Résumé

La surveillance de l’antibio-résistance de germes spécifiques comme E. coli, Salmonella spp., Staph. aureus ou Campylobacter requiert une importance particulière dans la politique sanitaire humaine et vétérinaire des pays. Dans cette optique, une étude rétrospective sur l’antibio-résistance de 370 cultures d’Escherichia coli a été réalisée dans les élevages avicoles de la région de Rabat-Salé -Zemmour-Zaer. Les bactéries ont été identifiées par les mini galeries API et sérotypées par les immunsérums aviaires O1, O2 et O78. Les tests de sensibilité aux antibiotiques ont permis de distinguer entre antibiotiques connaissant de forts taux de résistance à savoir: l’oxytétracycline (100 %), l’amoxicilline (90,9 %), trimethoprim + sulphamethoxazole (82,2 %), l’enrofloxacine (75,9 %) et le florfénicol (61,5 %) et des molécules à faibles taux de résistance comme la gentamicine (24,8 %), la fosfomycine à (16,1 %) et la colistine (2,94 %). En parallèle, des tests de détermination du phénotype de résistance aux béta-lactamases et aux céphalosporinases sur 250 souches ont permis de mettre en évidence que 66,1 % des souches testées étaient classées parmi les pénicillinases classe A; 14,8 % étaient parmi les céphalosporinases C, les BLSE classe A comptaient 11,1 % et seulement 3,7 % des souches testées étaient classées phénotype sauvage. La multi-résistance reste très élevée avec une fréquence des souches résistantes à trois molécules d’antibactériens de l’ordre de 97 % et 55 % des souches sont résistantes à cinq antibiotiques. Ces résultats sont utiles aux vétérinaires praticiens, pour éviter les échecs thérapeutiques, et constituent une base de données importante en matière de pharmaco-vigilance et de l’épidémio-surveillance de l’antibio-résistance dans notre pays.


Mots-clés: Antibio-résistance, antibiotiques, E. coli, BLSE, colibacillose, maladies aviaires, Maroc.

INTRODUCTION

Les colibacilloses aviaires sont parmi les entités patho-logiques dominantes rapportées dans la surveillance sanitaire des élevages avicoles. Elles sont considérées comme la principale cause des saisies au niveau des abattoirs (Barnes et al., 2003). Ce groupe de maladies est causé par Escherichia coli pathogène de type aviaire (APEC pour avian pathogenic E. coli). Elles sont souvent secondaires à des infections virales et bactériennes ou à des causes non infectieuses comme les défaillances de la gestion technique des élevages.

Les APEC font partie des E. coli pathogènes à tropisme extra intestinal (extra intestinal pathogenic E. coli, ExPEC). Elles sont responsables d’infections extra-intestinales dont la porte d’entrée se situe au niveau de divers sites (plaies, appareil respiratoire et digestif). Ces bactéries ont développé des stratégies leur permettant de survivre et de se multiplier en milieux hostiles, pauvres en fer, et en présence des divers mécanismes de défense immunitaires de l’hôte.

Le pouvoir pathogène de ces germes s’exprime de diverses manières:

• La capsule de lipopolysaccharides LPS des sérotypes O1, O2 leur permet d’échapper à l’opsonisation par le composant C3b du complément et à la phagocytose (Stordeur et Mainil, 2002);

• La présence de pili et fimbriae avec des adhésines confère aux souches qui les possèdent la propriété de se fixer aux cellules épithéliales (Dho-Moulin et Fairbrother, 1999);

• Des systèmes de captation du fer (les sidérophores), surtout l’aerobactine, fourni aux bactéries le fer indispensable à leur multiplication;

• Des toxines: l’endotoxine commune aux entérobactéries; les entérotoxines: ST (thermostables) et LT (thermolabiles); les cytotoxines SLT1 et SLT2 (Shiga-like toxin); et l’hémolysine.

