Résumé

Le Building Information Modeling (BIM) est une révolution de la technologie dans le secteur du bâtiment où il a fait ses preuves tout au long du cycle de vie d’un bâtiment. Cette réalité a mené depuis quelques années, à une extension de ce concept au secteur du Génie Civil pour les projets d’infrastructures en déployant des recherches scientifiques au sein d’universités ou organisées en groupes internationaux. L’objectif commun étant de faciliter l’échange des données et la collaboration autour de ces projets. Dans ce contexte, notre recherche porte spécifiquement sur les projets routiers et vise à proposer un modèle conceptuel de structuration d’un BIM 3D  pour ce type d’infrastructure. Ce modèle conceptuel est basé sur les normes en vigueur au Maroc  d’une part et des recommandations de BuildingSmart en termes de norme IFC d’autre part. Cet article, présente une revue de littérature exhaustive des avancées récentes en termes d’intégration du BIM dans le secteur de l’infrastructure. Ensuite un cas pratique au Maroc est discuté pour mettre en évidence les exigences et les contraintes techniques qui devront être considérées pour l’implémentation du BIM 3D dans les projets d’infrastructure routière.


Mots clefs: Building Information Modeling, Projet Routier, Infrastructures

INTRODUCTION

Le Building Information Modeling(BIM) représente une révolution dans les processus de conception, de construction et de gestion des bâtiments. Il a été adopté depuis le début des années 2000 dans le secteur du bâtiment et de l’architecture et plusieurs sujets de recherches scientifiques se sont penchés sur cette thématique. Dans le domaine de l’Ingénierie Structurelle (SE: Structural Engineering), le BIM a atteint sa maturité, spécialement dans le secteur AEC (Architecture, Ingénierie, Construction). Cependant, son utilisation pour les infrastructures de transport a été lente dans son adoption et son application (Costin et al., 2018). Les travaux de recherche par rapport à l’intégration du BIM dans le secteur du génie civil reste encore limités à cause de la complexité des formes et des objets à modéliser.

Mise en contexte

Notre projet de recherche s’inscrit dans cette démarche et il vise à intégrer l’approche BIM dans le processus de réalisations de projets d’infrastructure routière. Cependant, pour réussir cette intégration, il est nécessaire que la modélisation BIM assure une structuration appropriée des différents objets formant l’infrastructure routière, tout en respectant les règles topologiques entre eux. Pour cela, nous proposons de développer un modèle conceptuel paramétrique de structuration des objets au sein d’un modèle BIM 3D qui respectera les particularités d’un projet d’infrastructure routière. Ce modèle conceptuel doit prendre en considération les normes en vigueur au Maroc ainsi que les recommandations de BuildingSmart en termes de format d’échange de données (norme IFC).

Le présent article est composé de deux sections: la première présente une revue des avancées actuelles relatives à l’intégration du BIM dans le domaine des infrastructures et la deuxième section présente notre cas d’étude qui est un échangeur autoroutier réalisé au Maroc.

Définition du BIM

Le BIM est défini comme «la représentation géométrique d’un bâtiment en 3D, réalisée sur ordinateur en vue de l’analyser, de le contrôler et d’en simuler certains comportements. Le BIM est donc un ensemble structuré d’informations sur un bâtiment, existant ou en projet. Il contient les objets composant le bâtiment, leurs caractéristiques et les relations entre ces objets» (Parinaud, 2014). Cette définition devra être clarifiée en ajoutant que le mot building de BIM ne se limite pas aux bâtiments mais peut aussi être traduit par «construction», «édifice» ou «structure». En effet, le BIM représente un environnement virtuel qui permet à tous les membres de l’équipe de conception (propriétaires, architectes, ingénieurs, entrepreneurs, sous-traitants et fournisseurs) de collaborer plus précisément et efficacement au sein d’un même modèle virtuel (Azhar, 2011).

