Résumé

Cette étude traite de l’effet de l’occupation des sols sur le ruissellement et les pertes en sols en relation avec les propriétés du sol. Trois types d’utilisation des sols ont été étudiés sous simulation de pluie: matorral, jachère protégée par la mise en défens et céréaliculture. Les résultats ont montré que les sols sous jachère sont les plus humides, les plus riches en matière organique (MO) et les plus stables, suivis des sols sous cultures et puis les matorrals. L?analyse des propriétés hydrologiques met clairement l?influence négative des matorrals et la mise en culture sur le comportement hydrologique des sols. Les sols des matorrals présentent la plus faible capacité d’absorption d’eau (infiltrabilité= 29.48 mm h-1), le coefficient de ruissellement kr le plus élevé (kr = 53.12 %) et la plus forte perte de ses particules par détachabilité (153.45 g/m²/h). Cette perte du sol par détachabilité est équivalente en moyenne à presque 10 fois la quantité enregistrée sous jachère (14.36 g/m²/h) et 3.5 fois celle obtenue en sol agricole (42.86 g/m²/h). On note que les pluies d?imbibition sont plus élevées sous jachères (36.61 mm) que sous les sols agricoles (11.97 mm) et les matorrals (1.08 mm). L’analyse des corrélations montre que le comportement hydrologique du sol brunifié dans le bassin Tleta est régi par son état de surface et sa richesse en MO. L’infiltrabilité du sol et la pluie d’imbibition sont très corrélées positivement à la surface couverte du sol (r=0.93 ; r=0.75), à la teneur du sol en MO (r=0.90 ; r=0.99) et à la stabilité structurale du sol (r=0.82 ; r=0.99) respectivement. Par ailleurs, le ruissellement généré et la détachabilité du sol suite aux précipitations sont liés négativement au taux de surface du sol couverte par la végétation (r =-0.92, r=-0.88) et à la teneur de la MO du sol (r =-0.83 ; r= -0.87).


Mots-clés: occupation du sol, érosion, simulation, matière organique, état de surface

INTRODUCTION

Selon la FAO (1990), les sols dans la zone méditerranéenne sont très touchés par l’érosion hydrique. 40% des terres au Maroc, 45% en Tunisie et 50% en Turquie se trouvent fortement menacé par cette forme de dégradation. Cette dernière est la résultante des pressions anthropogéniques conjuguées aux conditions climatiques. Les études sur la vulnérabilité aux changements climatiques dans la région méditerranéenne ont révélé une tendance à un accroissement de l’aridité qui accélère l’érosion hydrique (Stefanidis et Stathis, 2018).

En générale et notamment au Maroc, l’érosion réduit la capacité de stockage hydrique des barrages, limitant par conséquent la quantité et la qualité des eaux mobilisables. Ainsi, la tranche d’eau perdue chaque année est évaluée à 75 millions de m3 (Badraoui, 2006). Dans la région du Rif situé au nord du Maroc, zone très arrosée, que malgré qu’elle ne couvre que 6% en termes de superficie, elle produit aux environs de 60% des sédiments générés par l’érosion hydrique à l’échelle nationale (Heusch, 1970). Notre étude a été menée au niveau du Bassin versant Tleta, situé dans le Rif occidental. Ce bassin est impacté par le phénomène d’érosion hydrique qui occasionne des pertes moyennes annuelles en sols de l’ordre de 39 T ha-1 annuellement (Bonn, 1998). Les effets de ce phénomène se traduisent par une forte production de sédiments et une diminution de la capacité de stockage du barrage Ibn Batouta, se trouvant à l’exutoire du bassin versant Tleta, par envasement (Belkheiri, 1987). Ce taux d’envasement est de 0.6 Mm3 annuellement (Badraoui and Hajji, 2001). Dans cette optique, plusieurs études ont été effectuées sur la problématique d’envasement de ce barrage et qui ont confirmé que le facteur couvert végétal intervient en grande partie dans le phénomène d’érosion du sol, et par conséquent dans l’envasement du barrage (Hammouda, 2010 ; El Bazi, 2014). Il est connu que le couvert végétal réduit l’érosion par la dissipation de l’énergie des gouttes de pluies, ralentit l’écoulement des eaux à la surface du sol et maintient une certaine porosité superficielle adéquate tout en évitant l’encroûtement superficiel par l’amélioration de la stabilité structurale des sols (Roose, 1996). Par ailleurs, le surpâturage réduit le couvert végétal et entraîne un tassement de la surface du sol en réduisant la porosité superficielle des sols et leur infiltration. Il augmente ainsi les risques de ruissellement et d’érosion (Sabir et al., 2007). Au niveau du bassin versant Tleta, le couvert végétal est en perpétuelle régression (El Haddad, 1993). El Bazi (2014) a montré que le couvert végétal dense a diminué en moyenne durant la période 1977-2010 passant de 35,5% de la superficie du bassin à 11% et ce, au profit du couvert végétal moyennement dense et des cultures. Quant aux sols nus, ils sont passés de 2,7% à 6% de la surface du bassin Tleta.