Les APEC sont responsables de cas de septicémie, de cellulite et d’aérosaculite chez la volaille (Barnes et al., 2003). Les sérotypes associés aux APEC sont O1, O2, O8, O15, O18, O35, O78, O88, O109, O115. Cependant les plus fréquemment isolées sont les sérotypes O1, O2 et O78 (Dho-Moulin et Fairbrother, 1999).

L’importance économique des colibacilloses aviaires se traduit par des mortalités, des contre performances des lots infectés, des troubles divers de la reproduction (chute de l’éclosabilité, retard de croissance, augmentation de la mortalité en coquille ou mortalité des poussins les premiers jours), et des coûts élevés en prévention et traitements. Une perte annuelle de 6 millions d’Euros a été rapportée en Angleterre due à l’impact des colibacilloses aviaires (Stordeur et Mainil, 2010).

Le contrôle des colibacilloses aviaires est principalement assuré par des traitements aux antibiotiques, utilisés soit en prévention lors des atteintes virales ou en traitement curatif. En général, un traitement antibiotique adéquat doit être instauré après avoir suivi une bonne démarche clinique et para-clinique; à savoir, l’isolement de la bactérie en cause et la réalisation des tests de sensibilité aux antibactériens. L’utilisation abusive et souvent empirique des antibiotiques lors de l’apparition des signes cliniques (Prostration, bruits respiratoires) est mise en cause dans la sélection de souches bactériennes résistantes à un ou plusieurs antibiotiques (Filali et al., 1989; Amara et al., 1994).

Ce phénomène de résistance de E. coli aux antibiotiques est de plus en plus marqué surtout la résistance à la famille des bétalactamines. Le mécanisme de résistance des E. coli est complexe et fait appel à plusieurs mécanismes. En général, les colibacilles sont classés parmi les entérobactéries naturellement sensibles à plusieurs antibiotiques. Cependant, l’acquisition de résistance est couramment enregistrée parmi ces germes. Cette acquisition se fait soit par sélection de mutants résistants ou par incorporation de plasmides ou de matériel génétique exogène codant pour des résistances particulières (Courvalin et Leclerq, 2012).

La résistance aux bétalactamines et céphalosporines requiert une importance particulière par son implication dans le domaine de santé publique. En effet, les Béta-lactamines à spectre Etendu (BLSE) ont bouleversé l’épidémiologie des entérobactéries résistantes dans le domaine de santé publique au niveau des hôpitaux (Philippon et Arlet, 2012). Plusieurs études ont confirmé la possibilité de transmission de ces gènes entre les bactéries à importance médicale en santé vétérinaire et en santé humaine.

La détection des BLSE est classiquement basée sur l’observation d’une synergie entre l’acide clavulanique et les céphalosporines de 3ème et 4ème générations (C3G), et une sensibilité conservée aux céphamycines et carbapénèmes. La plupart des stratégies phénotypiques pour détecter une BLSE visent à dépister des augmentations minimes de la CMI = 1 des C3G ou de l’aztréonam. Tous les tests de confirmation sont fondés sur la capacité de l’acide clavulanique à potentialiser l’activité des C3G en présence d’une BLSE.

L’objectif cette étude est l’évaluation du niveau de l’antibio-résistance chez les souches d’E. coli isolées de cas de septicémies colibacillaires dans les élevages de poulet de chair dans la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer.

Matériel et Méthodes

L’étude a été réalisée sur 370 cultures d’E. Coli isolées à partir d’organes prélevés sur des cadavres de poulets de type chair. Les prélèvements concernent le foie, le cœur, le poumon, la rate, la moelle osseuse et le sac vitellin de poussins d’un jour de type chair. Les cadavres de poulet ont été pris de différents élevages de poulet de chair de la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, pendant la période allant de janvier 2012 à décembre 2015.

Les cultures d’E. Coli ont été réalisées dans le milieu EMB (eosine methylene blue) après incubation à 37°c pendant 18h à 24h. Les colonies présentant un reflet vert métallique ou fluorescent sur EMB (Barnes et al., 2003) ont subi des tests d’identification biochimiques par les galeries usuelles et les mini-galeries API 20 E et ID 32 E. Ces tests biochimiques sont basés sur la capacité ou non des bactéries à hydrolyser des hydrocarbures comme le glucose, le lactose ou le mannitol (Singleton, 2004).

