion des villes et la croissance démographique, l’élevage périurbain de dromadaires a émergé comme une alternative stratégique pour répondre à la demande croissante en produits laitiers dans les centres urbains (Faye, 2019; Faye et al., 2004). Parmi toutes les productions animales camelines, le lait de chamelle constitue une des ressources clés pour les communautés pastorales et agro-pastorales du Niger. Contrairement à la vente d’animaux vivants, plus occasionnelle, la vente de lait de chamelle est une source de revenus importante pour les éleveurs, leur permettant de satisfaire leurs besoins quotidiens en nourriture et en santé, tout en réduisant la vente de petits animaux tels que les ruminants au sein de leurs troupeaux (Koré, 2013).

Dans le bassin d’approvisionnement de Tahoua, notre zone d’étude, l’année 2013-2014 a marqué le début de la commercialisation à grande échelle du lait de chamelle, sous l’impulsion du développement de l’élevage camelin périurbain et de l’émergence de systèmes de collecte et de commercialisation soutenus par la Netherlands Development Organization (SNV) et les acteurs locaux (Lawali Maman et al., 2025). Cette émergence récente de nombreux systèmes artisanaux ou semi-industriels de collecte du lait de brousse constitue un espoir pour l’élevage local (Dia et al., 2009). Cependant, malgré les améliorations constatées dans les chaînes d’approvisionnement en lait dans plusieurs pays africains, particulièrement pour le lait de vache (Corniaux et al., 2014), au Niger les acteurs de la filière du lait de chamelle font face à d’énormes difficultés techniques et organisationnelles affectant leur capacités à satisfaire la demande locale. Face à cette situation, il est nécessaire de s’interroger sur l’organisation de la filière et les facteurs influençant leur durabilité. A cet effet, cet étude met l’accent sur la production actuelle du lait de chamelle et l’évolution temporelle des systèmes de collecte et de commercialisation en restant concentré sur les caractéristiques, les interactions et les stratégies des acteurs impliqués, l’offre et la demande face aux incertitudes, et la durabilité de la chaîne d’approvisionnement.

MÉTHODOLOGIE

Zone d’étude

La zone d’étude est le bassin d’approvisionnement de la ville de Tahoua au Niger située entre le 5° 02’’ et 5°23’ de longitude Est et le 14°45 et le 15°01’ de latitude Nord (Figure 1). Le bassin se situe dans la zone sahélienne, entre les isohyètes de 300 et 400 mm de précipitations annuelles (Hauswirth et al., 2020). Le climat est de type sahélien caractérisé par la succession d’une saison sèche d’octobre à mi-juin et d’une saison pluvieuse de mi-juin à septembre. La partie nord de la zone d’étude marque la limite nord des cultures définie par la loi de 1961. Cependant, l’Agriculture a franchi cette limite, atteignant la zone pastorale. Selon une étude cartographique d’occupation des terres de 1975 à 2013, les zones de cultures ont augmenté de 28 639 hectares (ha) en 1975 à 64 010 ha en 2013 soit une progression de 123,5% par rapport à l’année 1975. Les ligneux bas représentaient 23 786 ha en 1975 et 18 513 ha en 2013 soit une régression de 28% par rapport à 1975. En même temps les plateaux, les koris et les sols nus progressent respectivement chaque année de 177 ha, 196 ha et 249 ha.

Le milieu humain se caractérise par une population en forte croissance. Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2012, la ville de Tahoua comptait 149498 habitants (Direction Régionale de l’Institut National de la Statistique, 2022). Cette population a atteint 230 805 habitants en 2024 répartis dans les deux arrondissements communaux 1 et 2, avec un taux d’accroissement inter censitaire annuel moyen de 4,2% (Institut National de la Statistique). Les principales activités socio-économiques de la zone sont l’agriculture, l’élevage et le commerce.

Le bassin d’approvisionnement a été délimité sur la base de la définition officielle (Ministère de l’Agriculture et de l'Élevage, 2020) qui considère le bassin comme une zone constituée par l’ensemble des unités de production de lait à partir desquelles une ville est approvisionnée. Les sites (Figure 1) sont des lieux où sont installés les éleveurs qui peuvent être des campements pour les transhumants et les nomades ou des villages pour les sédentaires. La collecte et le transport du lait de chamelle se font exclusivement dans un rayon de 35 km dans de cette zone. Un total de 28 sites a été identifié répartis entre 3 communes rurales et deux arrondissements communaux formant la ville de Tahoua (Tahoua 1 et Tahoua 2). La majorité des sites se trouve dans les deux arrondissements communaux (14 sites) et dans la commune rurale de Kalfou (10 sites). Les éleveurs, en grande partie installés dans les vallées entourant la ville, bénéficient de ressources naturelles relativement riches, notamment en espèces ligneuses.

Échantillonnage

L’enquête a concerné un total de 137 acteurs, dont 88 éleveurs chameliers, 21 points de vente sur les 32 recensés et 28 collecteurs sur les 56 couvrant le bassin laitier (Tableau 1). Ces acteurs reflètent les principaux acteurs de la chaîne d’approvisionnement du lait de chamelle dans la zone étudiée. Les éleveurs ont été sélectionnés selon la méthode de boule de neige (Goodman, 1961). Pour les collecteurs, un échantillon de 28 collecteurs soit 50% de la population cible ont été aléatoirement choisis.