L’intérêt du BIM

Le processus BIM a aussi prouvé son efficacité via plusieurs indicateurs et statistiques. Selon les résultats de la deuxième édition du baromètre du numérique en Mars 2017 du PTNB en France (Plan Transition Numérique dans le bâtiment), il a été constaté une progression rapide du BIM chez les maîtres d’œuvre dont le taux d’appropriation passe en quelques mois (9 mois) de 37% à 50% et que 26% des maîtres d’ouvrage déclarent désormais avoir adopté le BIM (PTNB, 2017). L’étude de Jones et Bernstein (2012) a déterminé que 67% des utilisateurs de BIM associés à l’infrastructure voyaient un retour sur investissement positif (RCI).

Les résultats de (Fanning et al., (2015) sur deux ponts de structure similaire au Colorado aux États Unis ont été très significatifs. Ils sont présentés comme suit:

• La première mise en œuvre du BIM a engendré des coûts importants: Sur deux ponts dont seul le pont Pecos Street over I-70 Bridge a connu l’utilisation du processus BIM, les coûts supplémentaires de construction par mètre carré sont estimés à 70%. Selon la même étude, l’augmentation des coûts peut être aussi expliquée par la complexité du projet (emplacement, trafic journalier moyen, etc.).

• La courbe d’apprentissage de la première mise en œuvre du BIM a également contribué en partie aux coûts plus élevés.

• En contrepartie, les mesures de RFI (Request for Informations: Demandes d’informations) et de CO (Change Order: Changement de l’ordre des travaux), évaluées par rapport au coût, à la superficie et au trafic ont diminué dans les fourchettes respectives de 12 à 87% et de 22 à 89%, dans le projet où le BIM a été mis en œuvre de manière optimale.

• En outre, les coûts totaux de main-d’œuvre et de travail représentent 6% d’augmentation par rapport à l’estimation initiale pour le projet de référence, contre une augmentation de 1% seulement par rapport à l’estimation pour le projet utilisant le BIM.

Ces chiffres révélateurs mettent l’accent sur l’intérêt que pourra porter le BIM pour tous les secteurs de l’industrie et de la construction et justifient ainsi particulièrement l’avantage qu’il apportera pour les projets d’infrastructure routière.

INTÉGRATION DU BIM DANS LES PROJETS D’INFRASTRUCTURES 

En 2011, BuildingSmart a lancé l’initiative InfraBIM (BuildingSmart, 2011) qui a donné lieu au lancement de la norme IFC pour les infrastructures en initiant le développement des deux projets: IFC Alignement et IFC Bridge. Ainsi, et depuis cette date, le développement de la norme IFC pour les ouvrages d’infrastructures (routières, ferroviaires, ouvrages d’art, sous-terraine…) est en cours de développement. Cependant, l’intégration du BIM dans ce secteur connaît plusieurs contraintes.

Contraintes d’intégration du BIM dans les projets d’infrastructure

Le BIM tel qu’il se présente aujourd’hui reste limité en termes de possibilités offertes pour les ouvrages d’infrastructure. Ceci est dû à la nature et à la complexité de ces derniers tel que détaillé ci-dessous:

• Les projets d’infrastructures peuvent s’étaler sur une échelle plus vaste;

• Les projets d’infrastructures sont diversifiés et sont classés en plusieurs domaines: les infrastructures de transport, les infrastructures énergétiques, les infrastructures de services, les infrastructures des installations de loisirs et les infrastructures de gestion des eaux (Costin et al., 2018);

• Différents projets d’infrastructure peuvent être liés, ce qui implique la gestion des relations qui peuvent exister entre eux. Comme exemple, une route peut être construite au sommet d’une digue ou d’un barrage; les métros peuvent faire partie du transport ferroviaire et du transport en commun et les routes peuvent être utilisées pour les véhicules et les piétons (Costin et al., 2018);

• Ils requièrent une définition de la référence spatiale en plus de la donnée attributaire et des relations topologiques, d’où l’exigence de l’ouverture du BIM sur le domaine du SIG;

• Certaines spécificités des infrastructures autres que les bâtiments ne sont pas prises en considération dans les normes actuelles du BIM (Mediaconstruct, 2015);

• La prise de décision pour les projets d’infrastructure peut s’effectuer sur différentes échelles, à l’échelle de plusieurs kilomètres pour les tronçons de routes aussi bien qu’à l’échelle de quelques centimètres pour les assemblages des boulons par exemple. Ainsi, une modélisation multi-échelles s’impose (Mao et al., 2015).