Le sérotypage a été effectué par des immunsérums contenant les antisérums spécifiques aux souches O 1, O 2 et O 78 dominant dans la distribution des APEC.

Les tests de sensibilité aux antibiotiques ont été effectués par la méthode de diffusion de disques sur gélose décrite par Bauer and Kirby (199) selon les recommandations du CA-SFM (2015). Le milieu utilisé est la gélose Mueller-Hinton (MH). Les antibiotiques testés sont l’enrofloxacine (ENR charge du disque de 5 µg), le florfénicol (FFC, 30 µg), l’oxytétracycline (OT, 30 µg), les sulfamides (S3, 300 µg), l’amoxiciline (AML, 10 µg), la colistine (CL 10 µg), la gentamicine (CN, 10 µg) et la fosfomycine (FOS, 50 µg).

Vingt souches ayant montré un diamètre de sensibilité inférieur à 15 mm à la colistine ont été sélectionnées pour être testées par la méthode de dilution en milieu liquide (bouillon MH). Cette méthode de détermination de la CMI vis-à-vis de la colistine reste la technique de référence pour tester la sensibilité des germes à la colistine (CA-SFM, 2015).

Un total de 250 souches monoclonales d’E. coli ont subi un test basé sur la détermination du comportement phénotypique des souches vis-à-vis de disques antibiotiques à base de béta-lactamines sur gélose MH. Le test de comportement phénotypique se fait en utilisant la méthode standard de l’antibiogramme sur milieu gélosé en mettant une disposition particulière des disques antibiotiques des familles suivantes; bétalactamines (AML, TIC, PIP); bétalactamines associées aux inhibiteurs de bétalactamases (AMC, TZP); céphalosporines (1ère, 2ème et 3ème génération; CL, FOX, CTX, CAZ FEP); mecillinames (Aztreonam (AZT)); et carbapénèmes (ETP, IMP). (Phillippon, 1988; Courvalin, 2009).

L’interprétation des résultats a été faite selon la classification suivante (Courvalin et al., 2013):

• Une bactérie est dite de phénotype «sauvage» quand elle est sensible à tous les antibiotiques testés.

• Une bactérie résistante vis-à-vis de l’amoxicilline (AMX) et à la ticarcilline (TIC) mais sensible à l’association acide clavulanique/Amoxicilline (AMC) et aux céphalosporines représente le phénotype de type pénicillinase.

• Une bactérie résistante à l’amoxicilline, à la ticarcilline et aux céphalosporines, mais sensible à la céphoxitine (FOX) indique le phénotype BLSE.

Une bactérie résistante aux céphalosporines, à la FOX et à l’association AMC indique le phénotype céphalo-sporinase.

RÉSULTATS

Sources de prélèvements

Les prélèvements ont été effectués sur le foie, le cœur, les poumons, la moelle osseuse et le sac vitellin. Ils proviennent de cadavres de poulets et de poussins autopsiés présentant des lésions caractéristiques des atteintes rencontrées lors des septicémies colibacillaires, à savoir la congestion généralisée, la congestion et hypertrophie de la rate, les lésions de périhépatite, de péricardite et d’aérosacculite fibrineuses.

Isolement et identification biochimique

Au total, 370 des cultures avaient un reflet vert métallique sur le milieu EMB agar. Le profil biochimique dominant était; Glucose (+), Lactose (+), mannitol (+), uréase (-), indole (+) et citrate (-), pas de production de sulfure d’hydrogène (H2S), production de gaz. Certaines souches avaient monté un caractère indole (-). D’autres avaient tendance à ne pas produire de gaz.

