Impact des oiseaux granivores sur le rendement de la culture du riz pluvial (Oryza sativa L.) dans la province du Sud-Ubangi, RD Congo
Résumé
Une étude de l’impact des oiseaux granivores sur le rendement du riz pluvial (Oryza sativa) en culture pure a été conduite à l’Institut Supérieur d’Études Agronomiques (ISEA) de Bokonzi, dans la province du Sud-Ubangi, en République Démocratique du Congo. L’objectif principal de cette étude était d’évaluer les déficits des rendements de la culture pluviale du riz, causés par les oiseaux granivores dans la zone d’étude. Les résultats des analyses statistiques démontrent que le taux de déperdition dû à l’action des oiseaux est de 4,67 % dans les champs surveillés et de 28,3 % dans les champs non surveillés, soit une perte moyenne à l’hectare de 16,1 % de rendement. Ceci traduit une perte respective équivalant à 28,3 USD et 167 USD, soit en moyenne 97,8 USD/ha. Ces pertes constituent un déficit socio-économique important pour les riziculteurs.
MOTS-CLEFS: Oryza sativa, Oiseaux granivores, Surveillance, Rendement, République démocratique du Congo.
INTRODUCTION
Le potentiel agricole de la République Démocratique du Congo est considérable: les terres arables disponibles sont estimées à plus ou moins 80 millions d’hectares dont 10 % à peine sont exploités à raison de 3 % pour les cultures et 7% pour les pâturages (Ministère de l’Agriculture, 2010; Roux, 2014). Le secteur agricole présente donc un potentiel important pour la croissance économique du pays car plus de 80 % de la population congolaise est paysanne et vit de l’agriculture (Vredeseilanden, 2004). Le riz est la céréale plus importante et la plus cultivée dans le monde (environ 150 millions d’hectares), principalement pour la production de ses grains qui constituent la base de l’alimentation de plus de la moitié de la population mondiale (Ahmadi et al., 2006; Nguetta et al., 2006; Mémento de l’agronome; 1991). C’est la plus importante culture dans les pays en développement (Evenson et Gollin 2007). En République Démocratique du Congo, le riz est cultivé depuis 1840, l’année de son introduction par les Arabes, et sa culture est restée longtemps cantonnée dans les régions orientales du pays chez les populations arabisées des environs de Kisangani et du Maniema (REAFOR, 2009). Actuellement, l’importance que revêt la riziculture pluviale dans les milieux ruraux qui représentent une bonne partie du pays n’est pas à démontrer. Elle constitue une culture d’avenir et de sécurité alimentaire pour le pays, comptant parmi les principaux aliments de base avec le manioc et le plantain, destinés essentiellement à l’autoconsommation et partiellement au marché. Pour ces spéculations, la carence marquée des principaux intrants, les maladies, les attaques des insectes, l’insuffisance des infrastructures de conservation et de transformation dans les zones de production constituent les principaux goulots d’étranglement sont les (REAFOR, 2009, MINADER, 2010).
Comme toute activité agricole, l’exploitation de la culture de riz vise une meilleure production en vue d’obtenir un bon rendement pouvant augmenter les revenus des riziculteurs. Cependant, parmi les contraintes qui influencent souvent négativement sa production dans la zone d’études, les oiseaux qui se nourrissent en groupes importants occasionnent des dommages sévères, bien visibles sur certains champs et pouvant même aller jusqu’à la perte total de la récolte dans certains paysans (Treca, 1984; Nadie, 2008). Les oiseaux granivores (Quelea quelea et autres) constituent une contrainte majeure à la riziculture. Des riziculteurs affirment avoir choisi d’abandonner certains terrains parce qu’ils ne sont pas à mesure de protéger leurs champs contre les attaques très sévères les oiseaux ravageurs (Nasasagare et al., 2014). Ces dégâts au champ se manifestent à trois niveaux à savoir : pendant la période de semis, la floraison et la maturité (avant la récolte). En effet, les dégâts causés par les oiseaux sont cités parmi les principales contraintes biotiques à la base de la faible productivité du riz (Bouet et al., 2014). Les pertes de récoltes induites varient de 10 à 15 % en moyenne en Afrique subsaharienne. Il a été rapporté dans certains pays des pertes de 50 à 100 % de la production céréalière dus à l’oiseau Quelea, en absence de toute surveillance (Manikowski et al., 1991).
