Résumé

Cette étude a été menée pour identifier les potentialités de la filière «fromage de chèvre» au Sénégal. Une enquête a été réalisée sur la production de lait auprès de 191 éleveurs et sur la préférence et les critères de choix à l’achat de fromages auprès de 150 consommateurs. Les résultats montrent que le lait de chèvre est principalement auto-consommé à Saint-Louis et Louga et au Sud (Kolda et Ziguinchor). Dans la région de Fatick, Dakar et Thiès, le lait est valorisé en fromage. Les chèvres appartiennent aussi bien à des hommes (48%) qu’à des femmes (52%). La chèvre du Sahel est plus présente dans la zone du Nord, Ouest et Centre. Au Sud, la chèvre naine prédomine. Concernant la consommation de fromages, les résultats montrent que 75% des consommateurs interrogés préfèrent les fromages importés, 25% consomment les fromages disponibles ayant une bonne présentation ou à prix faibles sans se soucier de la provenance ou de l’animal d’origine. Les produits bénéficiant d'un certain type de certification (preuve de qualité sanitaire) influencent les achats (10%), d’autres (30%) sont influencés par les lieux de vente (grandes surfaces).


Mots-clés: Lait de chèvre, fromage, production, consommation, Sénégal

INTRODUCTION

L’élevage constitue un secteur économique très important pour de nombreux pays africains. Il assure les moyens de subsistance de 30% des ménages en milieu rural au Sénégal (Ands, 2013) mais sa contribution à la richesse du pays est largement en deçà des objectifs fixés par le gouvernement en matière de sécurité alimentaire. L’amélioration de la production laitière a toujours été l’une des préoccupations des recherches sur l’élevage au Sénégal (Diop et Diao, 2005). Malgré l’importance du cheptel des ruminants et les nombreux efforts entrepris pour atteindre l’autosuffisance en lait et produits laitiers, la production locale est toujours faible (Direl, 2016). Si l’élevage des animaux à cycle court connaît de nos jours un essor dynamique pour combler les déficits protéiniques, l’élevage des petits ruminants (notamment les chèvres) demeure un secteur prometteur. La chèvre de par sa reproduction rapide (maturité sexuelle précoce, grande prolificité (Missohou et al., 2016) est un atout dans un pays comme le Sénégal.

Les investissements de l’élevage de chèvre étant faible (Alexandre et al., 2012), la valorisation du lait en fromage permet d’apporter des revenus aux transformateurs, de faciliter la conservation du produit et de fournir des produits à hautes valeurs nutritionnelles notamment les protéines animales à la population. Le fromage de chèvre représente un aliment de haute qualité nutritionnelle de par sa composition en protéines, en calcium et en vitamines. La consommation en fromage est dominée par l’importation. Selon l’Ands (2018), le Sénégal a importé 46,516 tonnes (soit 128 millions de FCFA) en fromage de lait de vache et de chèvre.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Cadre d’étude

L’étude a été menée durant un an, dans sept (7) régions du Sénégal principales productrices de lait de chèvre pour faire une typologie des fromageries à travers le pays. La plupart des zones étudiées notamment la zone Nord (Saint-Louis et Louga), la zone Sud (Kolda et Ziguinchor), on observe que le lait de chèvres est principalement auto-consommé. Dans les zones Centre (Fatick) et Ouest (Dakar et Thies) le lait de chèvre est valorisé en fromage. Nous avons ainsi noté la production est dominée par cinq fromageries situées à Keur Moussa dans la zone des Niayes, à Ngaparou dans la petite côte dans la région de Thiès, à Mbafaye, Foundiougne et à Colobane dans la région de Fatick.

Matériel de collecte des informations

Le matériel utilisé est constitué des fiches d’enquête destinées aux personnes à enquêter. Il s’agit essentiellement de : fiches pour les éleveurs et les consommateurs.

Méthodologie

La méthodologie est basée sur la collecte des informations à travers une revue documentaire, l’échantillonnage, la collecte de données de terrain à travers les enquêtes sur l’élevage et la consommation des fromages, le traitement et l’exploitation des résultats obtenus sur Excel.