En ce qui est des points de vente, un géoréférencement exclusif a été préalablement effectué dans la ville de Tahoua (Figure 2). Il était prévu d’interviewer tous les 32 identifiés, mais 21 ont accepté de répondre aux questions.

Méthodes de collecte des données

La collecte des données a été réalisée à l'aide de questionnaires spécifiques à chaque catégorie d'acteurs de la filière. Pour les éleveurs, les questions portaient sur la composition du troupeau, le nombre de chamelles en production, les pratiques et les paramètres de production laitière ainsi que les difficultés liées à la production. Pour les collecteurs, l'enquête a porté sur les volumes collectés, les itinéraires et les fréquences de collecte, les relations et les stratégies avec les éleveurs et les commerçants ainsi que les modalités de fixation des prix. Pour les commerçants (points de vente), les informations concernaient les quantités de lait reçues et vendues, les conditions de stockage, les clients et les stratégies de commercialisation.

Analyses statistiques des données

Des analyses descriptives simples, comprenant le calcul des moyennes, des écarts types et des fréquences, ont été utilisées pour caractériser les acteurs et les pratiques. En outre, une analyse de la variance a été effectuée à un seuil critique de 0,05 (p<0,05) pour évaluer les différences saisonnières du prix moyen du lait de chamelle.

Pour estimer le nombre total de troupeaux dans les 28 sites du bassin d’approvisionnement, une méthode d’extrapolation statistique a été utilisée basée sur les données collectées sur 10 sites. La méthode d’estimation repose sur l’analyse de la variabilité sur les 10 sites enquêtés et l’application de la variabilité aux 22 sites non enquêtés.

Pour estimer la quantité totale de lait collectée et commercialisé quotidiennement par l’ensemble des collecteurs et des points de vente, un modèle de régression multiple a été utilisé:

(1)

Y désigne la variable dépendante représentant la quantité que le modèle cherche à expliquer ou prédire.

β0 est une constante correspondant à la valeur de Y lorsque toutes les variables explicatives sont nulles.

β1, β2, β3…βp sont les coefficients des variables explicatives mesurant l’effet de la variable explicative correspondante sur la variable dépendante Y.

Xi=X1, X2, X3…Xp correspondent aux variables indépendantes utilisées pur expliquer Y.

ϵ désigne le terme d’erreur capturant les variations non expliquées par le modèle.

Les coefficients β0, β1, β2, β3…βp du modèle de régression ont été estimés à l’aide de la méthode des moindres carrés ordinaires. Pour ce faire, b0, b1, b2, b3…bp correspondantes aux estimateurs des paramètres β0, β1, β2, β3…βp de la population en minimisant la somme des carrés de résidus (Anderson et Borsenberger, 2015).

(2)

D’où l’équation estimée de la régression:

(3)

La description des variables utilisées dans les modèles se présente comme suit:

Pour les collecteurs du lait de chamelle, = Quantité journalière du lait de chamelle collectée par jour par collecteur (Qte_J); b1 = l’âge du collecteur (AgC); b2 =l’expérience du collecteur (ExpC); b3 =prix moyen au producteur (PMP); b4 =Prix moyen à la livraison (PML); b5 =Nombre de troupeaux parcourus par jour (NTJ); b6 =Nombre de vendeurs servis par jour (NVSJ); b7 =Durée de la collecte (DC); b8 =Distance moyenne parcourue (DMP); b9 =Consommation du carburant (CC).

Pour les points de vente du lait de chamelle: = Quantité journalière du lait de chamelle reçue par point de vente (Qte_PV); b1 = l’âge du vendeur (AgV); b2 =l’expérience du vendeur (ExpV); b3 =prix moyen au collecteur (PMC); b4 =Nombre de collecteur moyen servant le point de vente (NMCSV).

La méthode descendante (Backward Elimination) a été utilisée pour sélectionner les variables les plus significatives dans les deux modèles (Cornillon et Matzner-Løber, 2007). Par ailleurs, une analyse de variance a permis d’apprécier la significativité globale des différents modèles.

En outre, pour détecter les cas de multi-colinéarité entre les variables explicatives dans les modèles retenus issus de Backward élimination, deux indices ont été calculés: la tolérance (TOL) et le variance inflation factor (VIF). Une TOL = 1 explique l’absence totale de multi-colinéarité tandis que s’elle est ˂ 0,4 correspondant à VIF > 2,5, on peut s’inquiéter d’un éventuel problème de multi-colinéarité (Bressoux, 2010).

Les données collectées ont été analysées à l’aide des logiciels Excel (version 2019) et SPSS (version 23).