À cause de l’absence de normes relatives à l’utilisation du BIM dans les projets d’infrastructure, plusieurs contraintes sont rencontrées par les utilisateurs finaux du BIM dans ce type de projets. Ces contraintes sont résumées comme suit:

• Les gabarits de projet propre à l’infrastructure routière sont inexistants;

• L’extension IFC propre à l’architecture est celle actuellement utilisée pour des projets d’infrastructures, comme il a été relaté par le rapport de la Chambre Infrastructures de BuildingSmart (bSI Infra Room, 2017);

• Pour les projets de routes ou de chemins de fer, il existe des logiciels de tracé qui permettent la description de la ligne rouge du projet, des profils en travers et calculent les entrées en terre. Cependant, il s’agit d’une approche surfacique, décrivant le terrain naturel avant le projet et le terrain naturel à la fin du projet. Les déblais et remblais ne sont pas modélisés comme des «objets volumiques» (MINnD, 2017). En effet, une modélisation volumique permet de définir les composants d’un BIM 3D comme des objets à part entière et non comme des assemblages de surfaces unitaires nombreuses et donc lourds à manipuler. La notion d’objet, étant un concept essentiel dans le processus BIM;

• Les relations topologiques entre les objets ne sont pas supportées par plusieurs logiciels de conception d’infrastructure, ce qui peut générer des erreurs affectant la qualité et le déroulement des travaux d’exécution;

• Les problèmes d’interopérabilité peuvent causer des pertes de données lors de l’export des maquettes. Ceci est dû au manque de standards dédiés aux projets d’infrastructure dans le BIM.

Extension du BIM pour supporter les projets d’infrastructure

La version IFC 4 vise à inclure les schémas des projets d’infrastructures dans leurs différentes déclinaisons. Il est toujours en développement en parallèle à d’autres projets définis par type d’infrastructure (IfcBridge, IfcAlignement, IfcRoad …). La réalisation d’une telle extension est basée sur plusieurs lignes directrices reportées dans le rapport technique sur l’aperçu de l’architecture de l’IFC Infra de BuildingSmart (BuildingSmart, 2017):

• L’adoption d’une structure spatiale adaptée;

• Une représentation géométrique prenant en compte les lignes et les axes, les profils en travers, les surfaces et les solides;

• Une représentation de la surface triangulée irrégulière du relief (MNT);

• Prise en compte de la position géographique;

• Prise en compte de l’interruption d’un élément de structure à un point donné (comme l’exemple d’une section de route interrompue au niveau d’une intersection ou carrefour);

• Prise en compte de la classification et la liaison entre les entités;

• Prise en compte de la segmentation des éléments: une route par exemple peut contenir un carrefour, une piste secondaire…

En se basant sur ces principes, un tronçon d’autoroute peut être structuré en une arborescence de casses IfcSpatialSegment dont chacune est une sous-classe de la classe IfcRoad et dont chacune se compose de plusieurs sous-classes IfcSpace. Ces dernières représentent les parties composant le segment. Cette structuration est présentée par la figure 1.

Le développement de la norme IFC et ses extensions pour supporter les projets d’infrastructures au sein des organismes de recherche comme la BuildingSmart, se base sur des études de cas réels et des exigences relatives à ces derniers. L’approche sur laquelle se base cette recherche est dite ingénierie des systèmes. Selon cette approche, on cherche le moyen de relier ce qui doit être produit (le système à faire) avec les processus de conception (le système pour faire) pour répondre aux besoins qui induisent le projet (Tolmer et al., 2017). C’est ainsi, que notre projet de recherche, dans ses étapes futures, se basera sur une étude d’un cas réel et ses exigences afin de proposer une approche BIM pour les infrastructures routières.