Face à cette situation cruciale, une compréhension du comportement hydrologique du sol, soumis à diverses utilisations du sol est nécessaire. En effet, il serait très utile de déterminer la part de l’eau de pluies qui s’infiltre réellement et de celle qui se perd par ruissellement et susceptible de provoquer l’érosion. Cela dans le but d’assurer une intervention efficace en matière d’aménagement notamment une gestion conservatoire de l’eau et du sol. Les objectifs spécifiques assignés à cette étude sont 1/ d’étudier les effets des utilisations des sols sur certains propriétés du sol et leur comportement hydrologique ; 2/ d’identifier les indicateurs facilement mesurables des risques de ruissellement et d’érosion à savoir : l’état de surface, l’infiltrabilité, la pluie d’imbibition, le coefficient de ruissellement, la détachabilité, la matière organique, la densité apparente, la porosité et la stabilité des agrégats et 3/ d’identifier les relations entre les indicateurs de risques d’érosion et les propriétés du sol.

MATERIELS ET METHODES

Zone d’Etude

Le bassin versant Tleta est situé géographiquement dans le Rif occidental, à mi-chemin entre les deux grands centres urbains de Tanger et Tétouan (Figure 1). Le bassin versant Tleta couvre une superficie de 17 700 ha, avec une altitude moyenne de 171 m et une pente moyenne de 16%, dont 60% de sa superficie se situe au-dessus de 100 m d'altitude. Il constitue l’unité hydrologique qui alimente le barrage Ibn Batouta (capacité de 40 millions de m³) localisé à son aval et qui est construit en 1977. Selon le système de la classification (CPCS, 1967), ce bassin versant est caractérisé par une mosaïque pédologique variée de sols : peu évolués (10.02 %), minéraux bruts (0.22 %), vertisols (12.37 %), calcimagnésiques (0.37 %), brunifiés (2.99 %), à sesquioxydes de fer (1.44 %) et hydromophes (6.31 %), ainsi que des unités complexes (66.28 %) résultant d’un mélange de ces sols (El kamoune, 2009).