RÉSULTATS

Profil des acteurs impliqués

La majorité des acteurs de la chaîne d’approvisionnement du lait de chamelle sont des hommes, représentant entre 94 % et 100 % selon la catégorie d’acteurs (Tableau 2). Parmi ces acteurs, 100 % des collecteurs et vendeurs sont de l’ethnie touareg, tandis que d’autres groupes, tels que les Peuls (6 %) et les Haoussas (2 %) sont présents parmi les éleveurs. 98% de ces derniers exercent l’activité d’élevage en tant qu’activité principale depuis 26 ± 16 ans, à la différence des collecteurs (6 ± 4 ans) et des vendeurs (5 ± 4 ans) qui sont des acteurs plus novices dans l’activité. En outre, bien que 86 % des collecteurs déclarent également l’élevage comme activité principale, ils diversifient leurs activités en intégrant la collecte comme une source complémentaire de revenus. En revanche, 100 % des vendeurs font du commerce leur activité principale. Cette tendance indique une dynamique en pleine évolution au niveau de ces maillons, influencée par l’amorce de la collecte organisée du lait de chamelle en 2013-2014, période marquant le début de la structuration de la filière avec les accompagnements techniques, financiers et institutionnels par la SNV. En termes d’âge, les collecteurs ont tendance à être relativement jeunes (28 ± 10); les éleveurs et les vendeurs sont en moyenne plus âgés (respectivement 34 ± 15 et 39 ± 9). Pour tous ces acteurs, le niveau d’éducation formelle demeure faible, surtout chez les collecteurs où 32 % n’ont reçu aucune formation.

Estimation du nombre de troupeaux dans le bassin d’approvisionnement

L’analyse de la variabilité (Tableau 3) a permis d’estimer le nombre de troupeau du bassin. L’estimation centrale du nombre total de troupeaux dans les 28 sites est de 246 troupeaux avec un intervalle de confiance de 161 à 332.

Production laitière cameline dans le bassin d’approvisionnement de Tahoua

La figure 3 présente la quantité du lait par chamelle et par traite, le lait consommé par les chamelons n’étant pas pris en compte. La production laitière des chamelles varie selon les zones et les saisons, avec une moyenne de 3 ± 1,15 litres par traite en saison pluvieuse contre 2 ± 1 en saison sèche, soit une baisse de 33 %. La production journalière moyenne par chamelle et par jour est de 4,6 ± 1,1 litres. La traite se fait chaque jour et le nombre de traites par jour ne varie pas selon les saisons mais selon les zones et les éleveurs. La moyenne générale pour toutes les zones est de 2±1 traites par jour.

Les calculs faits sur la base des paramètres du tableau 4 montrent que la production laitière cameline annuelle est de 1665 tonnes mais varie selon les saisons, la saison hivernale étant plus propice. En outre, selon les enquêtes, 6% des chamelles en lactation ne sont pas traites pour des raisons de santé ou si l’éleveur constate que la chamelle ne produit pas suffisamment du lait.

Évolution des effectifs de collecteurs et de points de vente du lait de chamelle

Une augmentation significative du nombre de collecteurs et de points de vente de lait de chamelle dans la ville de Tahoua est constatée au cours d’une décennies (Figure 4). En 2024, la ville de Tahoua compte 32 points de vente et 56 collecteurs du lait de chamelle. L'augmentation rapide a commencé à partir de 2014 avec l’appui de la SNV et des acteurs locaux impliqués dans la sensibilisation des éleveurs chameliers pour la vente du lait.

Estimation de la quantité du lait collecté et commercialisé

Deux modèles de régression ont permis d’estimer la quantité du lait collecté et vendu dans la ville de Tahoua. La démarche Backward élimination (Tableau 5) a défini le modèle 7 (79% de la variance expliquée) pour la collecte et le modèle 2 (89% de la variance expliquée) pour la vente comme modèles acceptables. Les variables ayant des probabilités supérieures au seuil critique de 5% sont exclues au fur et à mesure. L’analyse de la variance pour les collecteurs et les vendeurs montre que les deux modèles sont globalement significatifs à p˂0,05.

L’équation pour le modèle 7 sur la quantité moyenne journalière du lait de chamelle collecté par un collecteur est:

Qte_J=-1,76+(3,26×NVSJ)+(2,63×DC) (4)

Pour la quantité moyenne du lait de chamelle livré aux points de vente par un collecteur, le modèle 2 a été retenu. L’équation se présente comme suit:

Qte_PV=-1,30+(1,38×ExpV)+(4,15×NMCSV) (5)

le test de multi-colinéarité (Tableau 6) entre les variables des modèles retenus montre que, pour toutes les variables, la TOL (tolérance) indique des coefficients proches de 1, et des VIF (Variance Inflation Factor) inférieur à 2,5. Ces valeurs montrent l’absence de problème majeur de multi colinéarité entre les variables explicatives retenues dans le modèle.

L’évolution de la collecte du lait de chamelle (Figure 5) estimée à partir de la formule de régression linéaire multiple (Formule 4, Tableau 6) montre qu’entre 2011 et 2013, une faible quantité de lait de chamelle est collectée dans le bassin d’approvisionnement de Tahoua. Le pic de la collecte a commencé en 2014 avec une quantité moyenne collectée 31010 litres, soit une collecte journalière moyenne de 85 litres par jour, ce qui est très faible au regard de la population de Tahoua. A partir de 2014, on constate une augmentation régulière des volumes annuels collectés atteignant 289 428 litres en 2024 soit une moyenne journalière de 793 litres. Pour toutes les années, la quantité collectée est moins importante en saison sèche du fait d’une part, de la mobilité des troupeaux vers les zones pastorales, et d’autre part, de la rareté des ressources pendant cette saison, bien que certains éleveurs apportent des compléments alimentaires aux chamelles.