LA NORMALISATION DU BIM POUR LES PROJETS D’INFRASTRUCTURES

Plusieurs travaux de recherche visent à améliorer l’intégration du BIM pour le domaine d’infrastructures. Un des axes principaux de recherche consiste à normaliser les processus de production du BIM dans ce domaine. Cette normalisation a pour objectif d’unifier les méthodes avec lesquelles un modèle BIM sera conçu, échangé et géré.

Les aspects de normalisation du BIM

La normalisation du concept du BIM se produit au niveau de 3 sphères liées entre elles. D’abord, il a fallu développer des formats de fichiers et des standards pour homogénéiser les informations échangées. Selon l’évolution de ce développement, nous parlons du niveau de maturité du BIM et du niveau de développement des objets qui le constituent. Ensuite, un modèle BIM est destiné à être utilisé suivant une thématique donnée, comme par exemple le relevé des quantités (Quantity Take-Off). C’est ainsi que la normalisation de chaque thématique est basée sur: 1) l’identification du cas d’usage (Use Case) et ses pré-requis et 2) l’élaboration d’une carte de processus (Process Map). Cette dernière trace les événements de l’échange, les types de données concernées, les intervenants du processus et les documents échangés. Nous développons un peu plus ces trois sphères:

Niveau de maturité à atteindre: selon le modèle de Bew-Richards de la maturité du BIM adopté au Royaume Uni (Bew et al., 2008), ce dernier passe par 4 niveaux (du 0 au 3) où le niveau 3 est considéré comme le seul BIM (Figure 2). À ce niveau, un modèle unique est stocké sur un serveur centralisé, accessible par tous les intervenants et durant toute la durée de vie d’un ouvrage via IFC/IFD/IDM (Objectif-BIM, 2017).

Dans cette vision, des efforts sont déployés afin de structurer la norme IFC et l’adapter aux exigences des projets d’infrastructure tel qu’il a été reporté sur le rapport technique de BuildingSmart concernant le descriptif global de l’avancé du développement de l’architecture de l’IFC Infra en 2017 où de nouvelles super-classes abstraites (IfcBuiltFacility, IfcBuiltFacilityDecomposition) et des sub-classes ont été introduites (IfcRoad, IfcBridge, IfcTunnel, IfcCivilStorey, IfcSegmentSegment, IfcSpatialJunction). Nous donnons l’exemple d’un tronçon de chemin de fer contenant les rails et la gare, puis passant au-dessous d’un pont, toutes les interfaces à gérer dans ce cas sont prises en compte par ce schéma (Figure 3): les rails feront objet de la classe IfcRailWay, la gare en IfcBuilding, et le pont en IfcBridge toutes les trois gérées par des relations de connectivité et des attributs pour référencement.

Niveau de développement du BIM: Il décrit le niveau d’intégralité des composantes de la maquette BIM, tel qu’il a été mentionné sur le guide de l’Americain Institut Of Architects(AIA, 2013), en cinq niveaux distincts où le niveau 500 est celui des objets les plus complets.

Différentes thématiques à traiter: la simulation d’un phénomène à base du modèle BIM, le suivi temporel de travaux, la réalité augmentée, les estimations de coûts, la collaboration autour du BIM….

Organismes internationaux de normalisation

Plusieurs organismes internationaux se focalisent sur les problématiques liées à la normalisation du BIM. Parmi ces organisations on cite:

L’organisme BuildingSmart International (bSI)

Cet organisme vise à normaliser les outils et les procédures de travail autour des projets de bâtiments et des infrastructures au long du cycle de vie de l’ouvrage en développant plusieurs standards. Il accueille des participants du monde entier via des chapitres au niveau de plusieurs pays pour ainsi documenter et partager toutes les informations de l’industrie du bâtiment et des ouvrages de l’infrastructure selon un unique format numérique ouvert en utilisant une terminologie standard. Les standards que le bSI développe via ses acteurs sont décrits dans la figure 4.