Dans la zone d’étude, les oiseaux endommagent des champs cultivés pendant toute l’année, mais en saison culturale A allant de janvier à juin, les dégâts semblent être élevés. Au regard de cette situation alarmante, il revient à l’esprit la principale question de savoir: « est-ce que les dégâts causés par les oiseaux granivores dans la culture du riz, surtout durant le stade d’épiaison jusqu’à la maturité, dans cette zone entraînent-ils une baisse importante du rendement ? »Il faut noter que toutes les études menées jusqu’à présent dans cette zone d’étude ne donnent aucune indication relative à la quantification des dégâts causés par les oiseaux dévastateurs sur les cultures en général et la riziculture en particulier. C’est dans cette optique que s’est réalisée cette étude qui constitue une banque des données permettant une meilleure gestion des dits dégâts en vue d’envisager les pistes de solution.
MILIEU, MATÉRIEL ET MÉTHODES
Milieu
La présente étude a été effectuée pendant la saison culturale (ou saison A, couvrant la période allant de janvier à juin 2015) à l’Institut Supérieur d’Études Agronomiques (ISEA) de Bokonzi situé dans la Province du Sud-Ubangi en République Démocratique du Congo. Le milieu d’étude se trouve à 2°20‘de latitude Nord et 18°40’ longitude Est (GPS de marque Etrex). Le milieu se présente comme un plateau d’altitude moyenne de 350 m au-dessus de la mer. Suivant la classification de Koppen, la contrée appartient à une zone climatique du type Aw3 caractérisée par une saison sèche qui dure environ 70 à 80 jours (Ministère du Plan, 2005). Les moyennes de précipitations annuelles sont plus ou moins de 1408 mm. Au cours de l’expérimentation, le nombre de jours de pluies et les hauteurs mensuelles des précipitations enregistrées sont présentés dans la figure 1.
La température est de 20,7°C minimum et 30,7°C maximum, la moyenne journalière étant de 25,7°C. L’humidité relative est de 87 %. Selon les matériaux d’origine et le processus de la pédogenèse, le sol appartient au type des ferrasols sur roches non définies. Ces sols limono-argileux et des limons sableux, généralement acides avec un pH oscillant entre 4,4 à 4,7, adaptés à certaines cultures telles que caféier, cacaoyer, palmier (Ministère du Plan, 2005).
Matériel
Le matériel de cette étude est constitué des plants de riz de la variété NERICA 7, originaire de la Côte d’Ivoire, introduites en République Démocratique du Congo en 2005, diffusée depuis 2006 et inscrite au catalogue variétal en 2008, diffusé dans la zone d’études par l’INERA Boketa; ayant un cycle végétatif (de semis à la maturité) de 95-100 jours et un rendement moyen de 2500 kg/ha en milieu paysan (SENASEM, 20 (SENASEM, 2012). C’est l’une des variétés hybrides, très performante, précoce et parfaitement adaptée aux dures conditions de culture et au faible niveau de fertilisation des terres de riziculture pluviale de l’Afrique subsaharienne (ADRAO, 2008).
Méthode
Pour collecter les données relatives à cette expérimentation,quatre champs des paysans ont été choisis au hasard. Le dispositif expérimental a été composé des couloirs ou parcelles ayant chacune 4 m de largeur et 40 m de longueur (soit une superficie parcellaire de 160 m2) à raison de six parcelles sous surveillance et six autres sans surveillance, soit au total douze parcelles. Le semis a eu lieu du 24 au 28 janvier 2015 pour les deux premiers champs et du 10 au 14 février 2015 pour les deux autres, aux écartements de 30 x 40 cm, à raison de 4 à 6 grains par poquet. La récolte a couvert la période du 25 mai au 10 juin 2015 tandis que le battage et la pesée sont intervenus le 16 juin 2015 en vue des analyses.
Les paramètres agronomiques et économiques envisagés dans cette étude ont portés sur la production récoltée, le rendement en nature et en valeur, rapportés à l’hectare. Ainsi, l’estimation des effets des ravages sur le rendement de riz est faite en calculant le taux de rendement et le taux de déperdition en paddy à l’aide des formules ci-après:
• Rendement (%) = (Production obtenue)/(Production escomptée)×100
• Taux de déperdition (%) =100 - Rendement (%)
Toutes les données collectées ont été analysées à l’aide de l’utilitaire d’analyse « Analysis Toolpak » du complément Excel 2010.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Les résultats des observations et des analyses relatives aux différents paramètres retenus pour cette étude sont résumés dans le tableau 1.
L’analyse statistique révèle que les deux traitements comparés sont significativement différents pour toutes les variables observées.
Étant donné que le système de riziculture pluvial est de moins en moins productif du fait du raccourcissement de la durée des jachères dans le milieu d’étude (rendements de 1 t/ha au lieu de 2 t/ha) (Ahmadi et al., 2006), le rendement moyen de 1562,5 kg de riz paddy à l’hectare, estimé satisfaisant pour la culture pluviale de NERICA 7 dans la zone d’étude (Bedi et al., 2017), a été considéré comme la base des analyses. Ainsi, pour la production, les analyses de ces résultats montrent que le taux rendement en paddy est de 95,3 % dans les champs surveillés et de 72,5 % dans les champs non surveillé. Tandis que celui de la déperdition dû à l’action des oiseaux est respectivement de 4,67 % et de 28,3 %.