Figure 1. Situation géographique du bassin versant Tleta

Le climat de ce bassin versant est du type méditerranéen et se situe dans l’étage bioclimatique subhumide avec des hivers chaud, caractérisé par une période sèche entre mai et septembre et une période humide entre octobre et mars. Les températures varient de 8°C en Janvier à 35°C en Août. C’est l’une des régions les plus arrosées du Maroc avec des précipitations moyennes annuelles de l'ordre de 750 mm. Malgré cette relative abondance de la ressource hydrique, ses habitants souffrent d’une pénurie d’eau potable. L’occupation des sols du bassin versant de Tleta est composée d’une végétation naturelle et une végétation transformée (El Kouraimi, 1997). Ces formations subissent diverses pressions anthropiques (surpâturage, incendies et coupes) qui entrainent leurs dégradations. 1% des superficies des terres forestières ont été transformées annuellement en zones de cultures entre 1963 et 1987 (Nash et al., 2008). La forêt naturelle est presque absente dans tout le bassin versant. Elle est constituée de quelques fragments de chênaie (Quercus suber) et d’Oléastraie (Olea europaea) couvrant 10.14% de la superficie du bassin. Le matorral est la seule formation végétale naturelle qui subsiste avec ses quatre types :1/ un matorral dense reboisé sur substrat gréseux occupant 8.04% ; 2/ un matorral dense non reboisé qui se développe sur un substrat gréseux et qui est issus de la dégradation de l’ancienne subéraie, couvrant 0.43% ; 3/ un matorral haut et dense caractérisé par l’abondance de Pistacia lentiscus, Callicotome villlosa et par l’existence de quelques pieds et parfois des bouquets d’Olea europaea, il occupe 8.04% de la superficie totale du bassin et 4/ un matorral bas et clair marqué par la dominance de Callicotome villlosa et de Chamaerops humilis, couvrant ainsi 5.15% de la superficie du bassin Tleta (El Kamoune, 2009). Les reboisements rencontrés sont à base de Pin d’Alep (Pinus halepensis) ; d’Eucalyptus camaldulensis et Acacia cyanophylla. Ils ont été effectués dans un but de protection du sol contre l’érosion. L’agriculture au niveau du bassin versant est principalement à base de la céréaliculture. Les céréales représentent 67% de la surface cultivée, les légumineuses 17%, les cultures fourragères 9% et les cultures maraîchères 7% (El Kamoune, 2009). L’assolement d’hiver est constitué de 60% de blé dur, 30% d’orge et 10% de légumineuse. L’assolement d’été est constitué de 90% de sorgho et 10% de jachère pâturée (Dhman, 1994).

L’étude a été réalisée sur sols brunifiés avec trois types d’occupation du sol à savoir un matorral, une jachère et une céréaliculture. Les pentes moyennes des sites expérimentaux sont de 14% sous matorral, 16% sous jachère et 16% sous culture. Sur chaque type d’usage du sol, nous avons effectué trois répétitions de test de simulation de pluie, des évaluations des états de surface, des estimations du degré de la compaction de l’horizon de surface du sol et l’état de cohésion des particules des sols entre elles respectivement, par des essais pénétrométriques et des tests de cisaillement et des prélèvements du sol à une profondeur de 10 cm pour la caractérisation des sols et la détermination de certaines propriétés physiques du sol.

Tests de simulation de pluie

Le simulateur de pluies utilisé dans la présente étude est un simple irrigateur manuel (Roose, 1996). Il est constitué d’une rampe d’arrosage de 50 cm de large, comportant une ligne de trous de 0.5 mm de diamètre distants de 1 cm, reliée par un tuyau souple d’environ cinq mètres de long à un bidon de 60 litres situé au-dessus de la placette. Cette placette mise en place dans la direction de la pente du terrain, de superficie de 1 m² (60 cm x 166 cm) est délimitée latéralement par deux cornières métalliques de 1.66 m de long, simplement posées sur le sol de façon à matérialiser les côtés de la placette sans briser l’état de surface du sol. Des bourrelets de terre humide sont disposés sur l’extérieur des barres pour les stabiliser et assurer le cas échéant l’étanchéité de la bordure. À l’aval, un métal de forme triangulaire à bord arrondi est conçu pour recueillir les eaux de ruissellement suite à des pluies d’intensité aux environs de 80 mm/h et les conduire à un récipient pour leur collecte et leur quantification.

