Résumé

Au cœur du bassin du Sebou, la plaine du Saïss renferme un système aquifère composé de deux nappes superposées et inter-communicants, jouant un rôle considérable dans le développement socio-économique de la région, à travers la satisfaction des besoins en eau potable et d’irrigation. A partir des années 80 et avec l’avènement de la sécheresse, cette nappe a connu une forte surexploitation, se traduisant par un bilan annuel déficitaire de 100 Mm3. Cette problématique a suscité l’intérêt de la communauté scientifique,produisant ainsi une importante masse de données hétérogènes et dispersées, qu’il fallait intégrer dans un seul entrepôt de données. L’exploitation de cet entrepôt nous a permis d’évaluer l’évolution des ressources en eau souterraines du Saïss par le biais d’une cartographie indiquant la localisation des points d’eau et des sources, et des graphiques dressant l’évolution spatiale et temporelle de la piézométrie des nappes et des débits de sources. Certes, l’intégration des données spatio-temporelles dans un seul entrepôt de données afin de les exploiter et les analyser est considérée comme étant une étape primordiale dans le processus de construction d’un système d’aide à la décision. Toutefois, elle reste confrontée à plusieurs contraintes et limites telles que l’incertitude dans les différentes étapes du processus d’intégration.


Mots clés: Saïss, système aquifère, déficit, inter-communicants, intégration, entrepôt, incertitudes

INTRODUCTION

L’irrigation localisée est considérée comme une technique économe en eau, qui permet une augmentation des rendements et est souvent proposée comme réponse pour les grandes crises de l’eau (Postel, 2000; Bourzac, 2013). Pour moderniser l’agriculture irriguée au Maroc, le pays a mis en place le Plan Maroc Vert (PMV) qui vise en plus de la modernisation de l’agriculture, l’amélioration des revenus des agriculteurs. Une composante principale du PMV est le Programme National d’Économie d’Eau en Irrigation (PNEEI) qui consiste en la reconversion de 550.000 ha à l’horizon de 2022 de systèmes d’irrigation gravitaire et aspersion à l’irrigation goutte-à-goutte (DIAEA, 2015), un objectif qui pourrait atteindre 710.000 ha cumulés (DIAEA, 2016). Aussi, des subventions allant jusqu’à 100%, ont été prévues pour encourager les agriculteurs à adopter le goutte-à-goutte. Deux modes de reconversion sont prévus par le PNEEI. D’une part, la reconversion individuelle, sur une surface de 330 000 ha, à travers l’octroi de subventions individuelles aux agriculteurs et une gestion individuelle de leurs projets de goutte à goutte. D’autre part, le PNEEI (2007) proposait la reconversion collective pour un «passage plus rapide et à plus grande échelle à des systèmes d’irrigation à économie d’eau», sur une surface de 220 000 ha. Cette reconversion concerne les périmètres irrigués de grande hydraulique. Le principe de la reconversion collective consiste à organiser les agriculteurs appartenant à un même secteur irrigué en association pour la gestion d’une infrastructure collective permettant une desserte des exploitations agricoles. Les projets collectifs de grande hydraulique comportent tous deux composantes: (i) l’équipement externe qui consiste en l’adaptation de l’infrastructure existante de transport, de distribution et/ou de pompage pour qu’elle puisse desservir les projets de goutte-à-goutte et (ii) l’équipement interne qui consiste en l’équipement des parcelles des agriculteurs par une station de tête et du matériel d’irrigation goutte-à-goutte. La mise en place de l’équipement externe est directement financée par l’État alors que le financement de l’équipement interne est pris en charge par les subventions accordées aux AUEA dans le cadre du Fonds de Développement Agricole.

Six périmètres de grande hydraulique sont concernés par la reconversion collective. Le présent travail concerne le périmètre de Tadla qui est le premier où un projet collectif a été mis en eau en janvier 2015.

