Résumé

Au Maroc, l’envasement des barrages représente un problème épineux pour l’état. La valeur annuelle totale d’envasement est estimée à 75 millions de m3. L’un des réservoirs stratégiques qui connait cette problématique sérieuse est le barrage de Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi (MBAK). Alimenté par le bassin versant du Nékor et mis en eau en 1981, celui-ci constitue l’unique source d’eau pour la ville d’Al Hoceima et les centres urbains avoisinants (Imzouren, Béni Bouayach, etc.). Vu l’état de ravinement très avancé, le déficit hydrique des sols, la quasi-absence du couvert végétal et la brutalité des crues dans le bassin versant Nékor, le barrage MBAK s’envase à un rythme préjudiciable pour sa durée de vie. Ainsi, et depuis 1976, l’état a entrepris plusieurs aménagements d’origine multisectorielle (département d’hydraulique, eaux et forêts, agriculture, équipement) afin d’assurer la conservation du capital «eau-sol» et protéger le barrage MBAK. La présente étude vise à reconstituer les données historiques et dresser un diagnostic des travaux antiérosifs réalisés par les services de l’État. Concernant les traitements mécaniques, le diagnostic se base sur la comparaison entre l’état initial et l’état actuel de 19 barrages de sédimentation sur un total de 21 existants. Quant aux traitements biologiques, 12 placettes établies sur 4 périmètres de reboisement ont été prospectées en déterminant la hauteur dominante, la densité et l’état sanitaire des plantations (Pin d’Alep, Pin Maritime et Eucalyptus torquata). L’efficacité des aménagements antiérosifs a été évaluée à l’aide de plusieurs indicateurs basés principalement sur des observations de terrain comme l’état des structures par rapport au profil original, le taux de réussite des plantations ou l’état actuel des arbres. Bien que l’État ait beaucoup investi dans la réalisation de ces aménagements, les résultats attendus en matière de rétention de sédiments et de réduction de l’envasement n’ont pas été satisfaisants. En effet, la quasi-totalité des seuils de sédimentation ne jouent plus leur rôle, car la majorité d’entre eux ont totalement ou partiellement été emportés par les premières crues. Quant aux reboisements, et malgré un taux de réussite dépassant généralement les 50 %, une partie importante des arbres est infectée par différents agents pathogènes, ce qui entraine leur dépérissement.


Mots clés: Bassin versant Nékor, barrage Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, Érosion hydrique, Envasement, Aménagements, Évaluation, Rif, Maroc.

Introduction

Le sol est une ressource naturelle limitée, dont la genèse demande des centaines voire des milliers d’années. Elle est à la base des principales activités socio-économiques (agriculture, urbanisation, pastoralisme, etc.) et assure des fonctions écologiques et environnementales fondamentales (biodiversité, production d’eau de qualité, séquestration de carbone, etc.). Sa dégradation entraîne, entre autres, la réduction des surfaces agricoles, la diminution des rendements ayant un impact sur la sécurité alimentaire, l’envasement des barrages handicapant une gestion rationnelle des ressources en eau et une perte de qualité des paysages. Les principaux facteurs responsables de l’érosion hydrique sont bien connus : le type de sol, son occupation, la topographie et le climat (Wischmeier et Smith, 1978; King et Le Bissonnais, 1992).

Au Maroc, selon le plan national d’aménagement des bassins versants (MCEF, 1999), l’érosion touche une grande partie du territoire puisque 75% de la superficie totale des grands bassins (environ 20 millions ha) est affecté par un grand risque d’érosion. La forte présence de roches tendres (marnes, schistes, flysch, argilites), de pentes fortes (jusqu’à plus de 60%) et l’agressivité des pluies expliquent ce constat (Heusch, 1970). En outre, depuis le début du 20ème siècle, le couvert forestier a été sévèrement dégradé.