Dans un premier temps, nous avons évalué le temps de réaction du sol (Tr) qui correspond à l’apparition du ruissellement. Puis, on a procédé à la détermination de la pluie d’imbibition (Pi) en mm qui est la hauteur d’eau infiltrée avant le début de ruissellement selon la formule suivante:

Pi (mm) = (i * Tr)/60 (1)

Avec i : l’intensité de l’averse en mm/h et Tr le temps de réaction du sol en heure

Ensuite on a estimé l’infiltrabilité If (ou capacité d’infiltration d’un sol) qui n’est autre que le flux d'eau maximal que le sol est capable d'absorber à travers sa surface, lorsqu'il reçoit une pluie efficace ou s'il est recouvert d'eau. Cette capacité d’infiltration décroît avec le temps lors d’un événement pluvieux. Elle tend progressivement vers un régime constant appelé infiltration permanente ou infiltration finale If (mm/h). Ainsi, son évaluation a été obtenue par le calcul de la moyenne des deux dernières valeurs d’infiltration permanente.

Les états de surface du sol

Une fois la parcelle est installée, on a procédé à la mesure de l’état de surface, par la méthode de points quadrats décrits par Roose (1996). Cette méthode consiste à placer à l’intérieur de la parcelle deux transects en diagonale à l’aide d’un mettre ruban, on évalue à chaque 2 cm l’état de surface rencontrée (surface nue ou couverte et surface fermée ou ouverte). Les surfaces couvertes au ras du sol (SC) englobent tout ce qui est litière, végétation et cailloux non intégrés dans la masse du sol ; les surfaces ouvertes (SO) concernent surtout les fissures, les galeries et les mottes constituant des pièges favorisant l’infiltration ; et les surfaces fermées (SF) correspondent aux zones obturées par une pellicule de battance (environ 1 mm d’épaisseur), croûte de sédimentation (3 à 30 mm d’épaisseur), semelle de tassement, croûte d’érosion (d’épaisseur allant de 5 à 30 mm et très tassée), témoin de passage d’un animal ou d’un dépôt provenant de l’érosion hydrique et surface des cailloux intégrés dans le sol.

Les essais pénétrométriques et des tests de cisaillement

Des mesures de la résistance du sol à la pénétration à l’aide d’un pénétromètre de poche (PEN kg/cm²) et au cisaillement à l’aide d’un cisomètre de poche (SS kg/cm²) ont été réalisées aux alentours de la parcelle à raison de dix répétitions pour chaque paramètre.

L’indice de rugosité Ir

Il a été déterminé, par la méthode de la chaînette (Roose, 1996) qui consiste à utiliser une chaînette métallique posée de façon rectiligne. Ir (%) correspond au rapport de longueur de la chaînette déployée sur la longueur de la mesure. Trois répétitions sont mesurées pour chaque placette.

La détachabilité du sol

La mesure de la détachabilité consiste à la quantification des sédiments transportés par les eaux de ruissellement et conservées dans les jerricanes à la fin de la simulation de pluie. Par parcelle de simulation, on prend 500 ml de cette eau après agitation dans un bêcher qu’on dépose pendant 72h afin que les sédiments se redéposent jusqu’à la clarté de l’eau. Pour les séparer, on pipette cette eau dans le levier jusqu’aux sédiments déposés. Par la suite, les béchers tarés contenant des sédiments sont séchés à l’étuve pendant 24h à 105°C. Après séchage, les béchers sont repesés pour trouver la masse des sédiments.

La caractérisation physico-chimique du sol

Pour chaque occupation du sol, trois prélèvements du sol autour de la parcelle de simulation de la pluie ont été effectués dans la couche 0-10 cm, afin d’en déterminer la texture, l’humidité du sol et la teneur en carbone organique. La texture est déterminée par la méthode densimétrique (Day, 1965). La détermination de l’humidité a été faite par gravimétrie après séchage à l’étude pendant 24h à 105°C. Le carbone organique a été déterminé par la méthode de Walkley et Black (1934), qui consiste en une oxydation à froid du carbone organique par un mélange de bichromate de potassium en milieu sulfurique.