De ces données moyennes obtenues, il ressort que la valeur moyenne de taux de déperdition (16,1 %) semble supérieure à celle observée dans la rizière au delta central du Niger se situant entre 5 et 10 % des productions en 1982-1983 (Billiet, 1983). Toutefois, cette déperdition se trouve dans la fourchette des résultats obtenus ailleurs selon lesquels les dommages que les oiseaux destructeurs occasionnent aux cultures de riz varient de 13 à 26% de rendement escompté (Kizungu, 2000).
Le faible taux de déperdition enregistré dans les parcelles se trouvant dans les champs surveillés en permanence, traduit le fait que le gardiennage limite les dégâts d’oiseaux mais ne les élimine pas. La réduction de dégâts de 27,5 à 4,67 % observée dans l’étude se rapproche de celle obtenue au Niger en 1991: réduction de dégâts de 30-35 % à 4 % (Manikowski et al., 1991).Cette surveillance humaine d’une rizière de plateau pendant le cycle de croissance et de maturation de la panicule est nécessaire pour éviter ou réduire à plus de 80 % les pertes induites par les oiseaux (Bouet et al., 2014). Il est clair que les méthodes traditionnelles peuvent procurer une protection des cultures lorsque les oiseaux sont peu nombreux et elles seraient plus ou moins efficaces pour des petites parcelles que sur des champs plus étendus(Nasasagare et al., 2014).
Ainsi, un facteur important de choix est de se conformer au calendrier général de la zone, travailler au même moment que tous et utiliser une variété qui arrive à maturité en même temps que les autres si l’on veut éviter la prédation par les oiseaux contre laquelle il serait difficile de défendre le champ en confiant aux enfants ou aux personnes âgées la lourde tâche de la chasse aux oiseaux (Delarue, 2007).
Avec un prix de 350 CDF/kg de paddy (1 USD=900 CDF), chaque riziculteur dans la zone d’étude enregistre, en saison culturale A, un manque à gagner d’une valeur de 28,3 USD/ha lorsque le champ est surveillé et 167,3 USD/ha pour le champ non surveillé soit une moyenne de 97,8 USD/ha. Si l’on ajoute la valeur au produit en le décortiquant, le pourcentage de décorticage du riz sur le riz cargo est de 40 à 55 % c’est-à-dire 100 kg de paddy donnent 40 à 55 kg de riz décortiqué (Mémento de l’agronome; 1991). D’où 1562,5 kg de paddy (rendement de référence) donnent donc 625 à 859,4 kg de riz décortiqué. Le prix courant de riz décortiqué dans la zone d’étude étant de 550 CDF/kg, soit un équivalent de 0,61 USD (1 USD = 900 CDF). Le taux de déperdition de 4,67 % dans les champs surveillés traduit une perte de l’ordre de 17,8 à 24,5 USD. Quant aux champs non surveillés, avec un taux de 28,3 %, cette perte varie de 108,1 à 148,6 USD. Ces pertes entament les revenus des agriculteurs qui s’occupent de la culture du riz et constituent un déficit économico-social non négligeable.
CONCLUSION ET SUGGESTIONS
La présente étude avait pour objectif d’évaluer les pertes en termes de rendement de culture pluviale du riz, causées par les oiseaux granivores. Les résultats obtenus montrent que la déperdition due à l’action des oiseaux granivores est de 16,1 %. En outre, la zone enregistre une perte moyenne à l’hectare de 251,6 kg de paddy sèche soit environ l’équivalent de 97,8 USD/ha. Ainsi, la présence destruction de la production du riz par les oiseaux dans la zone d’étude entraîne des pertes importants pour les paysans, et que cette source des revenus est complètement menacée en saison culturale A entraînant ainsi un déficit socio-économique non négligeable.
Il est donc souhaitable d’aménager le calendrier cultural de riz de telle façon que la floraison et l’épiaison aient lieu quand les oiseaux destructeurs ne sont pas présents dans la région. En outre, l’échelonnement de semis doit se faire de manière à ce que tous les pieds de riz d’un champ se trouvent au même stade vulnérable (montaison et épiaison) pour faciliter la surveillance et réduire ainsi l’ampleur des dégâts (planification de la mise en place des cultures et maturité groupée). Les études en cours sont ainsi orientées vers l’identification des oiseaux responsables des dégâts en vue de faciliter le choix d’une méthode efficace de protection.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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