Résumé

L’oasis est un écosystème dont la structure dépend principalement des composantes désert-oasis-rivières. Généralement, elles sont distribuées le long des rivières non pérennes (oueds) et sur les nappes phréatiques peu profondes. Toutefois, la durabilité du système oasien est menacée par plusieurs facteurs conjugués (Pénurie d’eau, Bayoud, changements climatiques, exode rural, etc..).L’objectif de cet article est de mettre en lumière l’importance des ressources en eau souterraines qui quoi qu’elles demeurent invisibles, ont joué un rôle primordial dans la conservation et la durabilité du système oasien. Il vise à comprendre et à analyser les différentes interactions entre la nappe souterraine (nappe phréatique) et la dynamique des palmeraies en prenant en considéra-tion l’ensemble des facteurs existants (naturels et humains). Une approche diachronique a été adoptée pour pouvoir reconstituer l’histoire de l’évolution de la plaine de Tafilalet dans son intégralité en effectuant une recherche bibliographique qui a été étayée par des enquêtes réalisées sur terrain avec les différents acteurs. Les résultats ont montré que la nappe souterraine est la ressource de base pour la survie du système oasien dans la plaine de Tafilalet. En plus d’être la principale source pour l’approvisionnement en eau d’irrigation, la nappe phréatique contribue directement dans l’alimentation hydrique du palmier dattier qui est le symbole du patrimoine oasien.


Mots clés: Dynamique des oasis, nappe phréatique, palmier dattier, Tafilalet.

INTRODUCTION

L’oasis est un écosystème spécifique adapté aux zones extrêmement arides (Vidal, 2005). C’est un agro-écosystème dont la structure dépend principalement des composantes désert-oasis-rivières. (Yang et al., 2010). Les différentes composantes (climatique, hydrique, édaphique, végétale, animale et humaine) sont fortement interdépendantes et interagissent les unes avec les autres, ce qui rend le système oasien à la fois complexe et fragile. (Skouri, 1990). Le palmier dattier constitue, pour les régions sahariennes et pré-sahariennes, l’élément essentiel de l’écosystème oasien (Sedra, 2003). Il est la clé de voûte et le symbole de ce système et sa présence symbolise l’eau dans le désert (Grenade, 2013). Généralement, les oasis se développent tout au long des cours d’eau et des nappes phréatiques (Zella et al., 2006). En effet, l’existence et le fonctionnement des palmeraies est depuis toujours liées à la présence de l’eau et à la pratique de l’irrigation.

Depuis leur existence, les oasis ont joué un rôle primordial dans le développement de l’économie locale et dans le maintien de la sécurité écologique. L’écosystème oasien remplit de nombreuses fonctions écologiques et offre une multitude de biens et services naturels, sociaux et économiques (PNUD, 2013). Au Maroc, la durabilité de l’écosystème oasien est de plus en plus menacée. Au cours de ce dernier siècle, le système oasien a connu une forte dégradation. Parmi les 15 millions de pieds qui peuplaient les oasis au Sud de l’Atlas, et dont la majorité était représentée par des variétés de bonne qualité, il ne reste actuellement que 4,25 millions de pieds, dont une grande partie est constituée de sujets francs très diversifiés et de qualité variable (Hadouch, 1996). A la fin du 19ème siècle, le Maroc occupait le 3ème rang mondial parmi les pays producteurs et une place de choix au niveau du commerce extérieur des dattes ,grâce notamment à la qualité de celles-ci. En moins d’un siècle, le Maroc qui était connu comme grand exportateur de produits dattiers en est devenu importateur (Khardi, 2003).

Située au Sud Est du Maroc, la palmeraie de Tafilalet, comptée parmi l’une des plus grandes palmeraies du Maroc et autrefois parmi les plus larges oasis du monde (Harris et al., 1895) n’a pas pu échapper à ce déclin. Celle-ci a connu elle aussi une forte dégradation causée par de multiples facteurs qui interagissent les uns avec les autres. Dans le Tafilalet, la dégradation des ressources naturelles est affectée par différents facteurs au sein des écosystèmes existants. Elle est principalement causée à la fois par des facteurs naturels et des actions anthropiques qui s’accentuent avec le contexte socio-économique. La désertification, la salinisation, l’érosion des sols, la maladie du Bayoud (Fusariose), l’ensablement des terrains cultivés et les conditions climatiques sont tous des facteurs qui ont contribués au déclin des oasis (Riou, 1990; Belarbi et al., 2004; Vidal, 2005) La sévérité des facteurs précédemment cités peut être différente d’une oasis à l’autre selon des critères spécifiques à chacune. Cependant la cause commune de la régression observée dans toutes les palmeraies est la dégradation des ressources en eau indispensables à la survie de ces oasis (Jouve et al., 2004).