La stabilité structurale du sol

Trois échantillons de sol ont été prélevés à la surface (0-10 cm) de chacune des trois types d’utilisations du sol afin d’étudier la stabilité des agrégats selon la procédure proposée par Le Bissonnais (1996). Les échantillons ont été tamisés à sec pour obtenir des agrégats de 2 à 5 mm qui ont été ensuite séchés à l'étuve à 40°C pendant 48 heures. Ces agrégats ont subi trois tests de stabilité. (1) un traitement d’humectation rapide par immersion simulant la désagrégation du sol sous pluie intense après une période sèche; environ 5 g d'agrégats ont été mis dans un bécher et immergés dans l'eau distillée pendant 10 minutes; (2) un traitement d’humectation lente par capillarité imitant le comportement du sol sous pluie modérée en période humide; environ 5 g d’agrégats ont été humectés par capillarité (à l’aide d’un papier filtre) avec de l'eau distillée pendant 60 minutes; (3) un traitement de désagrégation mécanique par agitation après ré-humectation permettant de tester la cohésion du sol à l'état humide indépendamment de l'éclatement; environ 5 g d'agrégats ont été immergés dans l'éthanol pendant 30 minutes, puis transférés dans un flacon d'eau distillée; l'ensemble a été soumis à 20 retournements sur un agitateur rotatif et laissé à décanter pendant 10 minutes. Après chacun des trois traitements décrits ci-haut les agrégats ont été transférés et tamisés à 50 μm dans l'éthanol. La détermination de la distribution des différentes classes d'agrégats a été ensuite réalisée sur les agrégats séchés par un tamisage à sec sur une colonne de 6 tamis de maille décroissante de 2 mm à 0.05 mm après 20 basculements latéraux de cette colonne. Le diamètre moyen pondéré (DMP) des trois traitements (eau, éthanol et ré-humectation) a été calculé par la formule suivante (Le Bissonnais, 1996) :

DMP (mm) = Σ (DM entre 2 tamis x [% pondéral des PR sur le tamis])/100 (2)

avec DMP : diamètre moyen pondéré ; DM : diamètre moyen ; PR : particules retenues

La densité apparente du sol

La mesure de la densité apparente (Da) a été réalisée selon la procédure décrite par Grossman et Reinsch (2002). Nous avons prélevé dans chacun des trois occupations des sols des cylindres non remaniés de 1600 cm3 à 10 cm de profondeur du sol et avec trois répétitions. Ces cylindres ont été pesés et laissés à l’étuve (105 °C) pendant 24h et repesés pour obtenir le pourcentage du poids de l’eau par rapport au poids du sol sec. Ce dernier est ramené au volume du cylindre pour avoir la densité apparente de l’échantillon.

La porosité totale du sol

Une fois la densité apparente connue, on a pu déduire la porosité totale P (%) comme suit :

P% = 100% - ((Da/Dr) * 100) (3)

avec Dr = densité réelle du sol= 2.65 g cm-3.

Analyses statistiques

Afin de trouver les corrélations qui puissent exister entre les paramètres hydrologiques du sol et les différentes propriétés du sol et comparer les effets des occupations des terres sur le comportement hydrologique du sol, des traitements statistiques ont été effectués à l’aide du logiciel SPSS. Ces traitements ont consisté en des régressions simples, des analyses de la variance et de comparaisons des moyennes selon la méthode de la plus petite différence significative (P.P.D.S) avec P<0.05.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Influence des utilisations des sols sur les propriétés et le comportement hydrodynamique des sols

Les résultats de cette étude montrent que dans le bassin Tleta au Rif occidental Marocain, les modes d’utilisations des sols ont un effet sur les propriétés physico-chimiques du sol (Tableaux 1 et 2).

Tableau 1. Caractérisation physico-chimique des sols pour les diverses utilisations des sols étudiées en g 100 g-1.