Au total cent quatre-vingt-onze (191) éleveurs de chèvres ont été interviewés individuellement ou en groupe. Ces enquêtes sur l’élevage des chèvres a permis de recueillir des données sur la taille des cheptels, les races exploitées, la structuration des troupeaux et la conduite des troupeaux. Pour la consommation, cent cinquante (150) personnes ont été interrogés sur leur préférences et les critères de choix à l’achat ou à la consommation.

La méthode d’échantillonnage pour les enquêtes sur la chaîne de valeur est un tirage aléatoire avec choix raisonné. Elle a consisté à prendre en considération les zones retenues en fonction de la capacité du cheptel caprin, de l’utilisation des produits caprins et des dynamiques de développement.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Statut socio-économique des éleveurs

Les données d’enquêtes montrent que 78% des éleveurs sont propriétés des chèvres et 22% d’entre eux des bergers ou gérant de troupeaux. Les chèvres appartiennent le plus souvent à des hommes (48%) et à des femmes (52%). La conduite de l’élevage (alimentation, suivi au pâturage, suivi de la gestation et de la mise bas) est effectuée par les hommes. Cependant, nous avons noté que les femmes s’occupent plus de la traite, du suivi sanitaire des chèvres et de la transformation des produits issus des chèvres (fromage, yaourt et lait frais) que les hommes.

La moyenne d’âge des éleveurs est de 35 ± 5,3 ans avec un maximum de 51 ans et un minimum de 24 ans. L’élevage des petits ruminants (caprins, ovins) et des grands ruminants (bovins) constitue leur activité principale (63%) et l’activité secondaire de commerçants ou dioula (25%) et de transformateurs (5%). Si l’on compare nos résultats à des études en milieu rural dans la zone de Fatick, nous observons des valeurs plus élevées pour les hommes. Ces résultats montrent que l’appartenance des troupeaux de chèvres est égale pour les hommes et les femmes (Missohou et al., 2016).

Les modes d’élevage dans les zones d’étude

Le système d’élevage varie d’une zone à une autre. Dans les régions du Nord (Saint-Louis et Louga), les caprins sont avec les bovins et les ovins. Le pastoralisme domine de Janvier à Juin. Durant cette période, les éleveurs se déplacent vers le bassin arachidier (Région de Kaolack, Fatick et Kaffrine) pour trouver un environnement favorable pour l’alimentation et l’eau. Ce système agro-pastoral Nord sahélien à pastoralisme dominant joue un rôle de subsistance et de sécurisation des systèmes agraires (Missohou et al., 2016; Diao, 2004). Au Sud (Kolda et Ziguinchor), l’élevage sédentaire prédomine avec une alimentation des caprins avec les résidus des repas, les arbustes autour des villages et souvent avec l’aliment concentré des bovins et des ovins. Les chèvres sont des espèces très exploitées dans la zone Sud comparées aux autres animaux (bovins et ovins). Elles sont vendues pendant les périodes de soudures et génèrent des revenus permettant de payer les soins de santé, la scolarisation des enfants et les besoins quotidiens de la famille. La vente des animaux se fait dans plupart au niveau des marchés hebdomadaires de Saré Yoba (département de Kolda), et de Diaobé (Département de Vélingara). A l’ouest (dans la zone des Niayes de Dakar et Thiès), les caprins sont pâturés à quelques kilomètres des zones d’habitation (2 à 5 km) et reviennent dans leur enclos pour la nuit avant de repartir chaque matin comme le montre les études sur l’alimentation des chévre menée dans la zone (Diouf, 2004). La proximité des marchés urbains est un facteur déterminant de l’orientation commerciale des produits laitiers dans ce système.

Ce type d’élevage est marqué par le nombre du cheptel important, l’espace de pâturage qui diminue avec la progression démographique et la faiblesse du tapis herbacé réduit également avec la forte compétition des ressources foncières, la disponibilité des espaces, l’accès aux ressources (Diao, 2004).