Chaque région a ses conditions spécifiques de l’eau. Dans les zones arides, l’importance de l’eau n’est pas à démontrer, vu que l’eau y constitue le facteur limitant de premier ordre (Yacoubi el al., 1997). La mobilisation des ressources en eaux (eau de crues, oueds, barrage, nappes, etc.) et le recours à l’irrigation sont des pratiques très anciennes dans les oasis (Tazi, 2009). Les problèmes liés aux changements climatiques, la rareté et l’irrégularité des précipitations, et la succession des sécheresses ont limité les ressources en eau de surface face à une demande qui ne cesse d’accroître (Messouli et al., 2009).

En effet, l’existence du système oasien était beaucoup plus liée à l’existence et à la disponibilité des ressources en eau de surface, ceci a fait objet de plusieurs études. Toutefois, peu d’attention était accordée à l’étude de l’impact des ressources en eau souterraine sur le développement des oasis et plus précisément dans le contexte marocain. L’objectif de cet article est de mettre en lumière l’importance des ressources en eau souterraines, bien qu’elles demeurent invisibles, ont joué un rôle primordial dans la conservation et la durabilité du système oasien. Il vise à comprendre et à analyser les différentes interactions entre la nappe souterraine et le développement de la palmeraie en prenant en considération l’ensemble des facteurs existants (naturels et humains), ee qui va nous permettre d’assurer une meilleure gestion des ressources en eau et donc la préservation du patrimoine oasien.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Description de la zone d’étude

Caractéristiques physiques

La plaine de Tafilalet au sens stricte (A ne pas confondre avec le grand Tafilalet au sens large) est située à l’extrême Sud Est du Royaume du Maroc, dans la zone pré-saharienne Sud Atlasique (Figure 1). Elle s’étend sur une superficie estimée à 700 km2 (Margat, 1962). Elle est limitée au nord par la vallée de Ziz, au sud par la vallée du bas Ziz, à l’est par l’oued Amerbouh et à l’ouest par l’oued Ghriss. Elle fait partie de la réserve de biosphère de l’UNESCO et présente un site d’intérêt biologique et écologique. La plaine s’étend longitudinalement entre la latitude 30° et 30° 31’; elle est traversée par la vallée de Ziz et l’oued de Ghriss qui garantissent l’irrigation des oasis et l’alimentation de la nappe phréatique. La superficie agricole utile est de 21.300 ha dont 19.290 ha est irriguée. La grande palmeraie de Tafilalet est constituée d’un ensemble de palmeraies avoisinantes. Le système de culture pratiqué comporte deux à trois strates: des palmiers, des arbres fruitiers et des cultures basses qui sont généralement, des céréales, des légumineuses, des cultures fourragères et maraîchères. Le nombre de strates est lié à la disponibilité de l’eau. De même, les cultures pratiqués en intercalaire sont choisies en fonction de la qualité de l’eau (Renovot et al., 2009). Dans cette zone, le système d’irrigation le plus répandu est l’irrigation gravitaire. L’irrigation goutte à goutte est très peu pratiquée (Keddal, 2006).

La région est soumise à un climat désertique à forte influence continentale. Le trait caractéristique des régions arides est l’insuffisance des précipitations (Faouzi, 1999). La plaine de Tafilalet est entourée par les reliefs montagneux culminant à des altitudes supérieures à 3.200 m de l’Atlas qui empêchent toute influence océanique d’une part, et ouverte aux masses d’air chaudes provenant du Sahara (Mina, 1991). Les précipitations sont très faibles avec une moyenne qui dépasse rarement les 85 mm et présentent une forte irrégularité spatio-temporelle. Les chutes de pluies directes sur la plaine sont d’une faible utilité pour l’agriculture et présentent peu d’intérêt pour les oueds et l’infiltration (Margat, 1962). Le régime annuelle des pluies montre l’existence de deux saisons pluvieuses bien distinctes par des crues importantes, l’automne et le printemps avec un nombre de jours pluvieux par an qui est très réduit (10 à 15 j/an) (Figure 2).

Les températures moyennes annuelles sont de l’ordre de 20°C et se caractérisent par des amplitudes journalières très élevées qui atteignent les 50°C (Kabiri, 2004). En moyenne, l’évaporation potentielle s’élève à 2.500 mm/an. Or, l’existence des palmiers crée un microclimat qui rend les conditions climatiques moins rudes et par conséquent fait diminuer l’évapotranspiration potentielle à 1.200 mm/an (Bouhlassa et Paré, 2006). L’évapotranspiration maximale est atteinte au mois de Juillet et le minimum au mois de Janvier (Bouhlassa et Paré, 2007) (Tableau 1). Le faible rapport P/ETP nécessite un recours à l’irrigation (pompage, épandage des eaux de crues et lâchées barrage).

