Résumé

Les champignons sauvages sont très prisés par les populations riveraines du PNFM du Togo. Pour mieux connaître les taxa ecto-mycorrhiziens consommés et documenter les connaissances endogènes, une étude réalisée sur les connaissances ethno-mycologiques traditionnelles dans la ville de Bassar auprès des peuples Bassar et dans le village de Hezoudè auprès des peuples Kabyè a été couplée à des observations de terrain. Les enquêtes ethno-mycologiques semi-structurées ont été réalisées sur 432 personnes d’âge compris entre 10 ans et 80 ans. Vingt trois (23) taxa sont connus comme étant comestibles. Les indices ethno-mycologiques tels que la valeur d’usage (VU), l’indice de diversité de Fisher (p), l’indice de valeur d’importance (IVI) ont été calculés pour tester les connaissances sur les différents usages des champignons. L’étude a révélé qu’il n’existe pas de différence significative en ce qui concerne les niveaux de connaissances traditionnelles par chaque groupe ethnique et le nombre de taxa consommés. L’étude a montré que les connaissances mycologiques traditionnelles de ces populations varient en fonction de l’âge, de l’ethnie et du sexe. Les champignons ecto-mycorrhiziens les plus consommés sont Amanita loosii, Russula oleifera et Cantharellus congolensis. Ces données préliminaires ont montré que les champignons ecto-mycorrhiziens sont bien connus des populations riveraines du PNFM.


Mots clés: Champignons ecto-mycorrhiziens comestibles, exploitation, groupes ethniques, Parc National Fazao-Malfakassa, Togo.

INTRODUCTION

La cueillette des champignons forestiers comestibles est une activité qui permet d’augmenter les revenus provenant des forêts naturelles et dans certains cas, des forêts protégées (Ducousso, 2003; Boa, 2006). On dénombre de nos jours 3000 espèces de champignons consommées à travers le monde et plus d’une centaine présentent des propriétés thérapeutiques prometteuses pour le traitement de maladies chroniques (Garibay-Orijel, 2009). Des études taxonomiques et des analyses de valeurs alimentaires des champignons sauvages ont également été faites dans certains pays d’Afrique tropicale notamment (Eyi Ndong et al., 2011; Eyi Ndong, 2009; Guissou, 2008). Quelques guides de terrain ont été publiés pour certains pays d’Afrique tropicale (Härkönen et al., 2003; De Kesel et al., 2002). Pourtant, aucun guide de champignons comestibles n’a encore été publié pour le Togo. Aussi, il faut reconnaître que la plupart de ces études ethno-mycologiques portent sur les champignons saprotrophes.

Au Togo, les travaux de Guelly (2006) ont inventorié quelques champignons comestibles du Plateau Akposso, ceux de Kamou et al., (2015) et Kamou (2012) ont évalué l’importance socio-économique des macromycètes comestibles auprès des peuples Kotocoli, peuples riverains du Parc Fazao-Malfakassa. Ces travaux ont montré que les écosystèmes forestiers regorgent d’une grande variabilité d’espèces de champignons ecto-mycorrhiziens comestibles avec d’innombrables groupes ethniques. Malgré que ces champignons ecto-mycorrhiziens soient très prisés par les populations riveraines, très peu de données au sujet de la diversité, l’importance alimentaire et socio-économique dans la vie journalière des communautés rurales au Togo sont disponibles.

D’autre part, plusieurs confusions sont à noter au sein des espèces ecto-mycorrhiziens comestibles par les populations locales, exemples des amanites, des russules et des lactaires. Certaines espèces des russules poussant proches des termitières sous les essences ecto-mycorrhiziennes sont confondues aux termitomyces. C’est le cas de Russula oleifera. Certaines amanites sont aussi confondues aux termitomyces. C’est le cas Amanita rubesens. Hors au sein des amanites, certaines espèces sont toxiques et crée des troubles sur l’organisme. Il est alors important d’analyser les connaissances endogènes sur l’usage des champignons ecto-mycorrhiziens comestibles et apporter des contributions sur les espèces communément consommées. Cette présente étude vise alors à faire ressortir l’importance significative des champignons ecto-mycorrhiziens dans la vie journalière des peuples notamment Kabyè et Bassar qui entourent le PNFM.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Milieu d’étude