Plusieurs travaux de recherche ont été réalisées dans ce périmètre qui questionnent notamment les conditions de mise en œuvre des projets de reconversion des projet collectifs et l’impact de l’irrigation localisée dans le Tadla (Bouazzama et Bahri, 2007; Dionnet et al., 2006; Hammani et al., 2011; Kuper et al., 2009). Ces auteurs soulignent les difficultés inhérentes à la reconversion collective : 1) disruption du système d’irrigation conjuguée existant dans le Tadla, mêlant l’eau de surface du réseau collectif au pompage individuel de l’eau souterraine issue d’une nappe alimentée par l’irrigation gravitaire, 2) les problèmes fonciers liés à l’indivision des exploitations agricoles et la présence de modes de faire valoir indirect (location, métayage), 3) la difficulté d’une conception technique standardisée et des dynamiques agricoles très évolutives, 4) un historique mitigé d’action collective, 5) une crainte d’une dépendance sur «l’eau de l’État», et 6) le risque d’un projet centré sur la technologie et non pas sur les capacités des agriculteurs pour en prendre le contrôle, et plus généralement un manque d’implication des agriculteurs. Ou comme le disait aussi le PNEEI: «Ce genre d’aménagement peut être perçu comme un retour aux politiques interventionnistes de l’État. Mais de nombreux arguments militent en faveur d’une telle action».

Compte tenu de ce qui précède, plusieurs questions se posent notamment en ce qui concerne les choix techniques réalisés (débits d’équipement par exemple) qui influencent le mode de gestion collectif du réseau. Par ailleurs, la présence de plusieurs parties prenantes avec différents intérêts et objectifs complique la mise en place des projets et la question de l’implication effective des agriculteurs dans les différentes étapes de conception et de mise en œuvre de ces projets est posée.

L’objectif de ce travail est d’analyser les démarches adoptées dans la mise en œuvre de la reconversion collective allant du choix des variantes d’équipements externes et les options retenues pour l’équipement interne en mettant l’accent sur l’accompagnement et le suivi des agriculteurs dans ce processus. Cette analyse concerne le secteur pilote de 4 025 ha dans le périmètre du Tadla.

MÉTHODOLOGIE 

La plaine du Tadla se situe à 200 km au Sud-Est de Casablanca, à une altitude moyenne de 400 m et couvre une superficie de 3.600 km² environ. Cette plaine est traversée sur toute sa longueur par l’Oued Oum Erbia où sont situés deux périmètres: celui des Béni Moussa (69 500 ha) en rive gauche et celui des Béni Amir (29 500 ha) en rive droite. Le climat est de type aride à semi-aride avec une saison sèche d’Avril à Octobre et une saison humide de Novembre à Mars. La pluviométrie annuelle moyenne est de 300 mm. La température moyenne est de 18°C avec un maximum en Août de 38°C et un minium en Janvier de 3,5 °C.

Le présent travail concerne le périmètre des Béni Moussa où se déroule l’expérience de reconversion collective. Les ressources en eau de surface de ce périmètre proviennent de l’oued El Abid, le plus important affluent de l’oued Oum Erbia et sur lequel est érigé le barrage Bin El Ouidane. La dotation en eau moyenne annuelle est de l’ordre de 7 000 m3/ha, mais avec des variations importantes. Une utilisation individuelle massive des eaux souterraines est opérée dans le secteur concerné par le projet. En effet, dans le secteur pilote on compte environ 291 forages, 376 puits, et 70 puits/forages répartis sur 4 183 ha (Chahri et Saouabe, 2014), soit en moyenne une station de pompage tous les 6 ha. Au niveau des Béni Moussa Ouest, région du projet, la salinité des sols se situe entre 0,78 et 3,75 mS/cm, elle dépasse 2 mS/cm dans 38% des sites du réseau de suivi de l’ORMVAT (campagne 2007-2008).

Dans le Tadla, le PNEEI a pour objectif la reconversion en collectif de 49 000 ha en irrigation localisée dans le périmètre des Beni Moussa et de 39 700 ha en reconversion individuelle dans les deux périmètres de Béni Moussa et Béni Amir. Une étude de faisabilité, réalisée en 2009, se basant sur plusieurs critères, dont le principal est la disponibilité d’une dénivelée naturelle, a permis d’identifier une surface de 20 000 ha comme reconvertible sans recours à l’énergie de pompage. La première tranche de 10 000 ha a débuté en 2009. Le secteur pilote concerne une superficie de 4 025 ha dans la zone des Béni Moussa.

Le premier projet dans ce secteur pilote a concerné une superficie d’environ 1500 ha dont les caractéristiques sont données dans le tableau 1.