Ces standards sont développés grâce à l’assimilation des exigences techniques des acteurs du secteur en les transformant en standards conformes puis en les déployant sur des logiciels. Ceci se fait via des groupes de travail selon les thématiques traitées (Bâtiment, Voirie, Ponts…). Le bSI participe aussi à des projets pilotes pour tester et accélérer l’intégration de l’Open BIM.

Pour améliorer ses standards, le bSI collabore également avec l’OGC (Open Geospatial Consortium) pour l’intégration de la référence spatiale au sein du schéma du BIM ainsi qu’avec l’organisme ISO (International Organisation For Standardisation) afin de rendre les standards du BIM (IFC, IFD…) des normes. C’est ce qui explique les codes ISO donnés aux standards du bSI.

Le projet MINnD

Le projet MINnD (Modélisation des Informations INteropérables pour les INfrastructures Durables) est un projet de recherche collaborative lancé en mars 2014. Il a pour objectif de favoriser le développement du BIM pour les infrastructures en améliorant la structuration les données des projets pour un échange et partage d’informations plus efficaces (MINnD, 2017).

MINnD a soixante-et-onze partenaires qui s’engagent à prendre en charge le programme de recherche et à le mener à bien jusqu’au résultat final fixé par le programme. Le projet tourne autour de cinq thématiques. L’objectif étant de résoudre l’enjeu de standardiser la structuration des informations échangées en BIM et de développer les outils à adapter pour ces échanges entre les différents acteurs et les différentes phases du projet.

Les normes existantes pour la normalisation du BIM

Il existe cinq normes de base pour le déploiement du BIM dans un secteur donné et qui sont définies par bSI. Ces normes sont toujours en développement pour le secteur de l’infrastructure:

IFC: Industry Foundation Classes est un format de fichier orienté objet dont l’architecture définit à peu près 900 classes d’objets et son schéma est divisé en 4 couches. Chaque couche se compose de plusieurs modules contenant plusieurs classes. Entre 60 et 70 classes du format IFC sont caractérisées par une sémantique similaire aux classes du format CityGML (Xu et al., 2014), ce qui pourra faciliter l’interopérabilité avec les SIG. La définition du standard IFC est développée et mise à jour par BuildingSmart International en tant que «norme de données» qui a été acceptée comme ISO16739.

IFD: International Framework for Dictionnaries est un registre numérique de dictionnaires qui renferme les termes, attributs et vocabulaire (relatifs à l’industrie du bâtis et des ouvrages d’infrastructure) en leur attribuant un identifiant unique (bSI, 2017).

IDM: Information Delivery Manual est une carte de processus relatifs à l’industrie du bâtiment et des ouvrages d’infrastructure. Ce manuel vise à rassembler toutes les connaissances et l’expérience d’un groupe d’experts AEC afin de définir le processus de travail spécifique (cas d’usage) ainsi que le moyen le plus efficace pour échanger des données entre les différents utilisateurs (Obergriesser et al., 2012).

MVD: Model View Definition est une définition d’un sous-ensemble du modèle de données IFC nécessaire pour prendre en charge un processus métier défini par l’utilisateur (Pinheiro et al., 2016). Il décrit un schéma de partage. Le choix d’un MVD en particulier va faire que telle information sera contenue dans le fichier exporté en IFC (Objectif-BIM, 2017).

BCF: BIM collaboration Format sert à communiquer des informations sur les «problèmes» détectés au sein d’un modèle BIM au cours de son cycle de conception. Un fichier BCF contient essentiellement une description de l’anomalie trouvée sur le modèle BIM, un statut, des liens vers le modèle BIM et des objets concernés par l’anomalie et une image donnant une vue sur l’emplacement de l’anomalie et une orientation de la caméra vers l’emplacement du problème (van Berlo et al., 2014).