Les spécimens sont collectés dans le Parc National Fazao Malfakassa (192 000 ha). Le Parc National Fazao Malfakassa est localisé dans la partie Ouest centrale du Togo sur la montagne de l’Atacora, dans la zone de transition guineo-soudanienne, entre 8°20 ‘ et 9°30 ‘ au Nord; 0°35 ‘ et 1°02 ‘ Est. Il bénéficie d’un climat tropical humide. On y distingue quatre types de végétations différentes à savoir: les forêts claires, les forêts sèches, les forêts galeries et les savanes. Les forêts claires sont dominées par Isoberlinia doka Craib & Staff., Anogeissus leocarpus (DC) Guill & Perr, Detarium microcarpum Juss, Monotes kerstingii Juss et Uapaca togoensis Paix. Les forêts sèches sont dominées par Anogeissus leiocarpus (DG.) Guill. & Perr.; Bequartiodendron oblanceolatum (S. Moore) Heine & J.H. Les forêts galeries sont dominées par Berlinia grandiflora (Vahl), Afzelia africana Sm Huche. & Dalz., Daniellia oliveri (Rolfe) Huche. & Dalz. Khaya senegalensis (Desv.) A. Juss. Les savanes sont dominées par le genre Andropogon (Woegan et al., 2014).

Investigations ethno-mycologiques

Les investigations ont été conduites dans la ville de Bassar et dans le village de Hezoudè localités riveraines du Parc National Fazao-Malfakassa, composées respectivement des Bassar et des Kabyè, groupes ethniques majoritaires. On y trouve aussi d’autres groupes ethniques: le Kotocoli, Nawdba, Lamba, Tchamba, Ana-Ifè, Adelé, Anianga et Peulh. Tous ces groupes socio-linguistiques ont pour activité principale l’agriculture. Les principales cultures sont: l’igname, le manioc, le maïs, le sorgho, le mil, le cotonnier. L’élevage vient au second plan et concerne surtout la volaille, les caprins, les porcins, les bovins, les ovins. Le commerce concerne surtout les produits vivriers et les produits manufacturés sur les places de marchés ruraux ou urbains.

Les questionnaires établis par Kamou et al., (2015) ont été soumis aussi bien aux personnes âgées qu’aux jeunes gens. Au total, 432 personnes, en particulier les paysans et paysannes d’âge compris entre 10 et 80 ans ont été enquêtés. L’âge moyen des enquêtés est de 40,35 ans. La majorité a un âge compris entre 30 et 50 ans, les femmes sont plus représentées que les hommes (Tableau 1). Les interviews ont été conduites suivant un échantillonnage semi-structuré, en focus groupe ou interviews individuelles. Le choix des personnes interrogées est basé sur les critères suivants: le sexe, l’âge, le niveau d’étude, autochtone ou allochtone. Les personnes interrogées sont aussi bien sexe féminin que masculin d’âge compris entre 10 et 80 ans.

Les spécimens collectés ont été présentés aux personnes interrogées leur demandant de trier les espèces communément utilisées. Ensuite il leur a été demandé de lister toutes les espèces comestibles de leur localité. Nous avons été guidés également par certaines personnes enquêtées sur certains sites où ils récoltent souvent les champignons sauvages comestibles. Parfois les spécimens sont apportés par les personnes enquêtées. Les renseignements incluent la connaissance de champignons sauvages comestibles, les modes de cuisson, les différents usages, les noms vernaculaires, les méthodes et les techniques de conservation, les bénéfices générés par la vente des champignons. Le degré de connaissance a été mesuré sur 20 personnes prises au hasard par classe d’âge. Est considéré comme détenteur de bonnes connaissances mycologiques, l’enquêté remplissant les conditions suivantes:

• Être capable de reconnaître avec exactitude au moins la moitié des champignons ecto-mycorrhiziens consommés dans sa région sur base de notre inventaire des taxons consommés dans la région;

• Être capable de distinguer des espèces différentes très ressemblantes mélangées dans un panier. Pour chaque critère, une note sur 10 a été attribuée. Si la moyenne des deux notes est supérieure ou égale à 5/10, l’intéressé est considéré comme possédant de bonnes connaissances mycologiques.

Analyses statistiques des données

Les divers usages spécifiques inventoriés ont été catégorisés en types d’usages. Cette méthode est souvent utilisée par les ethno-botanistes. Les enquêtés ont été subdivisés en trois classes d’âge à savoir: âge compris entre 10 à 25 ans, âge compris entre 25 et 50 ans et âge compris entre 50 et 80 ans. L’évaluation des usages s’est basée sur 4 indices d’usages selon Gomez-Beloz (2003).