Structure du cheptel dans les zones d’étude

La chèvre du Sahel est plus présente dans la zone du Nord (Saint Louis et Louga) et dans la zone Ouest (Dakar, Thiès, Fatick) (Tableau 1). Cependant, on note à Fatick l’introduction de races exotiques dans les programmes de coopérations. Plusieurs campagnes d’insémination artificielle ont eu lieu donnant naissance à de nombreux métisses (Pafc, 2020). L’objectif de ce métissage était d’augmenter la productivité des races locales (quantité de lait, qualité de la viande, etc.) et assurer la diversification sur les produits fournis (viande, fromages, yaourt).

Au Sud (Kolda et Ziguinchor), la chèvre naine prédomine. La présence de cette race s’explique par sa résistance au trypanosomiase (Bengaly et al., 1993) et présente bon rendement en viande (60%) en moyenne.

Les données recueillies au niveau des services vétérinaires des zones étudiées montrent cette répartition (Figure 1).

Reproduction et alimentation des caprins dans les zones d’étude

Le suivi des chèvres dans les zones d’études montrent plusieurs cas (Tableau 2). Les périodes de reproductions ont lieu toute l’année mais avec des fréquences d’Octobre à Novembre (Saint-Louis, Dakar, Thies et Louga) et de Janvier à Mars (Fatick, Kolda et Ziguinchor). Ces observations de terrain sont similaires à ceux trouvés par Diao (2004) et Missohou et al. (2016).

Ces résultats nous montrent que l’activité de collecte et de transformation de lait est limitée à une période de l’année. En dehors de ces périodes, la disponibilité du lait de chèvre est faible.

La reproduction se fait par montée naturelle et nous n’avons observé aucun avortement. Contrairement à la race bovine, l’insémination artificielle n’est pas courante dans l’élevage des chèvres dans les zones d’étude (Tableau 3).

Alimentation des chèvres

L’alimentation rationnelle a pour but d’apporter aux animaux les éléments nutritifs dont ils ont besoin compenser les dépenses (Chunleau, 1995). Dans les zones d’étude, elle est essentiellement dominée par le pâturage ou par divagation (Tableau 4).

Les animaux suivis utilisent l’alimentation des pâturages de la zone et la complémentation est faible et essentiellement constitué de restes de repas, de céréales et de tourteaux d’arachides. Cette complémentation est souvent destinée aux chévres en gestation, malades ou en allaitement (Missohou et al.,2016).

Pendant l’hivernage, les chèvres sont souvent attachés et stabulés pour éviter la détérioration des champs (Thiès et à Fatick). Le temps passé au pâturage diminue malgré la disponibilité du foin. La complémentation est rare et réservée aux chèvres ayant mis bas ou aux chèvres malades. Elle se fait dans ce cas avec des aliments grossiers (restes de repas) ou en concentrés à base de maïs, mil, tourteau d’arachide, etc.

Consommation de fromages au Sénégal

Au Sénégal, on observe une progression de la consommation de fromage notamment dans les grandes villes due à l’augmentation des revenus, la croissance démographique (3%/an), l’urbanisation et le changement dans les habitudes alimentaires.

Les personnes enquêtées étaient pour la plupart des professionnels, des étudiants, des restauratrices, des femmes rencontrées lors de l’achat dans les grandes surfaces, dans leur lieu de travail ou dans les ménages dans les régions de Dakar et Thiès.

Critères d’achats et de consommation des fromages

Les résultats des enquêtes nous montrent plusieurs préférences. Un premier lot de consommateurs (75%) préfère les fromages importés à base de lait de vache et de chèvre (en tranche, emballés ou râpé) majoritairement dans les villes de Dakar, Thiès et Mbour. Ensuite, nous avons un second groupe (25%) qui considèrent qu’ils achètent les fromages disponibles ou à prix faibles sans se soucier de la provenance ou de l’animal d’origine.