En générale, le matorral présentait des propriétés du sol significativement différentes de celles sous jachère et sous céréaliculture (Tableau 1). Les plus faibles valeurs de pourcentage d’argile, de teneurs en humidité et en matière organique du sol ont été enregistrées sous matorral (21 ; 17.85 et 2.4 g 100g-1 respectivement) et les valeurs les plus élevées sont trouvées dans les sols de la jachère (48.7 ; 25.85 et 3.6 g 100g-1). Les teneurs plus élevées de matière organique sous jachère, protégée par la mise en défens, que celle en zone agricole peuvent être expliquées par la protection de la matière organique contre diverses attaques notamment la minéralisation consécutive à l’aération du sol suite au travail du sol (Diallo et al., 2004). La teneur élevée de l’humidité de surface au niveau de la jachère et de la culture s’expliquerait par le taux important de la couverture du sol au niveau de ces deux utilisations, soit 83,33 % dans la jachère et 65 % dans la culture, comparativement au matorral où la couverture du sol ne dépasse guère les 43 % (Tableau 3).

La densité apparente est élevée au niveau du matorral par rapport aux deux autres utilisations, soit 1.38 g cm-3 sous matorral contre 1.27 g cm-3 sous jachère et 1.21 g cm-3 sous culture (Tableau 2). Cette variabilité pourrait être due au tassement sous l’effet de la semelle de labour et sous l’effet des piétinements des animaux en matorral, ce qui n’est pas le cas pour la jachère qui est protégée partiellement par la mise en défens. Cependant, cette différence est non significative aussi bien pour la densité apparente que pour la porosité du sol entre les différentes occupations des sols. Le constat est que la porosité du sol (52.13 g 100g-1) en jachère est plus élevée que celle (47.97 g 100g-1) en matorral (Tableau 2). Il est donc probable que cette situation est favorisée par les racines de la végétation herbacée qui explorent les horizons de surface et l’activité pédofaunique qui crée beaucoup de galeries. Le taux élevé de la porosité au niveau du sol labouré dans les dix premiers centimètres de profondeur (54.23 g 100g-1) est dû aux pellicules de battance, mottes et cailloux non intégrés qui favorisent la porosité en surface.

Tableau 2. Effet des utilisations des sols sur les propriétés physiques du sol.

Les résultats des tests de la stabilité structurale (Tableau 2) montrent pour le test eau et celui de la ré-humectation lente, qu’il n’y a pas eu de différence statistique entre les valeurs de MWD du matorral et de la céréaliculture. Alors que pour le test de l’alcool, il y a des différences statistiquement significatives entre les trois utilisations du sol. La stabilité structurale est plus élevée sous jachère qui présente le taux de matière organique (MO) le plus élevé (3.6%), suivie de la culture avec un taux de matière organique de 2.8% et finalement le matorral (2.4% de MO). Les résultats des analyses statistiques sur les données des expérimentations montrent que la stabilité structurale et la matière organique des sols pour les diverses utilisations des sols sont fortement corrélés positivement (87%

Les résultats de l’effet des utilisations des sols sur l’état de surface du sol présentés dans le tableau 3, montre que cet effet sur le paramètre de la surface ouverte ne se fait pas ressentir. En d’autres termes, il n’existe aucune différence significative entre les résultats de la surface ouverte. Alors que la différence est très significative pour le paramètre de couverture du sol. Le sol sous matorral est le moins couvert. En revanche, il est moyennement couvert sous culture et très couvert sous jachère. Toutefois, la couverture importante en jachère est due à la végétation herbacée et à la litière. Le sol sous labour est couvert, d’une part, par les mottes et les pellicules et d’autre part, par les touffes de céréales. La couverture du matorral est assurée par quelques herbacées piétinées par le bétail, et les cailloux non intégrés sur la surface du sol (Figure 2).

Tableau 3. Effet des utilisations des sols sur les paramètres de l’état de surface du sol.