• La valeur d’usage rapporté pour une espèce par un enquêté i (VUR espècei), c’est le nombre d’usages rapportés pour chaque espèce. VUR est la somme des valeurs d’usages rapportées pour chaque espèce (VUR espècei = ∑VUR espèce). La moyenne d’usages rapportée par enquêté (UR moyen) est utilisée pour évaluer le niveau de connaissance des espèces suivant le sexe, l’âge et l’ethnie.

• La valeur d’usage spécifique (VUS). Elle correspond au nombre de fois qu’un usage spécifique est rapporté par l’enquêté d’une ethnie. US est l’usage tel que décrit par l’enquêté.

• La valeur d’usage intraspécifique (VUI), VUI est le ratio entre la valeur d’usage spécifique rapportée et la valeur d’usage rapportée par espèce: VUI = VUS espèce/VUR espèce. La valeur d’usage intraspécifique montre l’importance d’utilisation d’une espèce donnée. Les valeurs élevées d’VUI pour une espèce indiquent généralement un consensus concernant l’espèce au sein d’une ethnie.

Les espèces les plus utilisées sont connues par leur forte valeur VE (VE = Valeur d’une espèce). VE est le rapport entre la valeur d’usage par espèce (VU espèce) et le nombre total d’usages rapportés pour l’espèce: VE = (∑VU espèce/VUR espèce). Les espèces ayant un VE élevé sont les espèces les plus souvent utilisés par les enquêtés d’une ethnie.

L’indice de valeur d’importance des espèces (IVI). IVI est la somme de la fréquence de citation, de la valeur d’usage d’une espèce et de la diversité d’usage de l’espèce : IVI = Fr + VE + Div. Fr est le rapport entre nombre d’enquêtés ayant cité l’espèce au sein d’un groupe donné et le nombre total d’enquêtés du groupe. Div est le rapport entre le nombre d’usages spécifiques de l’espèce dans une ethnie et le nombre total d’usages spécifiques dans l’ethnie. L’espèce ayant l’IVI le plus élevé est l’espèce la plus importante au sein d’une ethnie donnée. Cet indice permet d’estimer l’importance d’une espèce de champignon du point de vue des connaissances d’usages, valeur d’usage et diversité d’usages spécifiques.

Le degré de connaissance (Dc) a été calculée suivant la formule: Dc = n/N, avec n le nombre de champignons ectomycorrhizien reconnu, N le nombre de personnes interrogées par classe d’âge. Le Test Sorensen a été calculé pour tester s’il y a variation d’usages des champignons d’une ethnie à une autre. Le test de similarité de Sorensen a été calculé suivant la formule: S = 100 x 2a / (2a + b c), a été utilisé pour tester si les deux groupes sociolinguistiques exploitent les champignons sauvage de la même manière ou pas. Le nombre a correspond au nombre d’espèces utilisées par les deux groupes, b le nombre d’espèces utilisées par les Bassar et c le nombre d’espèces utilisées par les Kabyè. Si S est supérieur ou égale à 50% alors les deux groupes exploitent les mêmes champignons.

Les bénéfices tirés ont été évalués par semaine et par an. Les données ont été ensuite soumises à Excel 2013, couplé de Xlstat 2008 et Minitab 16.

RÉSULTATS

Diversité des macromycetes ecto-mycorrhiziens consommés par les Bassar et les Kabyè

Au total 23 taxa ecto-mycorrhiziens répartis dans 5 genres à savoir: Amanita, Cantharellus, Lactifluus, Russula et Tylopillus et 4 familles à savoir Amanitaceae, Boletaceae, Cantharellaceae et Russulaceae ont été enregistrées comme espèces communément consommées par les Bassar et les Kabyè (Figure 2).

Figure 2: Diversité des taxa ecto-mycorrhiziens comestibles par famille

Les espèces consommées par les deux groupes ethniques sont listées suivant leurs familles (Tableau 2).