L’évolution des sols du Tafilalet est surtout tributaire du mode d’utilisation et de la pratique d’irrigation (Delefolly, 1980). Les sols de la plaine du Tafilalet appartiennent à la classe des sols peu évolués, subdésertiques et d’apport alluvial. Les sols cultivés sont à caractère limono-argileux d’origine alluvionnaire du fait de l’irrigation depuis des siècles par les eaux de crues (Guimimi, 1991). La salinisation est très répandue dans le Tafilalet. Le dépôt des sels sous l’effet de l’évaporation se traduit par une salure plus élevée en surface et une tendance à l’alcalinisation en profondeur (Bousfoul, 2008). En dehors des périmètres irrigués, les sols sont peu évolués du fait des conditions climatiques sévères.

Caractérisation des ressources en eau

Dans le Tafilalet, les ressources en eau proviennent essentiellement des nappes souterraines et des apports des principaux oueds. Les chutes de pluies directes sur la plaine sont d’une faible utilité pour l’agriculture et présentent peu d’intérêt pour les oueds et l’infiltration (Margat, 1962). Les ressources en eau se caractérisent comme suit:

Les ressources en eau de surface

La plaine du Tafilalet est dominée par les bassins versants de Ziz et de Ghriss. Le réseau hydrographique se limite à deux oueds principaux qui sont le Ziz et le Ghriss qui prennent naissance dans le Haut Atlas et traversent la région du Nord au Sud. Ces deux cours d’eau se rapprochent beaucoup à l’intérieur de la plaine sans que leurs artères principales se confluent. Les eaux de crues présentent une ressource importante pour l’eau d’irrigation. Les précipitations ne permettent qu’un apport de moins de 4% des ressources en eau superficielle (Zerhouni, 1981). Le régime annuel de ces oueds se traduit par deux périodes de crue une en automne et l’autre en printemps séparés par deux périodes d’étiage en hivers et en été. Les apports d’eau de crues sont irréguliers et varient nettement d’une année à l’autre (Figure 3). Il est fonction des conditions climatiques et topographiques. Les périodes sèches peuvent durer cinq années successives et la succession de périodes humides ne dépasse pas deux années. Souvent, on enregistre des années humides séparées par une, deux ou trois années moyennes ou sèches. Les écarts entre les valeurs extrêmes sont considérables, surtout au niveau de l’Oued Ghriss. Les débits naturels pérennes sont faibles voir parfois nuls et ils sont perturbés par les prélèvements dû à l’irrigation (Figure 4).

En plus des apports des Oued Ziz et Ghriss, la plaine de Tafilalet profite des eaux dérivées par le canal Lahmida à partir de bassins intermédiaires. Aussi elle reçoit des lâchées d’eau périodiques qui sont effectuées à partir du Barrage Hassan Addakhil. Le lit de l’oued Ziz joue le rôle d’un canal adducteur qui véhicule ces crues artificielles jusqu’à l’amont du périmètre sur une longueur de 75 Km. Le nombre de lâchées est variable (1à 3 lâchées par an) (Figure 5).

En moyenne, la palmeraie de Tafilalet reçoit un volume de 100 Mm3 qui constitue à la fois les lâchées de barrage, les eaux des oueds et les eaux dérivées à partir des bassins intermédiaires. La rareté des précipitations dans la plaine de Tafilalet fait qu’elles participent faiblement à la reconstitution des eaux de surface. Le recours aux ressources en eau souterraine est donc indispensable pour combler le déficit en eau d’irrigation.

Les ressources en eau souterraine

La nappe de Tafilalet est la seule ressource souterraine qui alimente la palmeraie de Tafilalet. C’est une nappe phréatique de type quaternaire qui a presque les mêmes dimensions que la plaine et s’étend sur une superficie de 630 Km² (Margat, 1962). Suite à sa situation géographique, cette nappe est le lieu de convergence de la plus grande partie des eaux souterraines du bassin du Ziz-Ghriss. Son étendue est limitée car elle est cantonnée aux lits majeurs des oueds. Les formations géologiques quaternaires qui abritent la nappe sont très hétérogènes et présentent des degrés de perméabilité très variables avec une tendance à diminuer de l’amont vers l’aval.On distingue, à la base, des conglomérats, des calcaires lacustres et des sables qui contiennent la réserve essentielle de la nappe, surmontés par des alluvions graveleuses, des galets et des limons. Le substratum de la nappe est constitué des schistes cristallins et quartzites imperméables du Paléozoïque (Kabiri, 2004). Trois ordres principaux de perméabilité sont distingués:

- Élevée pour les alluvions sablo-graveleux (K = 10-3 à 3.10-2 m/s),

- Moyenne pour les conglomérats et les calcaires lacustres (K = 10-5 à 5.10-2 m/s),

- Faible pour les marnes lacustres, les calcaires compacts ainsi que la plupart des limons (K = 10-6 à 10-5 m/s).