Sous la pression démographique, les paysages forestiers ont été surpâturés et transformés en une mosaïque de parcelles céréalières imbriquées dans un matorral dégradé. Les rôles environnementaux de la forêt ne sont plus assurés. Le stockage du carbone dans les sols est réduit de moitié et la stabilité structurale se dégrade entraînant des phénomènes de ruissellement et d’érosion souvent spectaculaires. L’eau des montagnes se charge de sédiments qui envasent rapidement les barrages. L’envasement annuel des barrages est estimé à 75 millions de m3 (MCEF, 1999).Face à cette problématique, tous les départements concernés ont développé et mis en œuvre des stratégies et actions pour la lutte contre l’érosion et l’envasement des barrages. Le plan national d’aménagement des bassins versants a traité en priorité les bassins en termes de lutte antiérosive. Les approches d’aménagement se heurtent aux difficultés de choix des sites, des méthodes et des pratiques d’intervention.

L’un des réservoirs stratégiques qui connaît une problématique sérieuse d’envasement est le barrage Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi (MBAK), alimenté par l’oued Nekor . Mis en eau en 1981 et constituant l’unique source d’eau pour la ville d’Al Hoceima et les centres urbains avoisinants (Imzouren, Beni Bouayach, etc.), le barrage MBAK s’envase à un rythme préjudiciable pour sa durée de vie malgré de nombreux aménagements d’origine multisectorielle (département d’hydraulique, eaux et forêts, agriculture, équipement).

Actuellement et en dépit de tous ces efforts, le barrage MBAK est quasiment entièrement envasé, la capacité de sa retenue suffit à peine à subvenir aux besoins en eau d’Al Hoceima (DRPE, 2013). De ce fait, l’État marocain a prévu de construire, dans les plus brefs délais, un barrage dans le bassin versant de l’oued Rhiss, connexe au bassin du Nekor et présentant les mêmes configurations. De par la variété des interventions mises en place sur le bassin versant du Nekor (reboisements, aménagement des terres, correction de ravins, grands seuils de sédimentation dans les oueds principaux), ce bassin constitue un véritable laboratoire à ciel ouvert. Malheureusement, aucun retour d’expérience sur l’efficacité de ces divers aménagements n’a été conduit à ce jour et les responsables de l’aménagement du territoire sont toujours en attente de solutions efficaces qui permettent de limiter l’envasement des barrages, tel celui en construction sur l’oued Rhiss.

Ce papier a pour objectif de faire une reconstitution de l’historique des interventions d’aménagement antiérosif réalisées par les services de l’État dans le bassin du Nekor, ainsi que d’apporter un diagnostic de leur état actuel de fonctionnement.

Zone d’étude

La zone d’étude couvre une surface d’environ 780 km² entre les limites administratives d’Al Hoceima à l’ouest et au nord, Taza au sud et Nador à l’est de la région (Figure 1).Le climat est typiquement méditerranéen avec une tendance semi-aride. Il est froid et humide en hiver et chaud et sec en été. La pluviométrie moyenne interannuelle du bassin est estimée à 340 mm (Amil, 1992). Les averses se concentrent entre octobre et mai lors de certains passages de front froid, mais peuvent quelquefois se produire en été sous l’influence du relief (Amil, 1992). Malgré ce faible cumul pluviométrique, le bassin est soumis à des crues importantes du fait de pluies orageuses, intenses et irrégulières et d’un milieu très favorable au ruissellement. L’écoulement de l’oued est très intermittent puisque le nombre annuel de crues du Nekor se situe en moyenne autour de 3-4 et ne dépasse pas dix par an. Les températures moyennes mensuelles varient entre 7 °C (janvier) et 28 °C (août) dans l’ensemble du bassin, mais peuvent descendre jusqu’à 0°C sur les sommets des montagnes.

De point de vue topographique, le relief dominant au Nekor est de nature montagneuse. L’altitude moyenne dépasse les 1 500 m et le relief le plus accusé se trouve à l’Est du bassin versant à Azrou Akechou avec 2 009 m d’altitude (Figure 1). L’index global de pente est de 20,7 m km-1 dans tout le bassin versant, cet index est plus élevé en rive gauche qu’en rive droite (Lahlou, 1990).