Critères de connaissance et de la comestibilité par les Bassar et les Kabyè

Les champignons sont connus sous le nom de «Agboo» ou «Tgbool» par les Bassar et «Kpimgbessi» par les Kabyè. Au total 6 critères ont été enregistrés lors des investigations chez les Bassar à savoir: les carpophores qui présentent un goût amer, un goût âcré, une odeur désagréable, une substance mucilagineuse, un carpophore dur et couleur rouge et 5 critères chez les Kabyè à savoir: les carpophores présentant un goût amer, un goût âcre, une odeur désagréable, une substance mucilagineuse et un carpophore coriace. Tous les champignons présentant ces caractères ne sont pas comestibles.

Connaissance sur les usages au sein des Bassar et les Kabyè

Les nombres moyens d’usage rapportés par enquêté dans les ethnies suivant le test de Tukey’s (p = 0,115) montrent que la variation d’une ethnie à une autre n’est pas significative (Tableau 3).

Tableau 3: Nombre moyen d’usages rapportés par enquêté et par ethnie

Ethnies Nombre moyen de citations

Bassar 15,31 ± 2,35

Kabyè 15,32 ± 2,32

D’après le test de Sorenson, S = 69%. Ce qui témoigne que les deux groupes ethniques exploitent pratiquement les mêmes espèces de champignons.

Importance des espèces consommées

Les espèces consommées sont classées suivant la fréquence des répondants. Amanita rubescens est moins rapporté par les Bassar alors que c’est Russula sp2 qui reste moins rapporté par les Kabyè. Le niveau d’importance des espèces consommées varie au sein des deux groupes socio-linguistiques (Figure 3).

Figure 3: Importance des espèces consommées par les Bassar et Kabyè

Planche 1: Liste de quelques espèces ecto-mycorrhiziennes consommées par les Bassar et les Kabyè:

A. Amanita aurea, B. Amanita loosii, C. Cantharellus addaiensis, D. Lactifluus medusae, E. Amanita strobivolvaceolata, F. Cantharellus platyphyllus, G. Amanita masasiensis, H. Russula compressa, I. Russula oleifera, J. Amanita subviscosa, K. Russula congoana, L. Russula sp3, M. Amanita rubescens, N. Tylopillus sp, O. Lactifluus flammans, P. Russula sp2, Q. Russula sp1

Usages spécifiques

Au total 7 usages spécifiques ont été rapportés. Cent pourcent (100%) des enquêtés sans distinction d’âge, de sexe ou d’ethnie utilisent les champignons ecto-mycorrhiziens comestibles à des fins alimentaires. Vingt pourcent (20%) affirment que la consommation des champignons facilite la digestion rapide des autres nutriments, 9% affirme que la consommation des champignons lutte contre la constipation,13% des personnes interrogées affirment que la consommation des champignons lutte contre les maux de ventre, 25% utilise les champignons contre les plaies, 33% contre les abcès et 6% font l’usage traditionnel. La figure 4 présente la fréquence des usages spécifiques.

Figure 4: Fréquences des différents usages spécifiques

Les VE de Amanita loosii, Cantharellus congolensis et Russula oleifera sont plus élevés au sein des deux groupes ethniques (Figure 5).

Figure 5: Valeurs des VE des espèces au sein des peuples Bassar et des peuples Kabyè

Suivant les indices de valeur d’importance des espèces, Cantharellus congolensis est plus consommé chez les Bassar (IVI = 2,81), suivie respectivement de Russula oleifera (IVI = 2,79) et Amanita loosii (IVI = 2,67). Par contre chez les Kabyè, Russula oleifera occupe la première selon l’indice d’importance (IVI = 2,86), suivi de Amanita loosii (IVI = 2,80) et Cantharellus congolensis (IVI = 2,78) (Figure 6).

Figure 6 Valeurs d’importance des espèces au sein des peuples Bassar et des peuples Kabyè