Tableau 1: Les superficies équipées pour la reconversion collective pour la première tranche de 1432 ha dans la zone pilote

Catégorie Nombre de bénéficiaires Superficie Superficie moyenne

< 2 ha 199 207 1,04

2 – 5 ha 172 508 3,37

5-10 ha 92 565 6,14

> 10 ha 12 152 12,64

Ce travail a été réalisé dans une tranche de 150 ha du secteur pilote, où les agriculteurs irriguent en goutte-à-goutte à partir de janvier 2015. Étant le premier du genre, ce secteur constitue un test grandeur-nature de l’intervention sur le même projet de plusieurs acteurs (sociétés de travaux, bureau d’études, assistance technique, Ormvat, AUEA, experts, chercheurs, …) et pourrait inspirer les autres projets de reconversions collectives.

La démarche méthodologique a consisté en l’analyse des documents du projet d’une part, et en la réalisation d’entretiens avec des agents de l’ORMVAT et des interviews avec les agriculteurs ayant effectivement commencé l’irrigation en goutte à goutte (47 agriculteurs). Ces enquêtes ont permis non seulement d’identifier les logiques des choix techniques sur lesquels a été basé le projet mais également les obstacles et les défis qu’ils ont dû relever pour la conception, l’exécution et la gestion du projet.

ANALYSE DE LA DÉMARCHE DE RECONVERSION COLLECTIVE A L’IRRIGATION LOCALISÉE 

Conception et choix techniques

La mise en œuvre de ces projets collectifs se fait en deux phases:

- Une phase d’aménagement externe consistant à adapter le réseau de transport et de distribution de l’eau d’irrigation pour qu’il soit en mesure de fournir de l’eau avec l’exigence de l’irrigation localisée, c’est à dire sous pression et à une fréquence plus élevée qu’en irrigation gravitaire. L’équipement externe englobe également l’installation d’ouvrages collectifs tel que les stations de mise en pression et les stations de filtration et les prises individuelles pour chaque propriété. Le financement de l’équipement externe est pris en charge par l’Etat sur la base de prêts de bailleurs de fonds (Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Banque Européenne d’Investissement, …);

- Une phase d’équipement interne consistant à la mise en place du matériel à la parcelle de l’irrigation localisée. Le financement de l’équipement interne est assuré entièrement par les subventions du Fond de Développement Agricole qui prévoit de financer à hauteur de 100% les projets collectifs d’irrigation localisée.

Durant la première phase de conception de l’équipement externe, un bureau d’études a été en charge de la conception du projet basé sur des enquêtes préalables avec les agriculteurs. Des réunions incluaient des ingénieurs du bureau d’étude, de l’Office et des experts de la Banque Mondiale pour décider des choix techniques, plus précisément le débit à affecter aux bornes pour satisfaire les besoins en eau des agriculteurs selon les assolements issus des résultats d’enquête. Deux possibilités se présentent, soit prévoir uniquement le débit nécessaire qui implique une présence continue de l’agriculteur sur les parcelles mais un moindre risque dans le cas du non-respect des heures d’irrigations, ou alors un débit supérieur qui offre une liberté pour les agriculteurs mais implique une gestion rigoureuse des irrigations. Le choix s’est porté sur la deuxième option mais avec un mode de desserte à la demande « restreinte ». En effet, une desserte à la demande sans contraintes ne pouvait pas être envisagée (Tableau 2).

Le tableau suivant présente les modes de dessertes possibles ainsi que leurs spécificités.

Une desserte à la demande restreinte a été considérée comme étant la plus pratique car elle permet d’offrir aux agriculteurs une certaine liberté pour la gestion des irrigations. Dans le cas du Tadla, les secteurs hydrauliques ont été subdivisés en blocs de 30 ha environ et sont alimentés par des prises bloc à partir d’une conduite tertiaire. Cette prise alimente une conduite de raccordement enterrée en PVC sur laquelle un nombre de prises propriétés sont branchées. Dans chaque bloc, les agriculteurs sont répartis en deux groupes (A et B). Pour un débit d’équipement de 1,5 l/s/ha et une durée d’irrigation de 18 h, le groupe A pourra irriguer 9 h le matin et le groupe B 9 h le soir, en établissant une durée d’arrêt d’irrigation entre les deux pour les opérations de maintenance.

Ce mode de desserte permet d’avoir plusieurs avantages selon le bureau d’études: ce choix permettra «une souplesse de gestion de l’irrigation entre les propriétés au sein du bloc» et augmentera le degré de liberté de l’agriculteur. En effet, ce dernier est servi par un grand débit lui permettant d’irriguer librement pendant la période qui le satisfait. Mais ce choix implique également une rigueur d’organisation des irrigations.