Le matorral présente la résistance à la pénétration la plus forte (2.45 kg cm-2), ce qui indique un fort tassement du sol par le piétinement du bétail, tandis que la jachère présente une résistance moyenne à la pénétration soit 1.45 kg cm-2, alors que la culture est marquée par une faible (0.5 kg cm-2) résistance à la pénétration (Tableau 3). Ce résultat est conforme à celui trouvé dans les parcours du Rif occidental par Sabir et al. (2004). Les terres cultivées sont moins denses, mais elles se couvrent rapidement de pellicules de battance, de croûtes d’érosion et de sédimentation, d’où des ruissellements plus élevés en fin de pluie. Étant moins cohérentes, elles sont plus érodibles.

Figure 2. Etat de surface du sol sous matorral (a), jachère (b) et céréaliculture (c).

Il est connu que le cisaillement est un paramètre qui renseigne sur l’énergie utilisée par l’eau pour arracher les sédiments du sol. Les résultats consignés au tableau 3 montrent qu’il n’y a pas de différences significatives concernant les valeurs du cisaillement entre les trois types d’utilisations des sols étudiés. L’eau utilisera plus d’énergie (2.68 kg cm-2) pour détacher les particules du sol sous jachère, car il est plus couvert par la végétation herbacée et la litière qui le protègent. Au niveau de la zone de culture, suite à l’absence de la cohésion entre les particules, la valeur moyenne de cisaillement (1.6 kg cm-2) est faible en la comparant à celle du sol sous jachère, l’eau utilisera moins d’énergie pour arracher les particules qu’elle entrainera dans les eaux de ruissellement.

Les différences ne sont pas significatives entre la rugosité des différentes utilisations du sol. En effet, la valeur élevée de la rugosité au niveau de la culture conventionnelle (10.19 %) est due au travail du sol qui génère des mottes donnant un certain relief à la surface du sol. La rugosité la plus faible est enregistrée au niveau du matorral soit 8.15 % due au tassement du sol par le piétinement animal.

Le suivi de l’effet des utilisations des terres sur les paramètres hydrologiques du sol a montré que le changement d’occupation des sols a affecté significativement l’infiltration finale (If), l’infiltration moyenne à l’équilibre (Ke), la pluie d’imbibition (Pi), le coefficient de ruissellement (Kr) et la détachabilité du sol (D) (Tableau 4).

Tableau 4. Effet des utilisations des sols sur les propriétés hydrologiques du sol.

Le sol sous matorral a une infiltration finale plus faible que celles sous culture et jachère avec un coefficient de ruissellement très élevé (53.12%). La faible infiltration (29.48 mm h-1) et le ruissellement important sont dus au tassement et à la fermeture de la surface du sol sous matorral. Sous culture, la surface est plus rugueuse à cause du travail du sol et donc l’eau s’infiltre plus rapidement (55.08 mm h-1), alors que sous jachère, l’effet combiné de la rugosité et de la couverture du sol lui permet d’augmenter sa capacité d’absorption d’eau soit 64.60 mm h-1 (Figure 3).

Figure 3. Evolution de l’infiltration mesurée par la simulation de pluie sous matorral, jachère et culture de céréales au bassin versant Tleta.

La pluie d’imbibition est faible au niveau du matorral (1.08 mm), modérée en culture (11.97 mm) et importante au niveau de la jachère (36.61 mm). La présence de la litière et de la végétation herbacée peut expliquer cette différence (Tableau 4).

La détachabilité est plus importante au niveau du matorral (153.45 g/m²/h). Elle est équivalente en moyenne à presque 10 fois la quantité enregistrée sous jachère (14.36 g/m²/h) et 3.5 fois celle obtenue en sol agricole (42.86 g/m²/h). Ceci est dû à l’effet de la régression de la couverture végétale (Tableau 3) et à l’importance du ruissellement qui est très important au niveau du matorral (Tableau 4).