Noms locaux et étymologie

Les noms locaux sont souvent liés (i) aux substrats auxquels les espèces sont inféodées, (ii) à la forme des carpophores, la ténacité, la dimension, la couleur. La plupart des espèces sont appelées par un nom commun dû à la ressemblance et à la plasticité des caractères morphologiques. Il existe un nom commun pour les lactaires dans chaque dialecte: «Djiyim Kpimgbessi » en Kabyè qui signifie «les champignons à lait» et «Ngbanabiim» en Bassar qui signifie «la peau sécrétant le lait». Chez le peuple Bassar, Russula compressa et Amanita loosii sont connu sous le nom de «Dissikakalegboo» ou encore «T’soukakal » qui signifie champignons qui pousse sous «Isoberlinia». Amanita masasiensis est connus sous le nom de «Akassignonbè» ce qui signifie «le bec du tisserin jaune». Les bolets sont connus sous le nom de «Nato» en Bassar qui signifie (mauvais champignons). Les champignons comestibles sont appelés «Agboodjikal» qui signifie «champignons consommables». Les champignons de couleur rouge sont connus sous le nom de «Agboomain», et les champignons blanc «Agboopiin». Par contre Veloporphyrellus africanus, bien qu’il n’est pas comestible mais il est connus sous le «Gbanègboo» ou encore «Kpabou» qui signifie « bouche de crapaud »; Russula congoana est connu sous le nom de «Kalamain» qui signifie «galettes rouges». Chez les Kabyè, les champignons de couleur rouge sont connus sous le nom de «Bassarwa Kpimgbessi» qui signifie «champignons des Bassar». Amanita rubescens est connu sous le nom de «Nankpengpèga» qui signifie «Champignons des bœufs». Amanita loosii est connus sous le nom de «Tounatalo» qui signifie « pied de l’éléphant». Amanita aurea et Amanita masasiensis sont connu sous le nom de «Toulou kpimgbessi» qui signifie « champignons des abcès». Lactifluus gymnocarpus est connu sous le nom de Kpayenkping-gbèka» qui signifie «champignons qui pousse sous les Uapaca». Chez le peuple Kabyè, Russula oleifera est appelé «Gawouti» est souvent confondue aux Termitomyces. Des confusions de noms et l’attribution de noms collectifs aux espèces qui se ressemblent sont fréquemment enregistrées. En général, les espèces ecto-mycorrhiziennes comestibles sont connues sous des noms locaux. Cependant, il a été constaté que la plupart des espèces ecto-mycorrhiziennes ne dispose pas des noms locaux dans ces deux localités.

Savoirs locaux selon le sexe

Par rapport aux investigations réalisées, presque 100% des femmes connaissent les espèces ecto-mycorrhiziennes comestibles dans les deux localités, ce qui n’est pas le cas chez les hommes (65%). Le nombre moyen des espèces ecto-mycorrhiziennes comestibles rapporté est différent que ce soit chez les hommes (10,1 ± 3,33) que chez les femmes (16,9 ± 5,44) montrant ainsi que les espèces sont bien connues par les femmes dans les deux localités. Le test de Fisher confirme ces résultats (p = 0,012 chez les hommes et p = 0,26 chez les femmes). En effet, nous avons constatés que cette différence est liée par rapport à la coopération active au sein des femmes. En effet les femmes du village, pendant la saison des pluies, s’organisent en de petits groupes de 20 à 30 personnes pour l’ensemencement. Et juste après le travail elles se dirigent ensemble dans la forêt pour aller chercher les bois de feux. Lors du ramassage du bois de feux elles profitent pour ramasser les champignons pour la sauce. Contrairement chez les hommes, après le travail coopératif, ils se dirigent directement au village autour des pots de boisson.

Savoirs locaux selon l’âge

Dans les deux localités, il a été constaté que le niveau de connaissance des champignons varie suivant l’âge. Quatre-vingt-dix-neuf (99%) des personnes les plus âgées connaissent mieux les champignons ecto-mycorrhiziens comestibles (Figure 7 et 8). Les nombres moyens d’espèces ecto-mycorrhiziennes comestibles rapportées par enquêté dans les classes d’âge compris entre 25 et 50 ans et supérieur à 50 ans sont respectivement égales à 14,61 ± 2,24 et 14,31 ± 2,42. Les enquêtés d’âge inférieur à 25 ans ont moins de connaissance, le nombre moyen d’espèces ecto-mycorrhiziennes rapporté est de 10,22 ± 2,13. Le test de Fisher (p = 0,005) montre qu’il existe une différence significative de connaissance des espèces ecto-mycorrhiziennes comestibles entre les enquêtés d’âge inférieur ou égal à 25 ans et ceux dont l’âge est supérieur à 30 ans.