Ces résultats montrent que les critères d’achat des consommateurs dépend du prix, de la qualité sanitaire et de la présentation des fromages.

Les considérations pour choisir les fromages de chèvre local ou importé (Tableau 5), en plus du prix sont influencées par le degré de transformation (frais, affiné ou épicé), la qualité nutritionnelle, hygiénique et organoleptique. Ces paramètres sont souvent reconnus par les consommateurs à partir de l’étiquette, la présentation de l’emballage et l’origine (locale ou importée).

Les données d’enquêtes montrent la préférence des consommateurs sur des fromages affinés emmental (46%), Gruyère (17%), fromage fondu (23%) et des fromages de chèvre 14% (bûche 2%, tomme 5%, feta 7%).

La composition en protéines, en matières grasses, d’additifs et les caractéristiques organoleptiques (odeurs et saveurs) influencent faiblement les consommateurs.

Ces critères montrent une diversité de consommateurs de fromage comme démontré par de nombreux auteurs dans la consommation des produits laitiers au Sénégal (Corniaux et al., 2001; Duteurtre et al., 2003). L’analyse de ces résultats montrent que la présentation joue un rôle décisif dans l’achat notamment l’emballage et l’étiquetage qui donnent des informations sur la composition, une bonne appréciation visuelle du produit, la façon d’utiliser le produit, l’origine du produit, etc. Une comparaison des choix entre fromages importés et locaux montre la préférence des produits importés (75% des personnes interrogées) due à la présence de ces fromages dans les lieux de vente et une bonne présentation. Pour les produits locaux (25% des personnes interrogées) le choix s’explique pour les personnes interrogées que les produits locaux ont moins de risque de contenir des additifs et les intrants ajoutés (colorants, conservateurs, etc.) que dans les fromages importés.

Les consommateurs sont également influencés dans leur choix par la certification des produits (70% des interrogés) notamment sur la certification sanitaire des autorités compétences (ISO, normes nationales, label AOP ou AGP) d’autres (30% en moyenne) ne connaissent pas la certification donc se fie à l’intermédiaire, l’étiquetage ou aux lieux de vente (grandes et moyennes surfaces, restaurants, marché hebdomadaire ou foire).

Les produits importés sont plus achetés et plus présent sur le marché à cause de la faiblesse de production locale. Les problèmes économiques et la pauvreté constituent des facteurs importants dans l’évolution des modèles de consommation alimentaire. Les fromages locaux sont peu disponibles sur les marchés par la faiblesse des fromageries et des distributeurs.

Ces résultats montrent que l’hétérogénéité des comportements des consommateurs est très forte avec des différences systématiques en fonction des caractéristiques des ménages. Le choix de la consommation est lié au revenu et à la présence des produits sur le marché.

CONCLUSION

Les chèvres se nourrissent essentiellement en broutant. Elles mangent les feuilles des arbres et des buissons là où la végétation serait insuffisante pour des moutons ou des vaches. Ce qui montre le rôle de complémentation des chèvres avec les autres ruminants. La quantité de lait est faible mais la production des chèvres étant rapprochée et le nombre de chevreaux étant important, la disponibilité des fromages augmentent progressivement au Sénégal.

Le rôle des fromages dans la satisfaction des besoins nutritionnels auprès des consommateurs comparés aux produits laitiers issus de la vache est faible dans nos pays. Cette situation s’explique par le prix élevé des fromages, la qualité sanitaire et la présence très faible de ces fromages sur le marché sénégalais. Cependant, sa consommation est actuellement favorisée par le niveau de vie des habitants en milieu urbain, le changement d’habitude alimentaire et la croissance démographique. L’achat de ces produits est influencé par la confiance aux producteurs, la qualité sanitaire et le respect de la réglementation dans la transformation et la distribution.

Ce travail met en exergue la potentielle contribution que présente la filière lait de chèvre au Sénégal et les besoins de satisfaire les consommateurs en termes de sécurité sanitaire assurée par le fromage de chèvre.

RÉFÉRENCES

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