Figure 1: Carte des altitudes et des limites provinciales du bassin versant de Nekor

Le bassin du Nekor est caractérisé par des formations sédimentaires de type schisteux et marno-schisteux, tendres, fracturées, sans cohérence. La rive gauche du bassin versant est constituée en grande majorité de formations de type schiste - de l’unité de Kétama- avec alternance de calcaires ou de marnes, quelques fois enrobant de grands blocs de grès (flysch schisto-gréseux albo-aptien). La rive droite est formée par des formations lithologiques de nature plus variée ; on trouve les grès du miocène inférieur du Jbel Kouine au sud ; au Sud-Ouest les formations calcaires durs Liasiques du Jbel Azrou Akechar s’entourent de schistes Jurassiques ; plus au Nord-Est, vers l’accident de Nekor, on rencontre essentiellement un olistostrome gypsifère Triasique, ainsi que les formations de schistes, calcaires et marno-calcaires du Crétacé (Amil, 1992). Les sols constitués essentiellement par des débris d’altération du substrat, sont superficiels et la teneur en matière organique y est faible. Par ailleurs, quelques terres d’alluvions et de terrasses y sont distinguées. La texture des sols varie d’argileuse à argilo-limoneuse avec quelques cas peu étendus de sablo-argileux. Cette situation fait que ces substrats sont sensibles à l’érosion (Figure 2).

Matériel et méthodes 

L’objectif principal de l’étude est de reconstituer l’historique des travaux antiérosifs réalisés par les services de l’État au bassin versant Nekor depuis 1976, date des premiers aménagements sur ce bassin, et d’en dresser un état actuel. La démarche poursuivie pour aboutir à cette fin se décompose en deux étapes :

Reconstitution des données historiques

La reconstitution de l’historique des travaux antiérosifs a été réalisée à partir:

• Des archives administratives. L’ensemble des documents d’interventions effectuées par les différents services de l’état, en matière de lutte antiérosive, ont été rassemblés et dépouillés afin de construire une base structurée sur l’histoire de l’aménagement du bassin versant de Nekor . Tous les documents relatifs à l’état initial des aménagements (plans côtés, photos, etc.) afin de caractériser l’évolution du milieu (installation des aménagements visibles, etc.) et d’analyser la morpho-dynamique du bassin versant en réponse à ces structures ont été intégrés dans cette base de connaissances.

• D’enquêtes réalisées auprès des services administratifs et de la population locale (paysans âgés principalement). Ces enquêtes ont permis le recueil d’un maximum de données et d’informations sur l’histoire des aménagements et des grands événements de crues survenus sur le bassin versant.

Diagnostic de l’état actuel des aménagements

Afin d’établir un bilan diagnostique des interventions, des visites de prospection couvrant la quasi-totalité du terrain ont été exécutées. Ces visites ont permis une description détaillée de l’état actuel des aménagements et plus précisément des grands seuils de sédimentation et des reboisements. Ces aménagements ont été ciblés du fait de leur importance en termes de coût et d’impacts attendus sur la réduction de l’envasement du barrage MBAK.

Pour les grands seuils de sédimentation, le diagnostic a d’abord consisté à décrire la situation de l’ouvrage (disparu, endommagé, intact) puis décrire l’évolution du milieu dans la distance d’influence immédiate de l’aménagement (sédimentation, installation de végétation, intervention de la population locale, etc.). En fonction du facteur d’accessibilité, la prospection a concerné 19 seuils de sédimentation sur 21 existants. Une carte de spatialisation des ouvrages, en fonction de leur état actuel de fonctionnement, a été élaborée à l’aide d’ArcGIS (Esri).