En l’absence de moyens pour faire respecter ces règles de gestion, les agriculteurs des 2 groupes risqueraient d’ouvrir leurs vannes en même temps (surtout en période de pointe) ce qui pourrait causer des baisses de pressions et débits sur tout le réseau, si le cas se produit au niveau de plusieurs bornes. Un calcul simple sur un tableur permet de montrer que le débit demandé dans le cas d’ouverture de plusieurs bornes en même temps est largement supérieur au débit fourni, ce qui pourrait causer des dégâts dans le réseau.

Équipement interne

Une fois l’aménagement externe terminé, l’Office contacte les agriculteurs afin de préparer les dossiers de subvention pour l’équipement à la parcelle. Un appel d’offre pour l’aménagement interne est lancé au nom des AUEA, étant les principaux bénéficiaires du projet. L’Office se charge de les accompagner dans le choix des bureaux d’étude chargés du projet. Des réunions sont organisées pour définir les choix des agriculteurs en matière de matériels et de gestion des irrigations pour mieux les préparer et les guider vers une irrigation localisée.

Appuis aux agriculteurs de la zone de reconversion

L’ORMVAT a initié en mai 2012 les activités d’appui aux agriculteurs pour les premiers secteurs (7 376 ha) relevant des quatre AUEA: Al Itihad, Al Omrania, Annour et Brahmia, dont la reconversion est financée par l’Etat à travers un prêt de la Banque Mondiale. Les activités menées avec l’appui d’une Assistance Technique étalées sur 4 années sont articulées autour des principales activités suivantes:

- Appui en matière de conduite technique des cultures et pilotage de l’IL;

- Accompagnement de l’équipement interne des propriétés agricoles;

- Appui aux projets d’agrégation;

- Sensibilisation à la gestion durable des nappes;

- Établissement d’un plan de formation du personnel impliqué dans le projet et d’un programme de recherche appliquée.

Multitude d’acteurs rendant la mise en œuvre plus compliquée

La complexité des projets collectifs de reconversion à l’irrigation localisée est due en partie à la multiplicité des acteurs qui y interviennent. Ces acteurs avec le rôle qu’ils jouent dans la mise en œuvre de ces projets sont comme suit:

- Les bailleurs de fonds internationaux: ils financent les projets dans toutes leurs étapes à travers des prêts au gouvernement marocain en contrepartie de réalisation d’objectifs préalablement définis (amélioration de la production, économie de l’eau, préservation des ressources en eau et de l’environnement, …).

- Le Ministère de l’Agriculture, à travers la Direction de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’Espace Agricole, assure la coordination du PNEEI à l’échelle du National. Il établit le programme de réalisation des projets. Il devrait assurer également le conseil aux agriculteurs pour accompagner les agriculteurs dans le processus de reconversion à l’irrigation localisée.

- Les Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole sont responsables de la mise en œuvre du PNEEI à l’échelle des périmètres qu’ils gèrent. Ils sont les maîtres d’ouvrages des projets de l’équipement externe et accompagnent les AUEA pour la mise en place des équipements internes. Ils assurent également la coordination entre l’ensemble des acteurs intervenants dans le même projet.

- Les Associations des Usagers de l’Eau Agricole (AUEA) sont les porteurs des projets collectifs à travers leur rôle de maître d’ouvrages de l’équipement interne et assurent la coordination avec les agriculteurs et les autres acteurs.

- Les bureaux d’études, réalisent les études pour le compte des ORMVAs en termes d’études de faisabilité, des choix techniques et des variantes d’équipement et d’assistance technique pour la mise en œuvre et l’exploitation des projets. L’assistance technique consiste en l’accompagnement des agriculteurs à travers des séances de formation sur des sites de démonstration, des ateliers de sensibilisation et des voyages d’études sur d’autres périmètres. Elle est également en charge du suivi des travaux d’équipement externe et d’équipement interne.

- Les grandes sociétés de travaux réalisent pour le compte de l’ORMVA les travaux de l’équipement externe allant de la prise sur le canal principal jusqu’aux prises de fourniture des agriculteurs.