La nappe phréatique de Tafilalet est considérée comme étant l’œuvre des agriculteurs qui, depuis plusieurs siècles, ont constitué par leur mode d’irrigation, basé principalement sur l’épandage des eaux de crues, un réservoir souterrain à partir des apports d’eaux extérieurs à la région. Elle repose sur un substratum primaire imperméable dont la profondeur varie entre 5 et 30 m. Ce substratum empêche toute vidange par sous-écoulement (Guimimi, 1996); aussi, la présence d’un seuil rocheux à son aval empêche tout drainage naturel.

L’approche diachronique

Pour la réalisation de ce travail, nous nous somme basé sur une approche dite diachronique afin de reconstituer l’histoire de la plaine de Tafilalet. Cette approche a pour objectif de retracer l’évolution de notre zone d’étude dans son intégralité et donc mieux comprendre les interactions entre les différentes composantes (climatiques, hydriques, édaphiques, végétales, animales et humaines) du système oasien. Une recherche bibliographique touchant l’ensemble de ces facteurs a été réalisée afin de faire un tracé historique sur une période de 50 ans et donc comprendre la dynamique de la palmeraie en mettant en lumière les événements majeurs qui ont marqué cette dynamique. Cette recherche bibliographique a été étayée par un ensemble d’enquêtes avec les différents acteurs (Agriculteurs, ORMVA, agence de bassin…). Un échantillon de 200 agriculteurs, réparties sur toute la zone d’étude a été pris. Ces enquêtes ont porté sur plusieurs aspects: dynamiques agricoles, mobilisation et gestion des ressources, adaptation aux événements (Bayoud, sécheresse, baisse de la nappe, salinité etc.)....

RESULTATS ET DISCUSSION

La palmeraie de Tafilalet après 50 ans d’évolution

La palmeraie de Tafilalet fait partie des palmeraies les plus importantes à l’échelle du Maroc. Sur les 48.000 ha de palmeraies recensés au Maroc, la plaine de Tafilalet seul englobe une superficie de 20.000 Ha soit presque 50% de la superficie totale. Autrefois, elle était considérée parmi les oasis les plus larges et les plus denses au monde (Harris et al. 1895). La grande palmeraie de Tafilalet est constituée d’un ensemble de palmeraies avoisinantes. Les deux grandes palmeraies principales sont Tizimi-Maadid et Rissani-Siffa rive gauche (communément appelé Tafilalet) et les petites palmeraies secondaire sont Od-Zohra et Siffa rive droite. On distingue trois types de palmeraies: des palmeraies denses qui sont bien irriguées par des eaux pérennes (Khettara, pompage…); des palmeraies claires assez régulièrement irriguées par crue ou par les lâchées du barrage (au moins une irrigation par an), et des palmeraies en bour (pluvial) qui ne sont irriguées que très rarement par les précipitations ou les crues. La synthèse des données existantes et de celles obtenues à partir des enquêtes a servi pour tracer l’historique de l’évolution de la grande palmeraie de Tafilalet. En 1950, le nombre de palmiers était de presque 1 million. En 20 ans, l’effectif du palmier dattier est passé à 700.000 palmiers. En 1985, on a recensé un effectif de 560.000 palmiers, ce qui représente une chute d’effectif de près de 50% en moins de 40 ans. De nouvelles extensions se sont installées dans la région, ce qui explique d’ailleurs l’augmentation des effectifs à partir des années 90. Cependant, la palmeraie traditionnelle a continué à se dégrader. Une comparaison de deux cartes que nous avons réalisé sur deux périodes différentes (1962 et 2012) montre clairement la transformation de l’oasis d’une palmeraie dense à une palmeraie clairière et dispersée (Figure 6). A partir de ces cartes, nous avons constaté que la grande dégradation est localisée au niveau de la palmeraie de Tafilalet proprement dite (Zone de Rissani). Le taux de dégradation annuel que nous avons calculé au niveau de la palmeraie est de 2,7% alors que le taux de renouvellement des plants et de 0,3%. Cette dégradation est causée par plusieurs facteurs.

La maladie du Bayoud se présente comme la cause principale de ce déclin. Selon Khardi (2003), le Bayoud a réduit les effectifs du palmier de plus de deux tiers. En effet, les agriculteurs que nous avons enquêtés ont affirmé que 80% des palmiers sont disparus à cause de cette maladie qui ne cesse de se propager sur tout le périmètre.