Figure 7: Niveaux de connaissances des champignons ecto-mycorrhiziens en fonction de l’âge chez les Bassar

Figure 8: Niveaux de connaissance des champignons ecto-mycorrhiziens en fonction de l’âge chez les Kabyè

La vente des champignons

Généralement après la récolte, une partie des champignons consommés est utilisée pour le repas familial et l’autre partie est vendue à travers le village et le long des routes en de petits tas. Le prix de vente varie suivant les périodes. Pendant la période d’abondance le prix varie de 50 à 100 F CFA pour une gamme de 0,5 kg à 1 kg. Mais pendant les périodes de soudures, les prix sont relativement élevés. Les prix peuvent variés de 125 F CFA à 250 FCFA pour 0,5 kg à 1 kg. Nombreux spécimens séchés et écrasés sont souvent placés dans les petits pots (25-70 g) et sont vendus à des prix relativement élevés quelque fois allant de 200 à 350 F CFA, comparé aux spécimens frais. Le prix moyen de vente par semaine varie de 3 252,1 FCA à 4135,2 FCFA. Les revendeurs et les revendeuses peuvent tirer des revenus annuels de 99817,0 FCFA à 140924,8 FCFA, ce qui équivaut 199,6 à 281,8 dollars par an. Les revenus tirés de la vente de ces produits rentrent principalement (Figure 9) dans l’alimentation (14,2 %), la santé (9,2 %) et la scolarisation des enfants (66,3 %) et autres.

Figure 9: Dépenses couvertes par les revenus chez les revendeuses

Méthodes de conservation

Les champignons nettoyés, sont découpés en morceaux et déposés dans un fumoir suspendu dans les cuisines directement au-dessus du feu où ils séjournent trois à quatre semaines, en fonction de la consistance de leur chair ou peuvent être entreposés pour plusieurs jours après séchage au soleil. Les carpophores séchés au soleil peuvent être aussi écrasés et conservés dans les sachets ou dans les pots ou dans les bouteilles parfois empaquetés et conservés à l’abri des insectes.

Photo 1: Champignons bouillis et séchés au soleil

DISCUSSION

Diversité des champignons ecto-mycorrhiziens consommés

Vingt espèces ecto-mycorrhiziennes sont connues comme champignons ectomycorrhiziens consommés par les Bassar et les Kabyè de Hezoudè. Cependant Cantharellus rufopunctatus autrefois consommé est aujourd’hui négligé par les deux groupes ethniques dû à sa rareté. Ceci a entrainé la perte de transmission de connaissance liée à sa comestibilité. Parmi les espèces régulièrement consommées, Amanita loosii, Cantharellus congolensis et Russula oleifera sont mieux connues et consommées par les deux groupes ethniques, Bassar et Kabyè. En Afrique tropicale et subtropicale, Cantharellus congolensis est consommé dans plusieurs pays, notamment au Benin (Enow et al., 2013), au Ghana (Boa, 2006); au Nigéria (Nwordu et al., 2013), au Sénégal (Bâ et al., 2011). D’après la revue de littérature le genre Cantharellus est le plus diversifié en terme de taxa consommés en Afrique tropicale avec au moins 30 taxa (Degreef et al., 1990). Dans les forêts claires de Zambie, après la RDC qui regroupe 21 taxa du genre Cantharellus, 14 taxa sont identifiées comme les plus consommées au Gabon (Eyi Ndong et al., 2009). Dans les régions de Zambie, le genre Cantharellus occupe une place importante dans le régime alimentaire des populations locales. En Sierra Leone, Cantharellus congolensis et Cantharellus platyphyllus sont connus et consommées par les populations rurales (Ducousso et al., 2003). Contrairement, Amanita loosii, Russula oleifera et Amanita aurea restent les seules espèces consommées par les populations locales de Zambie. En RDC, Amanita loosii fait partie des meilleures espèces les plus appréciées par les populations rurales (Eyi Ndong et al., 2009). Par rapport à la diversité, environ 72 à 80 espèces ecto-mycorrhiziennes dont la comestibilité est confirmée est enregistré en Afrique de l’Ouest, ce qui représente 17% des champignons consommés en Afrique tropicale. Au Burkina Faso, 12 taxa sont consommés (Guissou et al., 2008, Sanon 2015). Au Benin, 20 taxa (Yorou et al., 2014; Boni et Yorou, 2015); en Côte d’Ivoire, 7 taxa (Yorou et al., 2014).

La diversité des champignons consommés est liée à leur utilisation par les groupes ethniques. Ces mêmes constats ont été faites dans plusieurs pays d’Afrique tropicale (Koné et al., 2013). La figure 10 présente le nombre d’espèces ecto-mycorrhiziennes consommées dans quelques pays d’Afrique tropicale.