- Les sociétés de goutte-à-goutte réalisent pour le compte des AUEA les travaux d’installation de l’équipement interne. Elles doivent adopter une démarche participative avec les agriculteurs pour identifier leurs choix en type d’équipement pour répondre au mieux à leurs besoins. Elles se chargent également des études des projets de goutte-à-goutte à l’échelle de chaque exploitation, de la fourniture et de l’installation du matériel.

Gestion jugée contraignante par les agriculteurs

Dès que les agriculteurs du secteur pilote ont été informés des règles de la gestion des irrigations, ils s’y sont opposés en affirmant que ce mode de gestion limitait leur liberté concernant leur présence sur la parcelle. Pour éviter un refus de la part des agriculteurs du projet pilote, l’ORMVAT a décidé de mettre en place une irrigation de 24 h pour chaque groupe au lieu de 9 h, dans le but d’encourager ces agriculteurs, mais aussi les agriculteurs qui n’ont pas encore reconverti leurs parcelles à l’irrigation localisée.

Cette négociation entre l’ORMVAT et les agriculteurs est due au fait que les agriculteurs ne sont pas consultés lors de l’aménagement externe sur les choix techniques, bien que les choix effectués durant cette phase aient une incidence sur la gestion en aval du projet. Un autre problème qui se pose est relatif aux modes de faire valoir indirect, très présents dans le périmètre. Les séances de formation et d’accompagnement sont principalement destinées aux propriétaires qui, pour la plupart des cas, ne sont pas ceux qui s’occupent effectivement de l’irrigation sur les parcelles. Dans la mise en œuvre des projets collectifs, l’Office considère que l’interlocuteur des agriculteurs est l’AUEA qui bénéficie directement des subventions. L’Office ne fait que jouer le rôle de facilitateur à travers les bureaux d’études, les sociétés d’installation du matériel d’irrigation et l’assistance technique. Une faible organisation des AUEA conduit à un pauvre niveau de circulation de l’information, surtout concernant les locataires et les ouvriers à la parcelle. Une certaine adaptation des séances de formation est donc primordiale afin que chaque agriculteur, irriguant et ouvrier puisse, à sa propre façon, voir le projet et y adhérer, ceci pour assurer une pérennité de ces projets coûteux (Tableau 3).

Coûts du projet de reconversion au Tadla

Les projets de reconversion collective représentent des investissements importants (Tableau 3). Ces investissements peuvent varier si le passage vers l’irrigation localisée se fait depuis un système aspersif ou gravitaire. En effet, dans un système aspersif, les conduites sont déjà installées, les coûts de réhabilitation concernent la mise à niveau à travers le renouvellement des stations de filtration et de pompage. Pour un système irrigué en gravitaire, l’installation requière le changement total des équipements, donc un investissement plus important. D’autre part, les secteurs desservis par gravité représentent moins d’investissements que ceux qui ont besoin d’énergie.

Les premiers retours d’expérience du premier collectif de Tadla

Choix de l’assolement projeté

L’assolement projeté montre qu’il y aura une réduction de la superficie de la luzerne et l’introduction du maïs ensilage comme culture fourragère qui semble être la culture la plus efficiente économiquement et la plus économe en eau. Cependant, en interrogeant les agriculteurs sur la question de l’assolement prévisible après la mise en place du goutte à goutte, on a pu constater que la majorité des exploitants enquêtés veulent garder la luzerne et n’ont pas l’intention de la substituer par le maïs fourrager pour différentes raisons:

- Les agriculteurs hésitent à pratiquer le maïs parce qu’il est sensible à la sécheresse, surtout ceux qui n’ont pas accès à l’eau souterraine;

- La pratique du maïs nécessite un investissement important pendant une courte période (4 mois) ce qui exige la présence d’une trésorerie importante chez l’agriculteur;

- Le maïs est considéré pour la plupart des exploitants comme un complément de fourrages pour l’élevage laitier.

Les sociétés d’installation du matériel

D’après les entretiens avec les responsables des sociétés d’installation du matériel d’irrigation, on a remarqué que certaines sociétés n’ont pas consultés les agriculteurs pour discuter avec eux le choix des équipements et les schémas d’aménagement de chaque parcelle, chose qui était exigé de la part de l’ORMVAT.