La rareté des ressources en eau disponible pour l’irrigation et la succession de longues périodes de sécheresse constitue aussi un facteur qui a fortement contribué à cette dégradation, que ce soit d’une manière directe ou indirecte. Les volumes apportés par les lâchées de barrage Hassan Addakhil restent très faibles et ne couvrent que 50% de la demande dans les meilleurs des cas. Les sécheresses prolongées ont entraîné le dessèchement partiel de plus de 500 000 palmiers (Jouve et al., 2004). Les niveaux de nappes ont fortement baissés, ce qui a induit le tarissement des puits et des khétaras. Le nombre de puits a diminué de moitié (certains puits sont taris, d’autres sont délaissés). Aussi, un exode massif a été enregistré suite aux longues périodes de sécheresses depuis 1970 (plus que 50% de la population est partie vers les villes et à l’étranger). Ceci avait comme résultats l’abandon de plusieurs terres et aussi la raréfaction de la main d’œuvre. En plus des facteurs précités, il y a aussi le vieillissement des plantations, la salinisation et l’ensablement qui affectent la productivité des terres agricoles ainsi que la désertification qui est très présente dans le Tafilalet sous l’action des variations climatiques et des activités humaines.

Caractérisation de la nappe phréatique de Tafilalet

La nappe phréatique de Tafilalet est considérée comme étant l’œuvre des agriculteurs qui, depuis plusieurs siècles, ont constitué par leur mode d’irrigation, basé principalement sur l’épandage des eaux de crues, un réservoir souterrain à partir des apports d’eaux extérieurs à la région (Margat et al., 1957; Margat, 1962). La profondeur de la nappe varie entre 4 et 25 m en période d’étiage et entre 0 et 20 m en période de recharge. Lors des enquêtes, une série de mesure de la piézométrie a été réalisée. A partir des résultats obtenus, nous avons constaté que la profondeur décroît du centre à la périphérie, elle atteint les niveaux les plus faibles à l’aval et au Sud-Est de la plaine. Les profondeurs varient entre 4 m et 24 m avec une profondeur moyenne de 13 m. Dans les périodes de recharge maximale, la profondeur varient entre 1 m et 18 m et parfois la nappe affleure à la surface du sol (cas du périmètre Maadid).

L’eau de cette nappe phréatique est très salée sur sa plus grande étendue, mais la gamme des concentrations est très large et varie en général avec des degrés de 1 jusqu’à 20 g/l. Au niveau du périmètre de Tizimi, l’eau de la nappe est fortement minéralisée et sa concentration est comprise entre 3 g/l et 5 g/l, elle augmente vers les limites Nord et Sud (jusqu’à 12 g/l). Le long du Ziz, on rencontre des eaux plus douces (1 à 3 g/l), liées à l’apport du sous-écoulement et à l’infiltration des eaux de crue moins concentrées. La série de mesure réalisée a donnée des concentrations de salinité entre 0,5 g/l et 13 g/l (Figure 7). Seulement 4% des eaux de la nappe ont une concentration inférieure à 2 g/l, 80 % ont une concentration supérieure à 5 g/l, ce qui dépasse un peu la limite d’utilisabilité pour l’irrigation. Aussi, nous avons constaté que la concentration augmente de l’amont vers l’aval.

La nappe phréatique du Tafilalet est alimentée essen-tiellement par les infiltrations des eaux superficielles (les lâchées du barrage et les crues provenant des oueds Ziz et Ghris) ainsi que par l’épandage des eaux d’irrigation. Ces apports constituent les 4/5 de sa recharge (Margat, 1962), La recharge par infiltration des eaux de pluies est très faible. Les figures 4, 5 et 6 montrent la forte corrélation entre la variation des niveaux piézométriques de la nappe, les restitutions du barrage et les apports des crues et donc on constate visiblement que la nappe de Tafilalet dépend fortement des conditions hydrologiques. Pour la décharge, elle se caractérise par une exploitation pour l’irrigation (stations de pompage, puits, khettara…) avec des faibles évacuations sous forme d’émergences. L’évapotranspiration constitue la grande part des sorties de la nappe, elle représente presque le 3/4 du bilan de la décharge (Margat, 1962). Le coefficient d’évapotranspiration est donc très élevé, ceci est expliqué par les conditions particulières du Tafilalet. Les pertes par évapotranspiration se traduisent d’une part par les prélèvements directs des racines et d’autre part par l’évaporation à la surface du sol suite au processus de remontée capillaire de l’eau de la nappe. Durant son évolution, la nappe est passée par plusieurs événements marquants qui ont affecté sa dynamique.