L’utilisation des mini-galeries API 20 E et ID 32 E a permis d’identifier des souches contaminées par des bactéries appartenant principalement aux genres Proteus et Enterobacter et rarement aux genres Salmonella et Citrobacter. Cette utilisation a aussi permis de déceler certaines particularités biochimiques individuelles propres à E. coli comme l’expression ou non des activités de l’ornithine decarboxylase (ODC) ou de l’adénosine deshydrogénase (ADH).

Typage par les immunsérums

108 souches (prises au hasard) ont été sérotypées pour cause de non disponibilité des immunsérums. 66,7 % appartenant aux 3 sérotypes dominants rencontrés parmi les E. coli de type aviaire à savoir; les sérotypes O78 avec une distribution de 38,9% des souches; O2 avec 17,6 % et O1 avec 10,2 %. Les 33,3 % des souches restantes appartiennent à d’autres sérotypes.

Résistance aux antibiotiques

Toutes les souches isolées sont résistantes à l’oxytétracycline (100 %), 90,1 % des souches le sont à l’amoxicilline, la résistance aux sulfamides est de l’ordre de 82,2 %, l’enrofloxacine connaît un taux de résistance de 75,9 %, alors que la résistance au florfénicol est de 61,5 %. Les molécules connaissant de faibles taux de résistance sont: la gentamicine avec 24,7 %, suivie par la fosfomycine avec 16,1 % et la colistine avec 2,9 % de taux de résistance (Tableau 1).

Tableau 1: Le pourcentage de résistance et de sensibilité des souches d’E. coli testées aux différentes molécules d’antibiotiques

Antibiotiques Sensible Intermédiaire Résistant

%

Colistine (CS) 92,1 5,0 2,9

Gentamicine (GM) 69,9 5,4 24,8

Fosphomycine (F+T) 77,1 6,8 16,1

Enrofloxacine (ENR) 8,5 15,6 75,9

Amoxicilline (AMX) 7,5 2,4 90,1

Oxytetracycline (OTC) 0,0 0,0 100,0

Doxicycline (Dox) 0,0 1,6 98,4

Florfénicol (FFC) 31,2 7,3 61,5

TMP-Sulfa (STX) 11,1 6,7 82,2

Identification des phénotypes de résistance aux bétalactamines

Les tests d’identification phénotypique ont permis l’identification de quatre phénotypes majeurs; les pénicillinases classe A avec 66,1 % des souches, les céphalosporinases classe C avec 14,8 % des souches, les bétalactamases a spectre élargi ou BLSE avec 11,1 % et 4,3 % des souches qui montrent un phénotype avec association probable de deux classes, principalement les céphalosporinases et les BLSE. Les souches dites «sauvages» sensibles aux bétalactamines et céphalosporines ne constituent que 3,7 % (Tableau 2).

Tableau 2: Distribution des principaux phénotypes de résistance aux bétalactamines observés

Le phénotype de résistance

aux béta-lactamines Pourcentage de résistance

Pénicillinases classe A 66,1

Céphalosporinases (Case) 14,8

Béta-lactamases à spectre étendu (BLSE) 11,1

Phénotype associé (Case et Blse) 4,3

Phénotype sauvage (sensible aux bétalactamines) 3,7

CMI de la colistine

Parmi les 20 souches testées par la méthode des CMI de colistine sur milieu liquide; 12 souches ont montré une CMI > 2 mg/ml indiquant une résistance selon les indications du CA-SFM (2015). Les 8 souches restantes ont une CMI < 0,5 mg / ml.

La multi-résistance

Toutes les souches sont résistantes à deux antibiotiques. La fréquence des souches résistantes à trois molécules d’antibactériens est de 97,5 %. 80,8 % des souches isolées sont résistantes à plus de quatre antibiotiques et 55,1 % le sont à cinq antibiotiques.