Le lait collecté est principalement destiné aux ménages de la ville de Tahoua à travers un réseau des collecteurs qui alimente les points de vente ou livrent directement aux ménages. Les quantités collectées selon ces deux destinations (Figure 6) ont été estimées sur la base des données collectées auprès des collecteurs et des estimations faites entre 2014 et 2024 sur la base de la formule 5 (Tableau 6). En moyenne, 59% du lait collecté est écoulé au niveau des points de vente de la ville de Tahoua. Une part importante est directement destinée aux ménages, en particulier en saison sèche où la proportion livrée aux ménages augmente significativement, atteignant 47 % contre 35 % en saison pluvieuse, avec une moyenne annuelle de 41%.

Cette préférence pour les relations directes avec les collecteurs est motivée par les préoccupations des consommateurs concernant les altérations potentielles du produit. De plus, un segment de consommateurs exprime une prédilection pour le lait non réfrigéré, le percevant comme plus naturel ou mieux adapté à leurs besoins thérapeutiques et à leurs habitudes de consommation. En outre, certains consommateurs recherchent spécifiquement du lait de jeunes chamelles, estimant qu’il est plus bénéfique, ce qui les amène à établir des accords directs avec les éleveurs.

Organisation et fonctionnement de la collecte et de la commercialisation

La chaîne d’approvisionnement du lait de chamelle repose sur deux types de circuits: les circuits longs et les circuits courts. Le circuit court comprend tout au plus un intermédiaire notamment le collecteur, entre les producteurs et les consommateurs. Pour le circuit long, permettant une couverture géographique plus large, il comprend plusieurs intermédiaires tels que les collecteurs, les associations des éleveurs et les points de vente (Figure 7).

Le lait de chamelle collecté est essentiellement destiné à la ville de Tahoua. Néanmoins, des acheteurs de passage, provenant d’autres pays comme l’Algérie, le Nigeria et d’autres régions du Niger, existent ponctuellement. Mais ce volume difficilement quantifiable peut être considéré comme négligeable.

Pour tous les collecteurs enquêtés, la collecte se fait à moto pour un cycle de collecte par jour. Il existe deux types de collecteurs. Des collecteurs-éleveurs qui font de la collecte une activité complémentaire à l’élevage camelin. Ils parcourent les sites pour ramasser le lait. D’autres sont des collecteurs stricts qui ne sont pas des éleveurs. La collecte est une activité chronophage qui se fait entre 13 heures et 21 heures jusqu’à la livraison selon les collecteurs et les distances parcourues. 65% des collecteurs livrent le lait entre 17 heures et 20 heures.

En ce qui concerne les points de vente, pour 19% des cas, le lait est directement vendu aux consommateurs sans être conservé. Ceux qui en conservent utilisent des réfrigérateurs dès que le lait arrive au point de vente et après avoir servi les acheteurs en attente.

Prix du lait de chamelle

Le prix du lait de chamelle (tableau 7) varie principalement chez les éleveurs et les collecteurs selon les saisons. Entre 2023 et 2024, le prix moyen au producteur est de 602 ± 115 FCFA/l en saison pluvieuse et de 616 ± 128 FCFA/l en saison sèche, avec un prix minimum de 400 FCFA/l et un maximum de 800 FCFA/l. Pour la même période 2023-2024, le prix moyen aux collecteurs est de 771 ± 40 FCFA/l en saison pluvieuse et de 778 ± 46 FCFA/l en saison sèche, avec une variation de 700 FCFA/l et 900 FCFA/l. Cependant, le prix à la consommation reste fixé 1000 FCFA/l, sans aucune variation depuis plus d’une décennie. Cette stabilité du prix à la consommation est l’œuvre des acteurs en aval de la filière, pensant que toute augmentation du prix pourrait exclure les consommateurs à revenus faibles.

L’analyse de la variance (ANOVA) appliquée aux données des saisons (Tableau 7) indique qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les prix moyens du lait aux niveaux producteurs et collecteurs et selon les saisons (p > 0,05). Cela indique que le prix du lait semble relativement stable et indépendant de la saison et du maillon de la chaîne d’approvisionnement étudié.

Stratégie des acteurs

Bien que les vendeurs reçoivent du lait quotidiennement, 50 % d’entre eux rapportent que la demande dépasse systématiquement l’offre, particulièrement en saison sèche. Pour atténuer ce déséquilibre entre l’offre et la demande, des stratégies sont adoptées par les acteurs pour maintenir l’approvisionnement de la ville de Tahoua en lait de chamelle (Tableau 8). La combinaison de ces stratégies renforce la capacité des systèmes de production, de collecte et de commercialisation à maintenir l’approvisionnement en lait, même si des fluctuations se produisent en fonction des acteurs et des saisons. Les éleveurs s’appuient principalement sur la complémentation alimentaire (88 %) pour maintenir la production, combinée à la semi-transhumance (7 %) et la location de chamelles (6 %).