Relation entre les propriétés hydrologiques, l’état de surface et les paramètres physiques du sol

Le tableau 5 présente les données de corrélations entre les paramètres hydrologiques, les paramètres physiques du sol et ceux de l’état de surface du sol. L’infiltration finale If est corrélée positivement au taux de surface couverte avec un coefficient de corrélation r= 0.93. En d’autres termes, le taux de couverture du sol explique la variabilité de l’infiltration finale à 87%. La teneur en matière organique du sol est fortement corrélée à l’infiltration finale, il explique sa variation à 82%. Ces résultats permettent d’attribuer un rôle important à la matière organique dans la dynamique de l’infiltration (r= 0.82). Le taux d’infiltration est d’autant plus important que la stabilité structurale soit élevée (Musy and soutter, 1991). Pour ce qui est de la pluie d’imbibition Pi, sa variabilité est plus expliquée par la matière organique et la stabilité structurale du sol (r= 0.99) et dans une moindre mesure par le taux de couverture (r= 0.75). Ces résultats concordent avec ceux enregistrés par les travaux de Sabir et al. (2004). En ce qui concerne le coefficient de ruissellement Kr et la détachabilité D du sol, ils sont corrélés négativement avec le taux de surface couverte. Un changement dans ce dernier peut expliquer jusqu’à 84% de la variabilité du coefficient de ruissellement et 77% de la détachabilité des sols.

Tableau 5. Relation entre les propriétés hydrologiques, les paramètres physiques et l’état de surface du sol.

CONCLUSIONS

Globalement, on peut conclure que le type d′occupation des sols régit le comportement hydrologique du sol et a un effet sur les indicateurs des risques de ruissellement et d′érosion (propriétés physiques, hydrologiques, état de surface et la matière organique du sol). La couverture de la surface est nettement plus faible sous matorral à cause de surpâturage (43 %) que sous céréaliculture (65 %) et jachère protégée par la mise en défens (83 %). Les sols sous jachère sont les plus humides, les plus riches en matière organique et les plus stables, suivis des sols sous cultures et puis les matorrals. L′analyse des propriétés hydrologiques met clairement l′influence négative des matorrals et la mise en culture sur le comportement hydrologique des sols. Les sols des matorrals sont les moins filtrants (29.48 mm h-1) et les plus ruisselants (coefficient de ruissellement kr= 53.12 %). La détachabilité est plus importante au niveau du matorral (153.45 g/m²/h). Elle est équivalente en moyenne à presque 10 fois la quantité enregistrée sous jachère (14.36 g/m²/h) et 3.5 fois celle obtenue en sol agricole (42.86 g/m²/h). On note que les pluies d′imbibition sont plus élevées sous jachères (36.61 mm) que sous les sols agricoles (11.97 mm) et les matorrals (1.08 mm).

L’analyse des corrélations montre que le comportement hydrologique du sol brunifié dans le bassin Tleta est régi par son état de surface. L’infiltration finale est hautement corrélée à la surface couverte du sol (r= 0.93), à sa teneur en matière organique en surface (r= 0.90) et à sa stabilité structurale (r= 0.82). Quant à la pluie d’imbibition, elle est très hautement corrélée à la matière organique de surface (r= 0.99), à la stabilité structurale (r= 0.99) et moyennement corrélée au taux de couverture du sol (r= 0.75). Par ailleurs, le coefficient de ruissellement et la détachabilité du sol sont corrélés négativement aux taux de couverture, à la matière organique ainsi qu’à la stabilité structurale du sol. A la lumière de tous ces résultats, il est clair que la mise en culture entraîne une dégradation des sols. Nous recommandons aux agriculteurs du Bassin Tleta de laisser reposer temporairement leurs terrains en jachère afin de restaurer les principales propriétés hydrologiques de leurs sols et d’assurer une meilleure résistance à l’action érosive de la pluie.

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