Les antibiotypes

Tableau 3: Les fréquences de résistances types enregistrés chez les différentes souches d’E. coli

Antibiotypes Fréquences (%)

OT.AMX.STX 80,8

OT.AMX.ENR 73,3

OT.ENR.STX 69,2

OT.AMX.STX.ENR 65,4

OT.AMX.STX.ENR.FFC 46,0

OT.AMX.STX.ENR.FFC. FT 7,4

OT.AMX.STX.ENR.FFC. CS 3,7

OT.AMX.STX.ENR.FFC. CS. FT 2,5

Les antibiotypes les plus fréquents sont classés selon l’ordre suivant; OT.AMX.STX (80,8%), OT.AMX.ENR (73,3%), OT.ENR.STX (69,23%), OT.AMX.STX.ENR (65,4%) et OT.AMX.STX.ENR.FFC (46,0%).

A noter que 13 % des souches sont résistantes à six antibiotiques et 2,5 % le sont à sept molécules.

Comparaison avec les résultats d’anciennes études au Maroc et pourtour méditerranéen

Le tableau 4 dresse un comparatif des taux de résistance enregistrés au Maroc depuis 1988 jusqu’à la présente étude avec ceux de l’Algérie en 2010 et de la France en 2010 et 2014.

La résistance à l’ampicilline est passée de 14,0 % en 1995 à 96 % en 2009. L’amoxicilline n’était pas utilisée chez la volaille du temps de l’étude de 1995. Le taux de résistance à l’ampicilline est passé de 65,0 % en 1999 à 90,1 % actuellement. Quand à l’enrofloxacine, son taux de résistance étant de 23,0 % en 1995 croit à 34,0 % en 1999 puis à 72,0 % en 2003 pour atteindre 75,9 % dans cette étude.

Concernant l’oxytétracycline, son taux de résistance bactérienne, déjà élevé en 1988 (82,0 %), atteint actuellement les 100 %. Cette situation est très inquiétante puisque dans d’autres pays comme la France la résistance à cet antibiotique n’est que 50 %. Les taux de résistance au chloramphénicol (C), florfénicol (FFC) et à la colistine ont connu de légères mais notables augmentations, mais restent élevées par rapport à ceux enregistrées en France.

DISCUSSION

La plupart des souches isolées (66,7 %) des septicémies colibacillaires appartenaient aux sérotypes majoritaires décrites pour les APEC, à savoir, O 78, O 2 et O 1, avec une dominance de distribution pour le sérotype O 78. Ces résultats concordaient avec les travaux de McPeak et al., 2005).

Les taux de résistance enregistrés ont montré des niveaux élevées pour l’oxytétracycline, l’amoxicilline, l’association triméthoprime-sulfamides, l’enrofloxacine et le florfénicol. Ces niveaux élevés de l’antibiorésistance peuvent être expliquées par l’utilisation abusive et non raisonnée de ces molécules dans la prévention des maladies aviaires (Wegener, 2003). Les faibles taux de résistance ont été enregistrés pour la fosfomycine, la colistine et la gentamicine.

Bien que la résistance bactérienne à l’oxytétracycline connaît des taux élevés dans divers pays, la quasi-totalité de résistance des souches d’E. coli obtenue cette étude est très inquiétante dans la mesure où cet antibiotique ne serait d’aucune utilité thérapeutique contre les colibacilloses et fort probablement contre d’autres maladies aviaires. Étant donné son spectre large et sa bonne diffusion tissulaire, l’oxytétracycline a été utilisée depuis les années 70 à des fins thérapeutiques, préventives voire zootechniques (facteur de croissance et antistress). Cette molécule était administrée systématiquement après les vaccinations. Elle était fréquemment sous dosée et souvent présentée en association avec les vitamines. Les nouvelles présentations de l’OT pure avec des concentrations en principe actif de 40%, 50% et 100% sont mises à la disposition des éleveurs, parfois sans prescriptions vétérinaire, pour être administrés lors du changement entre l’aliment de démarrage et l’aliment de croissance. Elles sont aussi utilisées lors de l’observation de troubles digestives ou lors de manifestation de diarrhées.