Les collecteurs, pour leur part, augmentent principalement (86%) le nombre de troupeaux parcourus dans le même bassin en essayant de convaincre plus d’éleveurs à leur vendre du lait. Cette dernière stratégie est surtout soutenue par les relations familiales ou de confiance qu’a le collecteur avec les éleveurs.

Quant aux vendeurs, ils ajustent la quantité de lait à recevoir en fonction de plusieurs critères, tels que leur capacité de stockage et le volume de la demande de leurs clients (100 %).

Contractualisation et coordination entre acteurs

L’analyse des interactions entre les acteurs révèle une prédominance des relations informelles dans la filière (Figure 8). Entre éleveurs et collecteurs, 68 % des relations reposent sur des contrats oraux, et aucun contrat écrit n’est observé. Entre collecteurs et vendeurs, 52 % des relations se déroulent sans aucun contrat formel. Le paiement se fait soit au comptant ou à crédit selon les liens entre les acteurs mais le premier est le plus pratiqué (60%). Le paiement à crédit pour 40% des collecteurs se fait soit en espèce ou en nature selon le besoin du collecteur souvent une semaine après, pour le paiement en espèce. Ce type de paiement est soutenu par la confiance ou les relations familiales ou ethniques existant entre les parties. Cette confiance joue un rôle essentiel dans la coordination des activités et l’assurance qualité. Autrement dit, il s’agit d’éviter le mouillage du lait (ajout d’eau au lait cru) que certains commerçants ont relaté, et de le fournir à temps aux clients.

DISCUSSION

Tendance et durabilité de la production

La production constitue un enjeu majeur de l’existence et de la durabilité de la chaîne d’approvisionnement. Dans le contexte de Tahoua, la variabilité de l’offre du lait de chamelle est surtout constatée entre les saisons sèche et pluvieuse, avec la mobilité des troupeaux et leur éloignement de la ville qui rendent difficile la collecte du lait en saison pluvieuse, bien que certains éleveurs conservent quelques têtes des chamelles pour la production.

La moyenne journalière du lait trait par chamelle est de 3 litres dans toutes les zones enquêtées, soit 4,6 ± 1,1 litres traits par jour. La moyenne générale diffère de la moyenne de 2,9 ± 0,4 litres des 3 zones étudiées par Chaibou (2005) dans le bassin d’approvisionnement de la ville d’Agadez au Niger. Ces différences peuvent être expliquées par des disparités dans les conditions de production laitière, notamment en termes des pratiques de complémentation alimentaire. En effet, plus de la moitié des éleveurs enquêtés par Chaibou (2005) ne pratiquent pas la complémentation alimentaire, contrairement à la zone périurbaine de Tahoua où la majorité des éleveurs complémente les chamelles en lactation pour soutenir leur production laitière. Dans d’autres contextes d’élevage périurbain, comme au Maroc et en Mauritanie, les élevages camelins laitiers avancent des chiffres de production journalière de l’ordre 6 à 12 litres par chamelle (Bengoumi et Faye, 2015).

La production annuelle dans le bassin d’approvisionnement de la ville de Tahoua est marquée par une augmentation entre 2014 et 2024. Toutefois, cette production est mise à l’épreuve par les défis croissants liés à la réduction des espaces pastoraux et aux défis environnementaux qui limitent les options des éleveurs. La marge de manœuvre des éleveurs se resserre entre une intensification ou une semi-intensification de la production pour répondre à la demande à long terme, ou opter pour une augmentation des effectifs des femelles en lactation au sein des systèmes de production. Quelle que soit l’option privilégiée, la satisfaction de la demande de la ville de Tahoua serait d’emblée compromise par un coût élevé de production et/ou une délocalisation qui serait très coûteuse pour la chaîne d’approvisionnement. L’intensification de l’élevage camelin comporte aussi des risques liés à la modification des pratiques d’élevages pouvant induire des surpâturages dans les zones périurbaines, des risques sanitaires et des investissements importants (Faye et Konuspayeva, 2011). En retraçant l’évolution des systèmes pastoraux en Afrique de l’Ouest et du Centre, Dongmo et al. (2012) concluent sur la nécessité de prendre en compte les dynamiques actuelles de l’intégration des éleveurs dans les marchés d’une part, mais également les fortes incertitudes afférentes, d’autre part.