En ce qui concerne les reboisements, une évaluation globale sur quatre périmètres à base de Pins d’Alep, Pins maritime et d’Eucalyptus a été réalisée à travers l’installation de 12 placettes de 10*10 m (3 placettes par périmètres). L’évaluation a été faite à travers les critères de taille, de diamètre, de densité et de recouvrement des reboisements ainsi que l’état sanitaire des arbres. Pour chaque périmètre, le taux de réussite du reboisement est basé sur la moyenne de 3 placettes par comparaison entre le nombre actuel d’arbres et le nombre d’arbres initialement plantés.

Résultats et discussion 

Historique des aménagements

De par la variété des interventions mises en place sur le bassin versant du Nekor (reboisements, aménagement des terres, correction de ravins, grands seuils de sédimentation dans les oueds principaux), ce bassin a depuis longtemps constitué un véritable laboratoire à ciel ouvert. Différents types d’aménagement ont été mis en œuvre dans le cadre de plusieurs programmes et projets nationaux de lutte antiérosive comme le plan national de reboisement (PNR), le Projet de Développement du Rif Occidental (DERRO) et le Projet Nekor. Les grandes phases d’installation des aménagements sont:

• De 1976 à 1991,la décision de doter la région d’un barrage dans les années 1975 incitait l’état à déclarer le bassin versant Nekor comme bassin d’intérêt national. L’aménagement d’au moins 59% de la superficie totale du bassin versant devait être réalisé dans les plus brefs délais, dans le contexte d’un schéma directeur d’aménagement intitulé «Projet Nekor». L’objectif principal de ce projet était de réduire de 50% les charges sédimentaires charriées à l’exutoire à travers des interventions de nature mécanique et biologique (Tricart, 1976). Plusieurs services et ministères ont collaboré à l’exécution de ce programme, et notamment le Ministère des Travaux Publics (actuellement Ministère de l’Équipement, Transport et Logistique) ainsi que le Ministère de l’Agriculture et le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification. Malheureusement, le taux de réalisation a été en deçà des prévisions (Tableau 1), comme l’a montré un bilan réalisé en 1992 (Tableau 2).

• De 1991 à 2005, le service forestier a réalisé des interventions d’aménagement de type mécanique et biologique dans le bassin versant Nekor dans le cadre de ses programmes annuels et réguliers.

• De 2005 à 2014, la poursuite de ces interventions s’est inscrite dans le cadre du programme décennal de la direction des eaux et forêts en matière de lutte antiérosive.

• Aujourd’hui et selon les services de recherche et planifications de l’eau, le bassin versant Nekor a perdu la sollicitude des responsables en matière de programmes de traitement antiérosif, au profit du bassin versant Rhiss qui est en phase d’étude pour l’installation d’un nouveau barrage.

Nature des interventions

L’inventaire des travaux antiérosifs situés à l’amont du barrage Mohammed Ben Abdelkrim Al Khattabi, ainsi que nos prospections de terrain, nous a permis de distinguer plusieurs types d’aménagements selon leur nature biologique ou mécanique :

Correction torrentielle. Plusieurs ravins ont été aménagés par des seuils afin de ralentir les écoulements et contrôler l’évolution des cônes de déjection de manière à retenir le maximum de sédiments à l’amont du barrage Mohammed Ben Abdelkrim Al Khattabi. Les principaux types de seuils réalisés dans ce cadre sont en gabion (Figure 3), en métal déployé, en grillage avec piquets (Figure 4) ou en pierres sèches.

Barrages de sédimentation. 21 grands seuils de sédimentation (Figure 5) ont été construits dans les principaux tronçons du réseau hydrographique dans le but de protéger le barrage. Le rôle recherché par ces seuils était de stabiliser le lit de l’oued en rectifiant son profil longitudinal. En effet l’installation d’un tel seuil permet de créer des points de fixation et de réduire la pente moyenne des tronçons de l’oued, et par conséquent son pouvoir de transport et d’arrachement de matériaux. L’objectif de ce type d’aménagement était donc de limiter le transport par charriage des éléments grossiers pour éviter qu’ils finissent par se déposer dans la retenue du barrage, rendant sa gestion très difficile lorsqu’ils se déposent près des vannes de fond ou pouvant même présenter une menace pour la sécurité de l’ouvrage. Pour contrôler au mieux les flux alluviaux pour le Nekor, les différents intervenants ont envisagé trois lieux d’implantation pour ces seuils : le long de l’oued principal Nekor; au niveau des principales confluences ; au niveau des gorges en amont du bassin.