Les associations TMP-Sulfamides sont administrées durant la phase de démarrage des poussins pour prévenir les omphalites. Ces associations sont aussi utilisées lors des entérites. En plus, des spécialités à base de sulfamides potentialisés par la diavéridine sont très utilisées pour la prévention et le traitement des coccidioses.

Les fluoroquinolones, et surtout l’enrofloxacine, sont des molécules de choix pour le traitement des omphalites des poussins de moins d’une semaine d’âge. Elles sont aussi largement utilisées lors de l’apparition des problèmes respiratoires. Afin d’éviter la sélection des souches résistantes, certains pays, comme les Etats Unis, ont interdit l’utilisation des fluoroquinolones chez la volaille. Les taux élevés de résistance constatés chez d’autres germes comme les Campylobacters constitue l’argument majeur en faveur de cette interdiction (FDA, 2005).

L’amoxicilline, et dans une moindre mesure l’ampicilline, est aussi une molécule de choix pour le traitement des entérites. La fréquence d’utilisation de ces molécules a favorisé la sélection des souches résistantes. Les taux élevés de résistance (92 %) justifient la nécessité de déterminer le phénotype de résistance aux béta-lactamines. A ce sujet, les résultats montrent la dominance des souches possédant des béta-lactamases classe A. La majorité de ces enzymes est représentée par les pénicillinases classe A (66,0 %), mais les BLSE sont présentes avec un taux de 11,1 %. Les souches à profile céphalosporinase (bétalactamases classe C) constituent 14,8 % des bactéries testées. Elles peuvent représenter un risque de sélection de bactéries hautement résistantes aux céphalosporines et bétalactamines associées aux inhibiteurs comme l’acide clavulanique. La présence de ces souches pourrait être considérée comme un risque de santé publique spécialement pour les professionnels du secteur avicole (ouvriers, éleveurs, bouchers) voire même les consommateurs parce que les E. coli aviaires peuvent être considérées comme réservoirs aux ExPEC humains (Bergeron et al., 2012).

Depuis les années cinquante, le chloramphénicol a été le composé majeur de la famille des phénicolés le plus utilisé contre de nombreuses infections bactériennes, aussi bien en médecine humaine que vétérinaire. Toutefois, suite à ses effets toxiques médullaires souvent fatales, l’utilisation de cet antibiotique est interdit à partir de 1997 (BO n° 4462 du 6/3/97). Pour palier à ce vide thérapeutique, le florfénicol, une molécule apparenté au chlornphénicol, ayant pratiquement les même avantages mais de faible toxicité que son congénère a été introduit en thérapeutique vétérinaire à partir de 2004 comme molécule de choix pour le traitement des colibacilloses. La résistance aux phénicolés était décrites surtout chez les porcins (Kuo et al., 2009) et les bovins (Meunier et al., 2010). Li et al. (2007) ont montré que cette résistance était de l’ordre de 79 % chez E coli en poulet dans la Chine. Elle fait intervenir diverses mécanismes comme la pompe à efflux cmlA et floR ainsi que des enzymes acétyltransférases (CATs) qui inhibent ces antibiotiques (Li et al., 2007; Kuo et al., 2009).

Le coût élevé de la fosfomycine et son utilisation difficile en pratique à cause de la présentation en poudre du produit font qu’elle reste peu utilisée. Ceci explique son faible taux de résistance.

Concernant La colistine, elle connaît un taux de résistance relativement stable ces dernières années (2,9 %) malgré une utilisation accrue en pratique. Le faible taux de résistance est en majorité du à son mode d’action sur les bactéries. En effet, la colistine possède une action létale surfactive et de perméation sur les membranes bactériennes par interaction avec les protéines et les phospholipides membranaires. Les résistances rencontrées sont le fait de modifications de protéines membranaires chez les bactéries (Kipnis et Guery, 2010). Cependant la récente découverte d’une enzyme codée par un plasmide mobile circulant chez des entérobactéries poserait un sérieux problème quand à l’utilisation de la colistine (Liu et al., 2016).