Évolution des points de vente et des collecteurs

La croissance rapide du nombre de points de vente en l’espace d’une décennie met en exergue une adaptation des acteurs à une demande croissante dans la ville de Tahoua, où le lait de chamelle est de plus en plus prisé pour ses qualités nutritives, thérapeutiques et culturelles. Selon Duteurtre (2007), cette dynamique a été amorcée depuis une vingtaine d’années en Afrique de l’Ouest, avec l’émergence de nouvelles entreprises de collecte laitière et le développement de la demande urbaine. Le passage de l’économie de don à l’économie marchande rapporté par Faye et Corniaux (2024) se dessine clairement dans le bassin d’approvisionnement de Tahoua à l’espace d’une décennie. Cependant, cette croissance pose des défis pour la chaîne d’approvisionnement. En effet, l’absence d’infrastructures et de matériels adéquats pour la collecte et la distribution est une contrainte majeure au développement des activités. Il est également important de mentionner la primauté de l’autoconsommation du lait de chamelle sur la commercialisation par les éleveurs qui limite les volumes mis sur le marché. De plus, la multiplication des acteurs sans mécanismes clairs de coordination pourrait être une source d'inefficacités ou de conflits. Comme l’ont constaté Dongmo et al., (2012) dans le contexte de l’élevage bovin en Afrique, les transformations s’opèrent grâce à une combinaison de facteurs, notamment un meilleur accès aux services d’appui, une organisation accrue des éleveurs, le dynamisme d’un marché local et sous-régional en pleine expansion. Dans le bassin périurbain de Tahoua, la dynamique amorcée depuis 2014 avec l’appui de la SNV visait à structurer la filière du lait de chamelle à travers l’organisation des éleveurs, l’amélioration des pratiques de traites et de collecte et la mise en place de circuits de commercialisation. Cependant, malgré ces efforts initiaux, cette dynamique n’a pas bénéficié de soutiens supplémentaires, que ce soit sous forme d’accompagnement technique, financier, et/ou institutionnel. Les collecteurs, les éleveurs et les vendeurs, qui fonctionnent souvent comme des groupes interconnectés avec des relations familiales et de confiance, se sont adaptés aux défis auxquels ils sont confrontés. Cette résilience est due à l’implication de plusieurs leaders communautaires qui, par le biais d’organisations paysannes, ont sensibilisé les éleveurs à la nécessité de s’éloigner des pratiques traditionnelles qui interdisent la vente de lait de chamelle.

Couverture de besoin en lait de chamelle

En ce qui concerne l’offre, l’état actuel de la collecte et de la commercialisation dans le bassin d’approvisionnement de Tahoua révèle un déséquilibre entre les capacités de production et d’approvisionnement, la saisonnalité de l’offre reflétant les contraintes structurelles de la filière. Ces incertitudes dans la collecte ont également été rapportées par Dieye et al., (2005) au Sénégal qui stipulent que la stabilité et la viabilité des systèmes de collecte du lait de vache sont surtout fragilisées par les incertitudes associées à la saisonnalité de la production et à la qualité des produits. En outre, l’absence de mécanismes d’incitation peut perturber la maîtrise des coûts de transaction au sein de la chaîne (Ferrari, 2017).

Dans la zone d’étude, la demande étant supérieure à l’offre pour la moitié des vendeurs, des marges de manœuvre existent pour booster la quantité journalière collectée. En effet, l’estimation de la quantité du lait de chamelle collectée et livrées aux points de vente et aux ménages, sur la base des modèles de régression linéaire multiple montre que le nombre de commerçants servis par jour et la durée de la collecte influencent la collecte du lait. En outre, la quantité du lait vendu au niveau des points de vente est fonction de l’expérience du vendeur et le nombre de collecteurs qui alimentent le point de vente. Par conséquent, l’augmentation de leur nombre est un facteur stratégique pour l’augmentation de l’offre du lait à Tahoua, tout en garantissant les capacités logistiques nécessaires. L’extension du rayon de collecte et la sensibilisation pour convaincre d’autres éleveurs qui ne participent pas jusque-là à la vente sont deux leviers essentiels pour améliorer la collecte.

Modèle actuel de collecte et de vente et défis

Dans la zone d’étude, le modèle actuel repose essentiellement sur la collecte et la vente individuelles du lait de chamelle. Les mini-laiteries sont essentiellement concentrées sur le lait de vache. Cela suscite des interrogations sur les possibilités de transformation de la chaîne d’approvisionnement. Faudrait-il continuer sur le modèle de collecte et de vente classiques (les boutiques de quartiers) ou introduire des mini-laiteries pour assurer à la fois la collecte, la transformation et la distribution du lait de chamelle ? L’expérience de Kirène au Sénégal pour le lait de vache (Ba et al., 2021) est un cas illustratif de la complexité du schéma industriel. L’industrie mise sur la rentabilité de ses investissements alors qu’elle a besoin de volumes importants et réguliers pour faire fonctionner sa laiterie et rentabiliser ses investissements.

Pour les éleveurs, le lait ne se limite pas à une simple valeur marchande. Il revêt aussi une importance sociale, culturelle et nutritionnelle. En tant qu’aliment de base, il assure la subsistance des familles et joue un rôle central dans les habitudes alimentaires. Cet écart d’objectif pourrait en partie expliquer le fait que jusqu’à présent, bien qu’il existe des mini-laiteries à Tahoua, la collecte et la commercialisation du lait de chamelle est presque exclusivement individuelle.

La rentabilité de l’activité de collecte déclarée par la majorité des collecteurs enquêtés expliquerait également le schéma actuel de la collecte et de la commercialisation du lait de chamelle. Pour le cas spécifique du lait de chamelle, l’expérience de la Mini-laiterie Azla Saveur à Agadez au Niger, mise en place en 2004, rejoint l’idée de la faible conviction des éleveurs chameliers périurbains à aller vers leur connexion avec des entreprises laitières. La mini-laiterie a été confrontée à plusieurs contraintes, notamment celles de la collecte et la disponibilité du lait cru selon les saisons affectant ainsi sa rentabilité (Corniaux et al., 2014).