La dynamique de la nappe entre 1954 et 2013

l Avant 1970: les crues dévastatrices de 1965 ont contribué à une augmentation très remarquable des niveaux piézométriques. Les études hydrogéologiques réalisées à cette époque ont mis en évidence un état de suralimentation permanente de la nappe ainsi qu’un accroissement progressif de la concentration en sel de l’eau de la nappe et des sols sur le long terme, surtout en l’absence d’un drainage naturel. Toutes ces considérations ont montré la nécessité de procéder à un drainage artificiel de la nappe pour évacuer les eaux salines en dehors de la plaine (Guemmi, 1991).

l 1970-1980: cette période a connu la réalisation du drain en 1972. La mise en service du drain a coïncidé avec une période de sécheresse conjoncturelle qui a duré 10 ans. Durant cette période, les volumes pompés ont augmenté pour pallier au déficit en eau. L’association de tous ces facteurs a causé une chute catastrophique des niveaux de la nappe, ce qui a induit le tarissement de plusieurs puits et khettaras et bien sur un vannage du drain artificiel après des plaintes des agriculteurs suite au dépérissement de leurs palmiers.

l 1980-2002: en 1980, Après une sécheresse qui a duré presque 10 ans, la mise en service du barrage Hassan Addakhil a contribué à l’augmentation des niveaux piézométriques. A partir de 1985, quelques nouvelles extensions ont commencé à s’installer à proximité de la palmeraie traditionnelle en créant ainsi une nouvelle dynamique dans la zone.

l 2002-2012: Les niveaux de la nappe fluctuaient selon les années et les apports. En 2008, les niveaux de la nappe ont enregistré des remontées remarquables suite aux fortes pluviométries enregistrées (déversement du barrage pour la 1ère fois). Ceci a contribué à la revitalisation de plusieurs puits, sources et khettaras.

A travers son historique, nous constatons que la nappe de Tafilalet est très sensible et dépend fortement des conditions climatiques et hydrologiques (Figure 8). Elle représente la ressource en eau la plus facilement accessible mais aussi la plus vulnérable aux phénomènes de sécheresse et de pollution. Elle a connu un rabattement généralisé à travers la zone de l’ordre de 2 m dans la zone de piémont et de 3 à 6 m dans le Sud. Cette situation a induit le tarissement des khettaras et des puits et a directement affecté la production agricole. Cette nappe a été soumise à de nombreuse pressions qui ont causé son déséquilibre ; non seulement elle était affectée par la sécheresse et la rareté des précipitations, et donc une limitation des apports, mais elle était aussi sujette à une forte décharge que ce soit d’une manière directe à travers le pompage des eaux d’irrigation, ou d’une manière indirecte à travers les pertes par évapotranspiration. Une baisse de 50% de l’épaisseur de la nappe a été enregistrée entre 1961 et 2006.

Interaction entre l’évolution de la nappe et la dynamique de la palmeraie

La nappe de Tafilalet se présente comme la ressource en eau de base et en même temps la plus sûre pour assurer l’eau d’irrigation dans toute l’oasis (Tableau 2). La rareté et parfois l’absence des eaux pérennes au niveau de la plaine rend le recours aux eaux souterraines une nécessité primordiale. Au niveau de la plaine de Tafilalet, les apports des Oueds avec les restitutions du barrage Hassan Adakhil ne satisfont que 38% des besoins de la plaine. Or, ce taux reste très variable et incertains selon les années. En effet, les ressources de surface sont surtout utilisé pour le lessivage des terres agricoles vu les salinités élevées des eaux de la nappe.

Non seulement elle permet un approvisionnement direct de la palmeraie à travers les divers moyens d’exhaure (pompage, khettaras…), la nappe permet aussi une alimentation directe des palmiers à travers leur système racinaire bien développés. Durant les longues périodes consécutives de sécheresse, et en plus de la destruction par le Bayoud, des milliers de palmiers ont pu subsister grâce à la présence de la nappe qui les approvisionne en eau (Figure 9).

En effet, dans les conditions arides, comme le cas de Tafilalet, la nappe phréatique peu profonde peut contribuer de 60 % à 70% dans les besoins en eau des cultures (Grismer et Gates, 1988). Ceci a été confirmé par les agriculteurs qui ont assuré que la sécheresse ne tue pas les palmiers et que grâce à son système racinaire, le palmier peut chercher l’eau de la nappe jusqu’à des profondeurs importantes. C’est ce qui a été remarqué au niveau d’une parcelle de palmiers qui n’a jamais été irriguée et dont la profondeur mesuré de la nappe était de 13 m. De ce fait, on peut dire que l’eau de la nappe a contribué de manière claire dans le maintien et la durabilité du système oasiens. Ceci confirme ce qu’a dit Shah et al., (2007) sur le fait que les ressources en eaux souterraines ont contribué de manière significative au développement économique et la croissance démographique. Cependant, le caractère salin de cette nappe freine tout développement et entrave la réhabilitation de la palmeraie. En effet, la salinité des eaux n’encourage pas les agriculteurs à planter de nouveaux palmiers vu que les jeunes plants ne supportent pas des taux de salinité très élevés.