INTEROPÉRABILITÉ DANS LE BIM POUR LES PROJETS D’INFRASTRUCTURE

Plusieurs projets de recherche se focalisent sur les problématiques de l’interopérabilité du BIM dans le secteur de l’infrastructure. En effet, l’interopérabilité dans le BIM peut être abordée selon plusieurs aspects à savoir: 1) la structuration de la maquette BIM, 2) les processus d’échange, 3) les standards BIM existants, 4) les procédés de collaboration et 5) l’intégration du BIM avec le SIG. Dans ce qui suit, nous présentons ces recherches en les classant suivant des catégories:

Structuration d’une maquette BIM suivant les spécificités techniques de projets d’infrastructures

Les projets d’infrastructure exigent l’intervention de plusieurs acteurs. La méthode de conception collaborative est adoptée afin de permettre à chaque acteur de participer selon son domaine d’expertise. Une méthode de conception 3D multi-échelle a été proposée par Mao et al. (2015) pour un tunnel au bouclier (Figure 5). L’approche adoptée consiste à une décomposition du projet en plusieurs sous-projets dont chacun englobe des types de composants spécifiques. Par la suite, on procède à une fusion des sous-maquettes en se basant sur un axe central commun entre tous les intervenants permettant ainsi de construire la maquette globale. Le projet est défini comme un enchaînement de phases de conceptions collaboratives et distribuées.

Proposition de schémas et de processus pour normaliser les échanges autour du BIM

L’exemple du schéma de l’IPD (Integrated Project Delivery) proposé par Marzouk et al., (2012) décrit une manière collaborative pour la réalisation d’un BIM pour les projets de pont en répondant à 4 objectifs majeurs: 1) identifier les objectifs et les cas d’usage; 2) développer un schéma global et une carte de processus et des cartes de processus détaillés avec les documents en sortie de chacune de ses étapes; 3) identifier les besoins en matière d’échange d’informations et 4) développer l’infrastructure informatique nécessaire pour soutenir la mise en œuvre.

Analyse de standards BIM existants et proposition d’amélioration

Les IDM et MVD font partis des standards BIM développés par la buildingSmart. Les MVD servent à spécifier un certain nombre d’informations à extraire du modèle BIM pour permettre un cas d’usage particulier. Par exemple, la recherche de Pinheiro et al., (2016) a montré que certains concepts, entités et jeux de propriétés de la version 4 Add 1 du schéma IFC manquaient à la pertinence d’une analyse dans le domaine de la performance énergétique.

Il est clair que le BIM est prometteur pour le secteur du génie civil et plus précisément pour le domaine des infrastructures routières. Ce dernier présente plusieurs défis de modélisation selon une approche BIM: interfaces, multitude de réseaux et d’objets, échelle, référence spatiale, etc. Cependant, les recherches scientifiques relatives à cet aspect sont encore peu approfondies (Costin et al., 2018).

Développement de procédés de collaborations autour d’une maquette BIM

Kivimäki et al., (2015) ont proposé un système collaboratif central sur Cloud pour la conception d’une maquette BIM de projet de route en Finlande. Cette maquette a servi pour le contrôle qualité des profils en travers au cours des travaux sur la chaussée. Les profils relevés sur site par station totale ou GNSS sont comparés en temps réel à la maquette BIM en utilisant le système Cloud développé. Une telle approche a permis de gagner en temps et de rectifier les erreurs par rapport à la conception en temps opportun.

L’intégration du BIM et du SIG (Système d’Information Géographique)

Plusieurs approches ont été entamées pour rapprocher les deux mondes du BIM et du SIG (Yaagoubi et al., 2018; Baik et al., 2015). Le premier schéma ayant comme norme l’IFC et le deuxième schéma ayant le CityGML. Ces deux schémas ont plusieurs similarités en termes de sémantique comme il a été reporté par la recherche de Xu et al., (2014). Cette similarité permet de faciliter l’interopérabilité entre les BIM et les SIG à savoir: 1) les outils de conversion des IFC en CityGML et vice versa, 2) la création du format IFG qui permet l’échange entre SIG et CAD et 3) le système de classification OmniClass sur lequel se base le schéma du City Information Modeling (CIM) (Figure 6).