Reboisement. Les actions de reboisement ont débuté en 1976 dans le périmètre d’Asmoud, après l’élaboration du schéma directeur d’aménagement avec pour objectif principal la protection des sols du bassin versant. Les principales espèces plantées lors de ces reboisements dans le bassin versant sont le Pin maritime de montagne (Pinus pinaster, Figure 6),le Pin d’Alep (Pinus halepensis) et l’Eucalyptus (Eucalyptus torquata).

D.R.S fruitière. Il s’agit principalement de travaux visant à maintenir les terres en cultures. Ils ont eu lieu sur des terrains privés à travers des plantations fruitières dans des zones à vocation arboricole ou zones de cultures sèches (Bour). Les principales espèces fruitières plantées sont l’amandier, l’olivier, la vigne et le noyer de Bulgarie.

Aménagement pastoral. L’objectif à atteindre par cet aménagement est de pourvoir les éleveurs en pâturage. Cette intervention a eu lieu sur des terres incultes, en jachère de longue durée ou abandonnées pour cause de ravinement ou de difficultés d’accès.

La figure 7 synthétise le type et la nature des aménagements réalisés sur le bassin versant du Nekor.

État des lieux des aménagements

Dans le bassin versant du Nekor, l’État a énormément investi dans les travaux de lutte antiérosive afin de protéger l’ouvrage hydraulique MBAK. Les barrages de sédimentation et les reboisements constituent les éléments phares du schéma directeur d’aménagements et ont coûté à eux seuls respectivement 33,55 et 21,7 Millions de Dirhams, soit 66% des investissements réalisés en 1992 en matière d’aménagements antiérosifs (Tableau 2). Nous restituons ici le résultat du diagnostic réalisé pendant la phase de prospection au terrain sur ces deux types d’aménagement.

Barrages de sédimentation

L’observation et l’enquête sur le terrain ont montré que la majorité des barrages de sédimentation ont été entièrement emportés par les premières grosses crues succédant leur construction. Ceci est dû au caractère particulier du bassin versant Nekor, qui se caractérise par une lithologie très friable et un régime de crue sévère marqué par un charriage de fond qui s’élève à 50% du transport total (Tricart, 1976). Pour les ouvrages construits en gabion, l’observation de terrain (traces de seuils transportés ou non fonctionnels) a montré quel es défaillances apparaissent dans un premier lieu au niveau du déversoir. La destruction commence par la coupure du grillage protecteur sous l’effet du choc entre les blocs entraînés par le courant d’eau et les blocs du seuil.

Dans l’objectif de mieux décrire l’état de lieu de ces aménagements, une comparaison entre leur état initial et leur état actuel parait utile. Les tableaux 3 et 4 récapitulent les principales caractéristiques des 19 seuils prospectés et leur état actuel.

Dans l’ensemble, 15 barrages de sédimentation sur 19 ont été entièrement emportés ou endommagés. Ils sont concentrés dans les sous-bassins versants situés à l’aval du Nekor. Seules des traces d’ancrages restent visibles (Figure 8). Trois autres seuils sont en état d’endommagement avancé (Figure 9b) et risquent d’être emportés par les prochaines crues. La partie non endommagée du sous bassin Malou a été stabilisée grâce à un reboisement en Eucalyptus de la zone sédimentée en amont du seuil (Figure 5). Il en est de même pour le seuil de l’Oued Sidi Aissa où les paysans profitent encore des restes de la retenue pour cultiver l’olivier, l’amandier et des figuiers. Au final, un seul est resté en bon état de fonctionnement. Il se situe tout en amont du bassin versant dans la région de Brart (Figure 10).