L’évolution de la nappe et la dynamique de la palmeraie sont liées par une relation de cause à effet qu’on peut désigner d’effet ping-pong (Figure 10). Tout changement affectant la nappe induit un changement au niveau de la palmeraie qui crée à un son tour un autre changement dans la nappe. Sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs (changements climatiques, Bayoud, exode rural...), la palmeraie a connu une dynamique controverse qui se traduit par une dégradation de la palmeraie traditionnelle d’un côté et le développement de nouvelles extensions généralement en monoculture de l’autre côté. La dégradation de la palmeraie traditionnelle tend à augmenter les terrains nus et donc automatiquement l’augmentation de la décharge de la nappe par évaporation; le développement des extensions de palmier en monoculture ont permis la création de nouveaux systèmes qui dépendent entièrement de la ressource souterraine. Ceci a induit une dégradation qualitative et quantitative de la nappe et donc le déclin d’un grand nombre de palmiers qui n’ont pas pu suivre le rythme accéléré des chutes piézométriques. Aussi, le tarissement d’un grand nombre de puits et de khetaras était observé, ce qui a accentué la dégradation de la palmeraie. Et donc on se retrouve à la fin dans cercle vicieux sans fin.

CONCLUSION

L’eau souterraine est la ressource de base pour la survie dans les zones arides. Cette ressource invisible est non seulement une ressource qui fournit l’eau d’irrigation, mais c’est aussi une ressource qui alimente directement les cultures du système oasien symbolisé par le palmier dattier. Ainsi, la durabilité et le maintien du système oasien dépend entièrement de ces ressources souterraines qui représentent la ressource en eau la plus facilement accessible mais aussi la plus vulnérable aux phénomènes de sécheresse et de pollution. En effet, les nappes sont soumises à des changements drastiques à l’échelle mondiale et à l’échelle locale et régionale. Au cours de ces dernières années, l’équilibre entre l’offre et la demande en eau est devenu plus ardue. En réponse aux changements climatiques que connaît la région, les volumes d’eau extraits sont en augmentation permanente. Ceci se traduit par des niveaux d’eau plus bas et des concentrations de sel plus élevés qui s’accentue avec les taux élevés de l’évaporation. La nouvelle dynamique d’extension des oasis et la vision de l’État pour le développement du secteur phoenicicole suscite des demandes plus élevées face à une ressource menacée, très limitée et très sensible à tout changement d’ordre physique ou sociale. Ceci nécessite la révision des politiques adoptés en intégrant une vision globale qui prend en considération toutes les composantes du système oasien et plus précisément la ressource en eau souterraine comme étant le premier facteur de production.

La réalisation de ce travail nous a permis de mieux comprendre les interactions entre la nappe phréatique et le développement de la palmeraie, toutefois il nous a permis de détecter quelque lacune de connaissance surtout en ce qui concerne la contribution direct de la nappe dans l’alimentation hydrique du palmier dattier et les besoins en eau de ce dernier, vu que c’est la clé de voute du système oasien. Ces deux paramètres représentent des termes importants du bilan hydrique afin d’assurer une meilleur gestion de la ressource. Pour répondre à cette question, un travail expérimental est en cours au sein de l’oasis de Tafilalet et qui va nous permettre de quantifier cette contribution.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Belarbi A, Boayad A. Diaou M., Kaassis N., Tidjani Miliki M. (2004). Agrobiodiversité et durabilité des systèmes de production oasiens dans la palmeraie d’Aoufous, ICRA, INRA, 167 p.

Bouhlassa S. et Paré S. (2006). Évapotranspiration de référence dans la région aride de Tafilalet au sud-est du Maroc. African journal of Environmental assessment and management 11:1-16.

Bouhlassa S. et Paré S. (2007). Effect of climatic parameters on reference evapo-transpiration in the Tafilalet arid area. Physical and Chemical News 12:1-6.

Bousfoul M., 2008. Gestion intégrée des ressources en eau. Revue Homme Terre et Eau 140:80-83.

Delefolly, J.L. (1980). Étude de la salure des sols du Tafilalet. Première partie: cartes isocones au 1/20000, ORMVAT Errachidia.