L’expérience de Tiviski en Mauritanie (Mathias, 2011), une industrie qui transforme le lait de chamelle en lait frais pasteurisé et en fromage, collecté auprès de pasteurs mobiles à des centaines de kilomètres, montre toutes les difficultés liées à la mobilisation des éleveurs sur la base des contrats et des prix fixes que les éleveurs jugent moins rémunérateurs. Cela ne donne-t-il pas raison aux éleveurs qui préfèrent profiter des grandes marges en agissant individuellement ? En effet, si le lait de chamelle se vend à un prix plus élevé en le livrant directement aux consommateurs ou aux points de vente, les éleveurs estiment plus avantageux de le commercialiser eux-mêmes plutôt que de s’intégrer dans un système d’achat par les mini-laiteries.

Pour le cas de Kirène au Sénégal, le prix est également un autre point de divergence entre les éleveurs et l’entreprise qui propose un prix inférieur à celui du marché parallèle (Ba et al., 2021). Selon Corniaux et al. (2007), pour assurer une meilleure couverture des besoins urbains en lait, un effort d’organisation du réseau de collecte est nécessaire. Cela suscite la prise en compte des intérêts de ces acteurs qui sont plus ou moins organisés, malgré l’absence d’un cadre formel, pour faire en sorte que toute innovation dans la chaîne d’approvisionnement s’oriente vers des investissements adaptés, rentables pour les acteurs au premier chef, et un accompagnement technique et organisationnel continu.

Évolution des prix du lait chamelle et concurrence avec les autres laits

La moyenne du prix au producteur du lait de chamelle est de 609 ± 118 FCFA/Litre, une valeur inférieure à celle rapportée par Koré, (2013), qui avait trouvé une moyenne de 750 FCFA/Litre pour l’ensemble de la région de Tahoua. Cette différence peut s’expliquer par des variations dans les coûts de production, les circuits de collecte ou encore par l’évolution des dynamiques de marché sur la dernière décennie. Le prix au producteur a fortement évolué comparé aux années 2000 dans la région d’Agadez par exemple où Corniaux et al., (2014) rapportent, pour le cas de la Mini-laiterie Azla Saveur, un prix variant entre 125 et 250 FCFA/l selon les distances parcourues. En comparant le prix au producteur du lait de chamelle avec celui du lait de vache, on constate une différence significative. Le prix moyen au producteur pour le lait de vache varie de 250 et 350 FCFA/Litre (IRAM & ONG KARKARA, 2019), soit près de trois fois inférieur à celui du lait de chamelle. Bengoumi et Faye (2015) rapportent le cas d’une laiterie en Algérie qui commercialise son lait à un prix 14 fois le prix subventionné du lait de vache et 28 fois celui du lait de vache pasteurisé importé.

Par contre, le prix au consommateur reste stable durant toute la période 2013 à 2024, malgré les variations observées en amont. Si cette stabilité peut offrir une prévisibilité à certains consommateurs, elle reflète aussi une limite dans la transmission des prix dans la chaîne d’approvisionnement car les variations de prix en amont ne sont pas compensées par une variation des prix en aval. Par conséquent, les acteurs en amont doivent minimiser les coûts de transaction pour maximiser les profits et éviter les pertes. Ces acteurs, notamment les éleveurs, s’inscrivent de plus en plus dans un schéma de rentabilité de la production laitière du fait des dépenses engagées notamment pour l’alimentation et le soin des animaux. La garantie de niveaux de prix agricoles décents et stables pour les producteurs est une condition sine qua non d’amélioration de leur condition de vie et de leur engagement dans la transformation de leur système (Levard et Loyat, 2021).

Les croyances autour des vertus médicinales et thérapeutiques du lait de chamelle, largement partagées chez les pasteurs et les consommateurs, ont fortement contribué au développement de la commercialisation du lait de chamelle (Faye et Corniaux, 2024). Cet engouement soulève des questions quant à la place du lait de chamelle dans la consommation totale à Tahoua et la concurrence avec d’autres types de lait, tels que le lait de vache, le lait de chèvre et le lait en poudre. Si la part du lait de chamelle reste marginale, cela indiquerait que le lait de chamelle est un produit de niche, réservé à un segment de clients bien spécifique. Dans le cas contraire, une part plus significative témoignerait d’un potentiel de marché plus large, avec des perspectives de croissance si les défis liés à la production, la conservation et la distribution sont relevés. Une étude menée au Tchad (Koussou et Patrice, 2013) montre que le lait de chamelle n’entre pas en concurrence avec les autres laits du fait de sa spécificité, notamment ses propriétés médicinales prônées par la plupart des consommateurs d’une part, et d’autre part, la saisonnalité de la production réduisant ainsi son impact sur le marché du lait d’origine bovine qui est plus largement produit et consommé.