CAS PRATIQUE SUR UN PROJET AUTOROUTIER RÉALISÉ AU MAROC

Le cas pratique traité dans cette recherche a pour objectif d’étudier l’ensemble des contraintes à l’interopérabilité que rencontre l’intégration du BIM dans le secteur de l’infrastructure routière en utilisant les solutions existantes sur le marché actuellement. Le projet et ses intervenants ainsi que la méthodologie adoptée sont d’abord présentés, puis une étude de ces contraintes et faite.

Il s’agit du nouvel échangeur qui dessert le centre de la ville de Mohammedia en phase de construction au niveau de l’Autoroute A1 à 24 km au Nord de Casablanca (Figure 7). Ce projet englobe quatre brettelles, un passage supérieur, deux giratoires et deux gares de péage avec cinq voies chacune.

L’objectif du travail réalisé est de produire une maquette virtuelle pour permettre plusieurs applications dans le futur: gestion du patrimoine (Asset Management), simulation de trafic, statut sur modifications futures, etc. Il a permis de réaliser deux états: la maquette de l’existant (Figure 8a) puis la maquette du projet à sa phase finale de réalisation (Figure 8b).

Nous avons réalisé ce travail sur la base de l’expertise et des recommandations d’Autoroutes Du Maroc (ADM PROJECT). Il a été accompli au sein des locaux des entreprises: 1) ETAFAT, acteur en géomatique, topographie et en nouvelles technologies dans ces deux domaines et 2) CEDev bureau d’Études spécialisé en ingénierie et conseil dans le secteur du VRD.

La méthodologie globale de l’approche adoptée se décline en trois phases principales:

• La phase de l’acquisition 3D du chantier en cours et de son environnement moyennant un drone et un système GNSS pour le géoréférencement;

• La phase de l’étude technique de l’infrastructure routière;

• La phase de la modélisation 3D en étapes «métier», et de l’assemblage de deux maquettes: la maquette du site avant travaux et la maquette du site à la fin de la réalisation du projet.

Nous présentons cette méthodologie dans le diagramme de la figure 9.

En premier lieu, l’étude de l’infrastructure routière (Chaussée, profils en travers, passage supérieur…) a été réalisée sur un logiciel métier (Covadis). Ensuite, une modélisation des objets qui composent les équipements (signalisation, glissières, gardes de corps, gares de péages, lampadaires, réseau électrique MT…) a été faite suivant des plans types 2D et des recommandations fournis par le MO sur un logiciel spécialisé en modélisation (3DsMax Autodesk).

En parallèle, la modélisation de l’environnement du projet (bâtiments, relief et végétation) a été réalisée à base d’un relevé géoréférencé en système de coordonnées marocain issu d’une prise de vues aériennes (PVA) par drone. La modélisation des bâtiments a constitué en des extrusions avec des élévations réelles extraites du Modèle Numérique de Surfaces (MNS) et des façades texturées par photos obliques issues de la PVA par drone.

La classification du nuage de points extrait suite au traitement des photos issues du drone, a permis de produire une classe «Sol» allégée. Cette classe représente le relief du projet au moment du levé. Le calcul du MNT a été réalisé à la base de cette classe par la production d’un maillage de triangles. Ce dernier a été par la suite texturé par l’ortho-photo produite suite au traitement des mêmes photos. Un ajustement du MNT a été fait à base des plans de conception afin de réaliser la maquette du projet dans son état final de construction. Le MNT a constitué la base de l’étude de l’infrastructure routière dans ces deux phases (état avant-projet et état final de construction du projet) ainsi que la base d’insertion en élévation des équipements, des bâtiments et de la végétation.

Pour obtenir les maquettes globales d’avant et après travaux, les trois parties (MNT, Bâtiments/végétation et Étude de l’infrastructure routière) ont été importées sur un logiciel de conception des infrastructures (Autodesk Infraworks) afin d’assembler la maquette globale et ajouter des attributs à ses différents objets (Figure 10).