Par contre, la gentamicine est interdite d’utilisation chez la volaille depuis 2001. Malgré ceci, elle connaît un taux de résistance de l’ordre de 25 %. Ce serait probablement lié à son utilisation hors AMM chez la volaille.

Dans cette étude, les résultats observés chez les isolats démontrent que la tendance de résistance d’E. coli à certains antibiotiques est à l’augmentation au niveau marocain. La comparaison des résultats de notre étude avec ceux rapportés par le réseau de surveillance français de l’antibio-résistance (Resapath de l’agence française ANSES) pour les années 2010 et 2014, montre que les taux de résistance enregistrés au Maroc sont très inquiétants. Elle montre aussi que les efforts de réduction de consommation des antibiotiques en France ont donné des résultats encourageants (OT avait une fréquence de résistance de 84 % en 2010 et ce taux a été réduit à 50 % en 2014). Les taux de résistance contre certains antibiotiques ont tendance à diminuer en France alors que le contraire est remarqué au Maroc. Les fréquences de la résistance au FFC; 1 % en France (2014) contre 62 % au Maroc et à L’ENR; 6 % en France (2014) contre 76 % au Maroc sont des exemples qui démontrent l’ampleur du risque de l’antibio-résistance au Maroc.

Concernant l’évolution des taux de résistance, une comparaison avec des études antérieures a montré que le phénomène de résistance n’est pas nouveau. Dès 1988, Filali et al., ont trouvé que la résistance à l’OT atteignait 82 %. Amara et al., (1995) a commencé à déceler l’antibio-résistance aux quinolones (23 %). Il est à signaler que l’étude de Jaouzi et al., (2004) est une étude rétrospective qui montrait l’évolution du taux de résistance entre 1988 et 2003. Et il avait trouvé les résultats suivants: chloramphénicol 65 % (1999), OTC 90 % (1999), AMX 65 % (1999), GM 43% (2001), TMP-S 68 % (2003), ENR 34 % (1999) et colistine 13 % (2003). Quand à l’étude de EL Houadfi et Zekhnini (2009), elle concernait le poussin d’un jour de type chair et a présenté les résultats suivants: 96% de résistance à l’OTC et l’ampicilline, 72% de résistance à l’amoxicilline et 20% de résistance au chloramphénicol, à la colistine et à l’enrofloxacine.

La comparaison des résultats avec les taux de résistance enregistrés dans l’Algérie a montré que ces taux restent élevés avec ceux d’Aggad et al., (2010). A l’exception de la résistance à la colistine, tous les autres fréquences sont supérieurs avec une mention spéciale à l’enrofloxacine; 45 % en Algérie et 76 % au Maroc, et à l’ampicilline; 0 % en Algérie.

CONCLUSION

Les résultats de cette étude ont montré des taux élevés de résistance d’E. Coli vis-à-vis de plusieurs antibactériens, avec une tendance à l’augmentation pour les molécules suivantes; oxytétracycline, triméthoprime-sulphamethoxazol, enrofloxacine et amoxicilline. L’utilisation abusive et non contrôlée de ces antibiotiques pour la prévention et le traitement des maladies aviaires serait la principale cause de sélection de souches d’E. Coli résistantes.

Les actions de vulgarisation et de soutien technique doivent êtres renforcées chez les éleveurs de poulets de chair pour améliorer la gestion technique des élevages afin d’éviter les maladies causées par les mauvaises pratiques d’élevage et, par conséquent, réduire l’utilisation des antibiotiques. Il faudrait aussi veiller sur un bon usage des antibiotiques en médecine vétérinaire. La prescription de cette classe particulière de médicaments ne doit se faire que sur des bases scientifiques (antibiogrammes) permettant de proposer des traitements bien raisonnés et ciblés à chaque cas.

La présence des souches multi-résistantes et des souches à profils BLSE et céphalosporinase devrait alerter les responsables sanitaires du pays à réfléchir sur la création d’organismes de suivie et de surveillance de l’antibio-résistance bactérienne, à l’instar du Resapath en France ou NARMS aux États Unis.

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