Contractualisation et coordination entre les acteurs

L’analyse des relations contractuelles entre les acteurs montre que le contrat oral domine entre les éleveurs et collecteurs tandis qu’aucun contrat n’est établi pour la majorité des interactions entre les collecteurs et les vendeurs. L’absence de contrats écrits entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement du lait de chamelle est en lien avec le faible niveau d’éducation des acteurs. La majorité des éleveurs, collecteurs et vendeurs ont des niveaux d’éducation souvent réduits à une formation coranique ou à une absence totale d’instruction formelle. Cette informalité accroît les risques liés à la qualité, à la régularité des livraisons et à la gestion des différends, car aucun cadre définissant des engagements clairs sur les quantités, les prix et les délais n’est créé, favorisant les incertitudes et les risques au sein de la chaîne. Cependant, comme le précise Dieye et al., (2005), les liens créés entre les acteurs par les acteurs eux-mêmes permettent non seulement de combler la faiblesse de la circulation de l’information, mais également de pallier aux risques relatifs aux fraudes sur la qualité, à la forte saisonnalité de l’offre et de la demande. En somme, bien que l’absence de contractualisation écrite présente des limites importantes, la confiance mutuelle entre les acteurs, développée au fil du temps, sert de mécanisme informel pour stabiliser les interactions. Cependant, à long terme, avec l’augmentation possible des acteurs dans tous les maillons la chaîne d’approvisionnement, les seules interactions contractuelles et de coordination basées sur la confiance ou les relations ethniques ou familiales pourraient être moins maîtrisées par les acteurs.

CONCLUSION

La présente étude a mis en évidence les dynamiques et les défis qui caractérisent la chaîne d’approvisionnement du lait de chamelle dans la ville de Tahoua au Niger. La collecte et la commercialisation du lait de chamelle montre une chaîne d’approvisionnement en pleine évolution. L’évolution rapide des points de vente et des collecteurs souligne l’adaptation des acteurs à une demande croissante en milieu urbain. Cependant, les pratiques au sein de la chaîne restent encore largement marquées par l’informalité, un manque de coordination entre les acteurs et une absence de contractualisation formelle. En dépit de ces défis qui persistent et sans accompagnements nécessaires, les acteurs adoptent des stratégies de résilience face aux contraintes saisonnières, environnementales et structurelles, allant de la complémentation alimentaire par les éleveurs à l’ajustement des circuits de collecte et de commercialisation par les autres acteurs. Les relations de confiance et les liens familiaux et ethniques établis entre les acteurs compensent ces faiblesses et fait que les maillons sont en grande partie aux mains des acteurs polyvalents. Cependant, ces stratégies n’offrent pas les garanties nécessaires pour une gestion durable et performante à long terme.

La faible fluctuation des prix entre les saisons constitue un des facteurs déterminants de l’engouement autour du lait de chamelle. Cette stabilité incite les acteurs à produire, collecter et vendre leur lait, même pendant les périodes de faible production, car ils peuvent compter sur un revenu prévisible et constant.

À l’avenir, l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement passera par un appui ciblé aux acteurs, visant à structurer et à formaliser les relations contractuelles, tout en renforçant les capacités techniques et organisationnelles des éleveurs, collecteurs et vendeurs. Par ailleurs, une meilleure intégration des innovations technologiques et des services d’appui favoriserait une gestion plus efficace des transactions entre les acteurs.

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Bibliographies de l'auteur-e

Maman Sanoussi LAWALI MAMAN, Département de Sociologie et Economie Rurales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger

Doctorant au Centre d'Excellence Régional sur les Productions Pastorales/Faculté d'Agronomie de l'Unviersité Abdou Moumouni de Niamey, Niger

Christian CORNIAUX, CIRAD, INRAE, Institut Agronomique, Montpellier, SELMET, Université de Montpellier, France

Chercheur au CIRAD, SELMET

Mahamadou ALI, Département de Sociologie et Economie Rurales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger

Enseignant Chercheur au Département de Sociologie et Economie Rurales, Faculté d’Agronomie, Université Abdou Moumouni de Niamey

Directeur Adjoint du Centre d’Excellence Régional sur les Productions Pastorales (CERPP-Niger) Faculté d’Agronomie, Université Abdou Moumouni de Niamey

Véronique ALARY, CIRAD, INRAE, Institut Agronomique, Montpellier, SELMET, Université de Montpellier, France

Chercheure au CIRAD, SELMET

Maman Laouali ADAMOU IBRAHIM, Département de Biologie, Faculté des Sciences et Techniques, Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger

Enseignant chercheur au Département de Biologie, Faculté des Sciences et Techniques, Université Abdou Moumouni de Niamey

Hamani MARICHATOU, Département de Productions Animales, Faculté d'agronomie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger

Enseignant Chercheur au Département de Productions Animales, Faculté d’Agronomie, Université Abdou Moumouni de Niamey, BP 10960, Niamey, Niger ;

Directeur du Centre d’Excellence Régional sur les Productions Pastorales (CERPP-Niger) Faculté d’Agronomie, Université Abdou Moumouni de Niamey, BP 10960, Niamey, Niger

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Publié-e

02-05-2025

Comment citer

LAWALI MAMAN, M. S., CORNIAUX, C., ALI, M., ALARY, V., ADAMOU IBRAHIM, M. L., & MARICHATOU, H. (2025). Dynamique de la filière du lait de chamelle au Niger: Opportunités et défis pour un développement durable . Revue Marocaine Des Sciences Agronomiques Et Vétérinaires, 13(2), 176–187. https://doi.org/10.5281/zenodo.15595993

Numéro

Rubrique

Production et Santé Animales

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