Cette approche était une initiation au processus de modélisation de maquette virtuelle et de sa mise en place pour les infrastructures routières. Elle peut être décrite comme «procédurale» dans le sens où:

• Toutes les informations et objets relatifs au projet ont été réunis en une seule maquette permettant la compréhension du projet dans sa globalité et dans son environnement réel grâce à l’acquisition par PVA drone.

• Elle touche à une mise en place d’un processus en termes d’échange de données, de représentation 3D et de création de bibliothèque d’objets propre à un tel projet.

• Elle présente un support tridimensionnel riche pour répondre à plusieurs cas d’usages qui pourront être demandés par la suite (par exemple la modélisation 4D sur Autodesk).

Par ailleurs, plusieurs contraintes liées à l’intégration du BIM dans les projets d’infrastructure ont été soulevées dans ce cas d’étude. Nous citons:

• La structuration des objets de la maquette ne répond pas à une exigence d’architecture IFC vu que les solutions utilisées en infrastructures pour la modélisation ne prennent pas en compte cette norme (BuildingSmart Infra Room, 2017). En effet, la maquette est représentée en plusieurs ‘calques’ dont chacun est un dossier comportant un type de données (Figure 12a) ce qui ne répond pas à l’exigence de la norme IFC Alignement (Figure 12b).

• L’enrichissement de la sémantique des objets de la maquette est possible grâce à l’ajout de quelques attributs prédéfinis par le logiciel Autodesk Infraworks. Cependant, cet enrichissement reste très limité pour répondre aux exigences du BIM dans le cadre des projets d’infrastructure.

• La topologie au sein de la maquette n’est pas prise en compte. Ainsi, la rectification d’une partie du projet requiert la modification manuelle de tous les objets qui y sont connectés. Une telle modification devait à chaque fois se faire en revenant au logiciel métier de l’étude (Covadis) ainsi qu’au logiciel d’assemblage de la maquette (Autodesk Infraworks).

• Aucune extraction de plans 2D n’est possible à partir de la maquette globale assemblée. En effet, toute extraction de plan concernant l’infrastructure routière devra se faire à travers le logiciel métier de conception. Cependant, certains objets connexes (bâtiments, végétation) ne sont pris en compte dans ces plans.

• L’export de la maquette globale ne se fait pas selon la norme IFC ou la norme CityGML. L’export se fait seulement en format FBX. La principale limite à notre objectif par rapport à ce dernier format est que la maquette est exportée en un seul bloc. Son exploitation après export ne permet pas de manipuler les objets qui la constituent chacun à part. Ceci rend les possibilités d’analyses et de simulations impossibles.

CONCLUSION 

Le développement du BIM dans le secteur des infrastructures se décline sous forme de plusieurs aspects: 1) les normes IFC/MVD/IDM, 2) leurs interactions avec les normes existantes (telles que le CityGML), et 3) les procédures de collaborations et d’échange des données autour d’une maquette BIM commune. Il est sujet d’une recherche scientifique internationale au sein d’organismes comme le BuildingSmart et le projet MINnD et d’universités. L’objectif étant d’adapter le concept du BIM au contexte des infrastructures avec ses différents domaines (Routes, Ouvrages d’Art, Chemins de Fer) et exigences. Cette adaptation devra faire face aux différentes contraintes techniques imposées par la nature de ces projets. Ces contraintes ont été illustrées à travers le cas d’étude présenté dans cet article qui correspond à une maquette virtuelle 3D au niveau d’un échangeur d’autoroute au Maroc.

Ce travail de recherche a permis une analyse des problèmes d’interopérabilité au sein du processus de réalisation de maquette BIM pour un projet routier. Pour améliorer les capacités d’interopérabilité dans le BIM, nous sommes en train d’investiguer les avantages et les apports de la modélisation paramétrique pour la structuration des objets au sein d’un modèle BIM 3D en se basant sur les recommandations de BuildingSmart afin d’enrichir la norme IFC.

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