Niveau de connaissance des agriculteurs de la nouvelle technique et leur implication dans le projet

D’après les enquêtes réalisées auprès des agriculteurs, on constate que la majorité (79%) n’ont aucune connaissance du système d’irrigation localisée, d’où la nécessité de penser à organiser des séances de formation au profit des agriculteurs. Aussi, a-t-on remarqué qu’une partie importante des exploitants ne sont pas impliqués dans la mise en œuvre de ce projet.

Contraintes de mise en place du projet

Selon les agriculteurs, les contraintes entravent la bonne marche des projets collectifs peuvent se résumer comme suit:

- Problème du co-héritage: le point le plus évoqué concernant les contraintes de l’équipement interne des propriétés est celui du compteur. Les agriculteurs insistent sur le fait que chacun d’eux doit avoir son propre compteur pour éviter les conflits entre les cohéritiers lors du payement de la facture. Chose qui n’est pas prévue dans les CPS pour optimiser les coûts des projets et rester sous le plafond des subventions de l’État.

- Retard de la Procédure administrative: la mise en eau dans la zone du projet de reconversion de la première tranche (1500 ha) était prévue pour le mois d’avril 2014. Cependant, pour diverses raisons, elle a été prolongée. Ce retard est dû essentiellement à deux facteurs essentiels, d’une part la négligence de certains agriculteurs pour fournir les pièces nécessaires et d’autre part, la complexité de la procédure administrative pour bénéficier des subventions de l’État.

- Commercialisation: parmi les points auxquels il faut donner de l’importance est l’aspect de commercialisation de la production. 20% des agriculteurs ont présenté leurs craintes vis-à-vis de la commercialisation de leurs produits après la reconversion. La mise en place de coopératives ou de projets d’agrégations pourrait être envisagé.

- Capacité des agriculteurs pour renouveler les équipements: 24% des agriculteurs enquêtés affirment qu’ils n’ont pas les moyens de renouvellement des équipements de leurs parcelles. Ainsi, la question de la durabilité des équipements se pose (puisque le taux de la subvention dans ce projet est de 100%). La question de la participation directe des agriculteurs au financement des équipements se pose également.

Le maillon faible de la gestion

L’AUEA (Association des Usagers de l’Eau Agricole) formellement constituée est le partenaire privilégié de l’ORMVAT dans la gestion de l’eau d’irrigation et des ouvrages hydrauliques. Elle peut conclure avec l’Administration une convention concernant la planification de la ressource en eau, l’aménagement et l’entretien du périmètre d’irrigation. Cette convention précise la superficie et les limites du périmètre de l’AUEA, les travaux prévus, le plan de financement des investissements, la maintenance et l’entretien des ouvrages hydrauliques. Dans le cadre des projets d’irrigation, les AUEA sont les principaux interlocuteurs de l’Administration et le porte-parole des agriculteurs. Ce sont elles qui ont été consultées pour évaluer l’acceptabilité des projets de reconversion par les agriculteurs (FAO, 2015).

Les enquêtes sur terrain ont pu montrer que ces associations ne sont pas très actives, elles représentent un « héritage » du temps où les Offices s’occupaient des irrigations.

Afin d’assurer une responsabilisation des agriculteurs et faciliter leur contact avec les agents de l’ORMVAT, les membres de l’AUEA ont été renouvelés de manière « participative et démocratique » selon les agriculteurs (Hadioui et al., 2014). Mais on a pu remarquer que malgré cet effort d’activation de ces associations, le niveau de circulation de l’information, surtout durant la phase de l’aménagement interne, était faible. Ceci est principalement dû à une importante diversité des types d’agriculteurs et un manque de moyens humains et financiers pour assurer la circulation d’information.

D’autre part, les différents acteurs estiment que l’accompagnement et le suivi doit continuer après la réalisation du projet, notamment en ce qui concerne le changement du matériel et l’assolement. En effet, un manque d’encadrement en ce sens pourrait nuire au projet, surtout que le dimensionnement a été réalisé avec l’hypothèse d’une diversification des cultures (loi de foisonnement), mais le risque qui peut se présenter est que les agriculteurs optent pour un choix de cultures plus restreint.

Impacts sur les ressources souterraines

Un des objectifs du projet de reconversion est d’encourager les agriculteurs à pomper moins dans le système aquifère, mais le problème qui risque de se poser est que les agriculteurs, habitués à pouvoir irriguer à tout moment et insatisfaits du service d’eau de surface, consomment encore plus d’eau souterraine, surtout avec le changement projeté vers des cultures à haute valeur ajoutée. On observe en effet que beaucoup d’agriculteurs dans le secteur pilote branchent leurs puits et forages sur le système de goutte à goutte.