La majorité des sédiments retenus par ces ouvrages sont de taille très grossière, ce qui s’explique à la fois par la nature lithologique du terrain, l’absence d’un sol développé et le caractère torrentiel de l’écoulement qui limite fortement la sédimentation des éléments moins grossiers. Aucun entretien et/ou exploitation des retenues, par la population locale, n’a été remarqué, à l’exception des plantations en amont de la partie non endommagée des seuils du bassin Malou et de l’Oued Sidi Aissa (Figure 11).

Une cartographie de ces aménagements a été réalisée à l’aide d’un système d’information géographique (SIG), afin de mieux visualiser les informations collectées sur le terrain (Figure 12). Ce repérage géographique permet de faciliter la gestion de l’espace et contribue à une meilleure prise de décision en matière d’aménagement.

Reboisement

L’inventaire de quatre périmètres de reboisement (Tableau 5) montre, à travers l’analyse de 3 placettes par périmètre, que l’état de ces plantations destinées à la protection du bassin versant contre l’érosion diffère selon le contexte: espèce, altitude, exposition, etc.

En matière de densité, les meilleurs résultats sont constatés dans les périmètres d’Eucalyptus où la densité du peuplement est de 764 arbres par hectare. Pour le pin maritime, elle est estimée à 573 arbres par hectare. Quant au pin d’Alep, la densité est autour de 461 arbres par hectare. L’inspection de ces plantations sur le terrain montre que les plantations de pin d’Alep et du pin maritime sont largement infestées par la chenille processionnelle, les arbres d’Eucalyptus quant à eux souffrent des symptômes des deux ravageurs : «psylle: Glycapsis brimblecombei» et «Phoracantha semipunctata». Le psylle est un insecte qui se nourrit de la sève des feuilles et qui sécrète de grandes quantités de miellat qui favorisent l’installation de champignons opportunistes (fumagines). Ces derniers donnent une couleur noirâtre provoquant la chute des feuilles, l’affaiblissement et l’augmentation de la vulnérabilité des arbres touchés aux maladies et aux attaques d’autres ravageurs. Les dégâts sont perceptibles tant au niveau de la vigueur et de la vitalité des plantations d’eucalyptus qu’au niveau de leur productivité, avec un stade final d’infection marqué par la sénescence de l’arbre. Quant au Phoracantha semipunctata qui est un Coléoptère xylophage qui s’attaque à des arbres en déséquilibre physiologique, l’affaiblissement est dû essentiellement à une mauvaise adaptation de l’espèce aux conditions écologiques normales de la station plantée, et a sans doute été accentué par les conditions exceptionnelles que connaît la région (années de sécheresse), en plus d’une mauvaise sylviculture.

Les résultats du tableau 6 et du graphique de la figure 13 montrent qu’au niveau de toutes les communes rurales, et malgré un taux de réussite des reboisements dépassant généralement les 50 %, une partie importante des arbres est infectée par différents agents pathogènes. Il ressort aussi que :

• Le Pin maritime a donné de bons résultats dans les périmètres de Chekrane;

• Le Pin d’Alep a donné des résultats moyens dans les sites de Chekrane et de Larbaa Taourirt;

• L’Eucalyptus, quant à lui, a montré des bons résultats dans le périmètre de Tizi Ousli. Cependant, l’Eucalyptus représente l’espèce la plus infectée parmi les toutes espèces reboisées par des agents pathogènes perturbant ces écosystèmes, ce qui entraîne son affaiblissement et une forte mortalité des arbres.

Au-delà des agents pathogènes évoqués, l’action du bétail, le manque d’entretien au niveau des plantations (traitements sanitaires et sylvicoles) et la présence de maladies sur certains arbres infectant les autres après leur affaiblissement, constituent les autres causes importantes de dégradation de ces plantations.

Conclusion 

De par ses caractéristiques climatiques (précipitations d’origine orageuse, intenses et irrégulières), topographiques (altitude moyenne de 1 500 m et index global de pente de 20,7 m km-1), lithologiques (formations sédimentaires de type schisteux et marno-schisteux, tendres, fracturées, sans cohérence) et naturelles (couvert végétal très peu couvrant), le bassin versant du Nekor connaît un taux de dégradation des plus importants dans le Royaume.