Figure 10: Nombre d’espèces ecto-mycorrhiziennes consommées dans quelques pays d’Afrique tropicale

Savoirs endogènes

Le nombre de taxa ecto-mycorrhiziens consommés est très faible à Bassar et à Hezoudè par rapport à la diversité des espèces rencontrées. Ceci est dû aux habitudes alimentaires. En effet les savoirs endogènes sur les champignons ecto-mycorrhiziens à Bassar et à Hezoudè sont transmis de génération en génération. Ces connaissances, surtout liées aux différents usages qu’elles font des champignons et qui sont pour la plupart menacées de disparition. Ceci a fait l’objet d’études scientifiques dans certains pays africains, notamment au Bénin (Yorou et al., 2014), au Togo (la présente étude), au Malawi (Morris 1994), en RD Congo (Degreef et al., 1997). Ces études ont permis de valoriser les espèces utiles dans ces différents pays en documentant le savoir traditionnel y relatif (le nombre d’espèces, les noms locaux, l’usage, l’importance de la cueillette et/ou de la vente, l’appétence, la conservation). A Fazao, chez les Kotocoli les champignons sont récoltés et préparés par les femmes qui, dès leur plus jeune âge, ont appris à les reconnaître auprès de leurs mères (Kamou et al., 2015). Les champignons sont couramment récoltés par les femmes et les enfants en Afrique tropicale. D’après Degreef (1990), dans les villages du Shaba (RDC), près de 40 % des femmes participent à la cueillette des champignons. A Bassar, certains hommes autrefois chasseurs connaissent et récoltent également des champignons pour leurs femmes. En dehors des jours des travaux champêtres, les jeunes, surtout les filles, vont régulièrement à la recherche des champignons avec leurs mères et parviennent ainsi à distinguer les espèces comestibles. Le même constat a été rapporté par De Kesel et al., (2002) au Bénin, (Piearce et Sharp, 2000) en Tanzanie, en Côte d’Ivoire (Koné et al., 2013) et au Togo (Kamou et al., 2015), au Zaïre (Thoen et al., 1973).

Connaissance des noms locaux

Comme l’ont rapporté Buyck (1994c) dans d’autres pays africains, les noms vernaculaires attribués aux champignons par les populations du Bassar et de Hezoudè se réfèrent à la morphologie, à l’odeur, à une ressemblance à une espèce animale ou végétale. Ces noms sont souvent simples ou parfois des noms composés décrivant le champignon. Cependant à Hezoudè et à Bassar, la plupart des noms sont attribués aux espèces saprotrophes. Les populations admettent également que les véritables champignons comestibles sont les espèces du genre Termitomyces. Des confusions de noms et l’attribution de noms collectifs aux espèces qui se ressemblent sont fréquentes à Bassar et à Hezoudè. Certains noms vernaculaires de champignons ou des noms génériques très semblables sont parfois utilisés dans plusieurs pays, c’est le cas de Burundi (Buyck, 1994b) ou le terme général ubwoba désignant les champignons comestibles est semblable aux termes bowa du Malawi (Morris 1984), mbowa, ubuaba ou uhwade au Zambie (Pegler et Piearce 1980) et ubuyoga de RDC et de Tanzanie. Les noms vernaculaires peuvent être utiles en ce sens qu’ils fournissent des indications importantes pour identifier scientifiquement une espèce. Selon Heim (1977), plusieurs identifications erronées faites par les mycologues européens ont été corrigées grâce aux noms vernaculaires donnés par des guides africains ou d’autres populations locales lors d’enquêtes ethno-mycologiques. Les populations de Bassar et de Hezoudè distinguent parfaitement les champignons comestibles et non comestibles.

CONCLUSION

Le parc Fazao-Malfakassa regorge une diversité potentielle des champignons. L’étude des champignons ecto-mycorrhiziens à travers les enquêtes ethno-mycologiques réalisées à Bassar et à Hezoudè a permis de dresser une liste de 23 taxa ecto-mycorrhiziens consommés par les peuples Bassar et Kabyè. Les espèces couramment consommées appartiennent aux genres Cantharellus, suivi des genres Russula et de Amanita. Des spécificités liées à la transmission des savoirs influencent le nombre d’espèces consommées mais, en général, une espèce comestible répandue dans plusieurs régions est appréciée.

RÉFÉRENCES

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