En améliorant l’efficience d’application de l’eau à la parcelle par le goutte à goutte, le volume des eaux infiltrées diminuera, induisant ainsi un probable rabattement de la nappe qui pourrait être éventuellement évité si le recours aux nappes par pompage diminue.

Des négociations devront donc être engagées avec les agriculteurs pour éviter les conséquences d’un pompage abusif dans les nappes dans un contexte d’irrigation localisée à grande échelle. D’autre part, le service de fourniture d’eau doit être performant pour décourager les éventuelles tentatives de pompage.

CONCLUSION

Les projets de reconversion collective, en comparaison avec les projets de reconversion individuelle, nécessitent un investissement important et impliquent un certain nombre de défis à relever pour garantir leur réussite. Il s’agit en particulier de l’adaptation, d’une part, des agriculteurs ayant affaire à une nouvelle technique d’irrigation et peut-être de nouvelles cultures et, d’autre part, l’adaptation des agents de l’organisme gestionnaire des réseaux collectif gérés par les Office Régionaux de Mise en Valeur Agricole (ORMVA) quant à la gestion et l’entretien du réseau, le payement des redevances et l’accompagnement des agriculteurs.

La réussite des projets collectifs est tributaire de participation effective des agriculteurs et d’un suivi et accompagnement adéquat pour leur permettre d’assurer la pérennité de leurs réseaux.

Pour ce faire, l’AUEA, étant le principal médiateur entre l’ORMVAT et les agriculteurs, doit être redynamisée de façon à permettre à tous les agriculteurs un accès à l’information et aux formations de manière équitable.

Les usagers pourraient effectivement avoir une idée sur l’étendu de chaque choix technique et ainsi participer à la définition des règles de gestion nécessaire. D’autre part, une catégorisation précise des agriculteurs du projet (par rapport aux responsables effectifs des irrigations sur les parcelles) permettrait de mieux cibler les séances de formations organisées dans le cadre de la démarche d’accompagnement dans le but de faciliter l’insertion de nouvelles pratiques culturales et d’irrigation dans le quotidien des agriculteurs.

Enfin, la transition la plus difficile sera peut-être la réduction de l’utilisation de l’eau souterraine par les agriculteurs habitués à une utilisation conjuguée des eaux de surface du réseau et des eaux souterraines à portée de main. Le risque étant l’impact d’un pompage excessif dans un contexte de reconversion vers l’irrigation localisée. Cette question méritera sans doute toute l’attention des différents acteurs dans la mise en œuvre du projet de reconversion localisée du Tadla.

RÉFÉRENCES

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Bourzac K. (2013). Water: The flow of technology.Nature, 501(7468).

Chahri R., Saouabe T. (2014). La reconversion collective à l’irrigation localisée dans le Tadla: Analyse de l’approche de l’équipement interne et impact sur les prélèvements à partir de la nappe. Mémoire 3ème cycle de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II.

Hadioui M., Faysse N., Kemmoun H. (2014). Participation des agriculteurs à la conception d’un projet de reconversion à l’irrigation localisée dans le périmètre du Tadla, Alternatives rurales, www.alternatives-rurales.org

Hammani A., Debbarh A., Kuper M. (2011). Les ressources en eaux souterraines et leurs impacts sur la dynamisation de l’agriculture dans un périmètre de grande hydraulique irrigué par les eaux de surface (cas du périmètre irrigué de Tadla au Maroc). Revue HTE n°148.

Dionnet M., Kuper M., Garin P., Hammani A., Eliamani A. (2006). Accompagner les acteurs dans le changement de leur système: un jeu de rôles pour des projets collectifs d’irrigation au Tadla (Maroc). 3ème Séminaire Wademed ”L’avenir de l’agriculture irriguée en méditerranée-Nouveaux arrangements institutionnels pour une gestion de la demande en eau”, France. 11 p.

Kuper M., Dionnet M., Hammani A., Bekkar Y., Garin P., Bluemling, B. (2009). Supporting the shift from state water to community water: lessons from a social learning approach to designing joint irrigation projects in Morocco. Ecology and Society 14:19.

Postel S.L. (2000). Entering an era of water scarcity: the challenges ahead. Ecological applications 10: 941-948.