Face à cette situation, l’État a fourni un effort considérable en matière de lutte contre l’érosion hydrique, afin de faire face aux phénomènes de dégradation des terres dans le bassin et réduire l’envasement du barrage Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi. Depuis 1976, plusieurs interventions antiérosives ont été entreprises. Le bilan des réalisations est évalué à 1 052 seuils de traitement des ravins, 21 barrages de sédimentation, et 16 790 ha de traitements biologiques (reboisement, DRS et protection des berges) répartis sur toute la surface du bassin versant. Les grands seuils de sédimentation ainsi que les reboisements représentent les aménagements qui ont coûté le plus cher dans cette série d’interventions (plus de la moitié du budget total).

En dépit de tous ces efforts, l’examen de la situation actuelle des ouvrages montre qu’une grande partie des barrages de sédimentation n’ont pas joué durablement leur rôle du fait qu’ils ont été très rapidement emportés en totalité par les crues. De plus, l’entretien de ces structures sensibles n’a jamais été assuré de manière suffisante et régulière. Concernant les reboisements, ceux-ci continuent à jouer un rôle important dans la fixation et la réhabilitation des sols, et leur état de recouvrement (densité et taux de réussite) est plutôt encourageant malgré l’attaque de divers pathogènes.

De façon générale, le phénomène d’érosion dans le bassin versant Nekor connaît toujours une ampleur spectaculaire. Quelles que soient les lacunes et les défaillances qui sont observées sur les aménagements antiérosifs réalisés, la situation aurait pu être plus grave en l’absence de cette politique de protection. De plus, les effets positifs de cette politique sont largement ressentis chez les habitants et les responsables, désormais conscients que l’intégration de la population locale dans la conception et la réalisation de tous types d’aménagements constitue un élément essentiel pour promouvoir une meilleure conservation des terres et protection des ouvrages hydrauliques en aval.

Références

Amil M. (1992). Bassin versant du Nekor: Recherche des zones sources d’envasement de la retenue du barrage Mohamed Ben Abdelkrim AlKhattabi (Maroc). Thèse en hydrogéologie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal: p.11.

Bassoumori T. (1992). Évaluation de l’efficacité de la défense et restauration des sols dans le bassin versant du Nekor. Mémoire de 3ème Cycle, École Nationale Forestière d’Ingénieurs, Salé, Maroc. p.48.

DRPE (2013). Direction de la Recherche et de la Planification de l’Eau. Études destinées au contrôle de l’envasement des retenues des barrages barrage Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi. Ministère de l’Énergie, des Mines de l’Eau et de l’Environnement.

Heusch B. (1970). L’érosion du PRE-RIF. Une étude quantitative de l’érosion hydraulique dans les collines marneuses du Pré-Rif Occidental (Maroc). Annales Recherche Forestière au Maroc, 12: 9-176.

King D. et Le Bissonnais Y. (1992). Rôle des sols et pratiques culturales dans l’infiltration et l’écoulement des eaux: exemple du ruissellement et de l’érosion sur les plateaux limoneux du nord de l’Europe. C.R. Acad. Agriculture : 91-105.

Lahlou A. (1990). Envasement du barrage Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi et lutte antiérosive du bassin versant montagneux situé à l’amont. IAHS Publ. no. 194: 243-252.

MCEF (1999). The Moroccan National Development Plan of watersheds. Administration of water, forests and conservation of water and soil. Rabat.

Tricart J. (1976). Flux Sédimentaires et lutte contre le colmatage de la retenue du Nekor. Rapport, projet Nekor.PNUP, FAO, MOR 71/536.p.75.

Wischmeier, W.H., Smith, D.D. (1978). Predicting Rainfall Erosion Losses: A Guide to Conservation Planning. U.S. Dept. of Agriculture, Washington, DC.