Faouzi E. H. (1999). Diagnostic hydrique de la culture de blé en milieu oasien. Une aide à l’avertissement, à l’irrigation dans le périmètre du Drâa moyen. Thèse de doctorat. Univ. Catholique de Louvain, Belgique.

Grenade R. (2013). Date palm as a keystone species in Baja California peninsula, Mexico oases. Journal of Arid Environments, V94:59-67.

Grismer E., Gates K. (1988). Estimating saline water table contributions to crop water use. California agriculture.

Guemimi A. (1991). Drainage des sols salés dans le Tafilalet. Revue Homme Terre et Eau p. 47-60.

Haddouch M. (1996). Situation actuelle et perspectives de développement du palmier dattier au Maroc Date palm cultivation in oasis agriculture of Mediterranean countries, Options Méditerranéennes. p. 63- 79.

Jouve P., Loussert R., Mouradi H. (2004). La lutte contre la dégradation des palmeraies dans les oasis de la région de Tata (Maroc). Colloque international, les oasis: services et bien- être humain face à la désertification.

Kabiri L. (2004). Contribution à la connaissance, la préservation et la valorisation des Oasis du Sud marocain: cas de Tafilalt. Thèse d’habilitation universitaire, Facultés des Sciences et Techniques, Errachidia, Université My Ismaïl, Maroc, 280 pp.

Keddal H. (2006). National study on date palm irrigation and associated crops in the kingdom of Morocco, FAO 74 p.

Khardi A. (2003). Aperçu des problèmes d’environnement pour l’agriculture oasienne. Revue Homme terre et eau. n° 127.

Margat J. (1962). Mémoire explicative de la carte hydrogéologique au 1/50000 de la plaine de Tafilalet.

Margat J., Moullard L. (1957). Le régime d’une nappe phréatique en domaine présaharien (Tafilalet, sud-est marocain). Congrès géologique international, p 299-315.

Messouli. M., Ben Salem A., Ghallabi B., Yacoubi-Khebiza M., Ait Boughrous A., El Alami El Filali A.,Rochdane S., Ezzahra Hammadi F. (2009). Ecohydrology and groundwater resources management under global change: a pilot study in the pre-Saharan basins of Southern Morocco. Options Méditerranéennes: Série A. 88:255-264.

Mina A. (1991). Contribution à l’étude hydrogeologique de la vallée de Ziz (Province d’Errachidia; Sud-Est du Maroc). Incidences respectives de la sécheresse et du barrage Hassan Addakhil sur les ressources en eau a l’aval. Thèse de doctorat de l’université de Franche-Comté France.

PNUD (2013). Ecosystem Assessment of Tafilalet Oasis- Synthesis, pp 1-24.

Renevot G., A. Bouaziz, T. Ruf et Raki M. (2010). Pratiques d’irrigation du palmier dattier dans les systèmes oasiens du Tafilalet, Maroc. Revue Homme terre et eau 146.

Riou Ch. (1990). Bioclimatologie des oasis. Option Méditerranéennes, série A 11: 207-213.

Sedra My. H. (2003). Le palmier dattier base de la mise en valeur des oasis au Maroc. INRA Edition. 265p.

Shah T., Burke J., Villholth K., (2007). Groundwater: a global assessment of scale and significance. In: Molden, D. (Ed.), Water for Food, Water for Life: A Comprehensive Assessment of Water Management in Agriculture, pp. 395-423. Earthscan, London, UK and IWMI, Colombo, Sri Lanka.

Skouri, M. (1990), Éléments de Synthèse et Conclusions: Les Systèmes Agricoles Oasiens. Options Méditerranéennes. Série A, 11, 1990.

Vidal. M. (2005). Ajustement entre des systèmes irrigués et des systèmes de culture diversifiés. Fonctionnement de deux oasis du Tafilalet Mémoire de Master 200 p.

Walter Harris W. Blackwood and Sons (1895). Tafilalet: the narrative of a journey of exploration in the Atlas Mountains and the oases of the north-west Sahara - 386 pages.

Yacoubi M. et Hanchane M. (1997). Importance de la pluviométrie en milieu aride et semi-aride marocain. Homme Terre et Eau 21-22.

Yang Guojing, BaishengYe, XiaXie; Lihua Zhou (2010). “Dynamics of oasis landscape in inland Shule River basin in arid northwest China,” Geoscience and Remote Sensing Symposium (IGARSS), pp.922, 925, 25-30 July 2010.

Zella L., Smadhi D. (2006). Gestion de l’eau dans les pays arabes. Larhyss Journal, pp.157-169.

Zerhouni A. (1981). Maîtrise des eaux dans le périmètre de Tafilalet. Hommes, Terre et Eaux, 42:13-19.