Perception et stratégies des éleveurs chameliers du département de Mourtcha (Tchad) face aux changements climatiques

Auteurs-es

  • Abakar TOUKA Institut de Recherche en Élevage pour le Développement, N’Djaména, Tchad
  • Koussou Mian OUDANANG Institut de Recherche en Élevage pour le Développement, N’Djaména, Tchad
  • Issa YOUSSOUF Institut National des Sciences et Techniques d’Abéché de N’Djaména, Tchad

DOI :

https://doi.org/10.5281/zenodo.17671744

Mots-clés :

Adaptation, Changement climatique, Mourtcha perception, stratégies et Tchad.

Résumé

Cet article vise à analyser la perception et les stratégies des éleveurs chameliers du département de Mourtcha face aux difficultés climatiques afin de diagnostiquer, d’une part, leur perception du changement climatique et ses conséquences, et d’autre part, leurs stratégies d’adaptation. 123 chefs de ménage ont été enquêtés, soit 31 ménages dans chacun des quatre campements (Amchaloba, Souhaya, Amhere et Hawach). La méthodologie de collecte des données a consisté en une enquête par des questionnaires auprès des pasteurs assortis d'entretiens individuels et en groupes pour recueillir des informations nécessaires. Les résultats montrent que les éleveurs perçoivent les aléas climatiques comme une menace majeure pour la viabilité des ménages ruraux d’Afrique subsaharienne qui vivent principalement de l’exploitation des ressources naturelles. Toutefois, les éleveurs perçoivent une baisse des pluies, une hausse des températures et des vents violents, tous considérés qu’ils sont davantage vulnérables à leur égard. Le niveau d’éducation du chef de ménage, la situation matrimoniale et l’appartenance à un groupe ethnique déterminent cette perception. Cela nécessite une meilleure stratégie de représentativité de ces groupes dans les diverses instances de décision, d’intervention en vue d’une meilleure cohésion sociale.

Mots clés: Adaptation, chameliers, Changement climatique, perception, stratégies, Mourtcha, Tchad

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INTRODUCTION

En Afrique subsaharienne, l’élevage et l’agriculture sont les deux principales activités économiques des populations rurales (Higazi et Abubakar Ali, 2018). Dans cette région et au Tchad en particulier, l’élevage occupe une part importante dans les revenus des ménages. Sa contribution moyenne au PIB agricole tchadien est de 54% (MEPA, 2021). L’élevage vient donc en deuxième position après le pétrole. Les systèmes d’élevage de ces zones arides étaient essentiellement basés sur une activité d’élevage dominante, conduite sur un mode d’exploitation traditionnel avec une transhumance saisonnière des zones pastorales vers les zones agricoles. Ces systèmes se caractérisent par une forte dépendance aux conditions climatiques et des ressources pastorales naturelles disponibles qui assuraient près de 65% des besoins alimentaires du Cheptel (Nefzaoui et al., 2002).

En effet, ces pays africains sont parmi les plus vulnérables aux effets des changements climatiques. Le changement climatique représente une menace de plus en plus perceptible pour la viabilité des ménages ruraux d’Afrique subsaharienne où les communautés vivent principalement de l’exploitation des ressources naturelles (Kabore et al., 2019). La forte pression humaine sur les zones semi-arides sahélo-soudaniennes de l’Afrique rend les écosystèmes plus vulnérables aux effets du changement climatique (Sop et al., 2011; Rasmussen, 2001; Nicholson et al., 1998). Pourtant, les événements climatiques extrêmes ont un impact négatif sur l’agriculture, l’élevage et les ressources naturelles (Karimou Barké et al., 2015) sur lesquels repose l’essentiel des économies des pays sahéliens. Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC, 2007), les conséquences du changement climatique sur les économies des pays d’Afrique sont déjà considérables et la situation pourrait être encore plus désastreuse vu les prédictions d’augmentation des fréquences d'événements extrêmes avec le réchauffement climatique (Hounghton et al., 2001; GIEC, 2007). Le secteur d’élevage dans les pays en voie de développement n’est pas épargné par les effets du changement climatique. Les populations locales et les éleveurs pasteurs en particulier le perçoivent de différentes manières et de nombreuses études le confirment tout en mettant en exergue la perception du changement climatique par les populations locales. Elles les perçoivent à travers la baisse et les irrégularités pluviométriques, le démarrage tardif de la saison des pluies, l’arrêt précoce des pluies et la fréquence plus élevée des poches de sécheresse (Sarr et al., 2015; Nielsen et Reenberg, 2010; Ouédraogo et al., 2010; West et al., 2008). L’élevage est un gros consommateur de ressources naturelles et contribue de manière significative au changement climatique et sera obligé de réduire son empreinte écologique tout en s’adaptant au dérèglement du climat (Gerber et al., 2014). Selon Labiyi et al. (2019), le changement climatique accentue la pression sur les ressources naturelles et influe sur le potentiel fourrager disponible en zones pastorales pour l’alimentation des ruminants. Selon le Programme d’Action Nationale d’Adaptation à la variabilité et aux changements climatiques (PANA, 2007), les plus importants chocs climatiques observés au cours des deux dernières décennies sont les sécheresses dues à la baisse pluviométrique et son inégale répartition, les inondations provenant des fortes pluies exceptionnelles, les vagues de chaleur et les nappes de poussière intenses. Dans les régions arides et semi-arides du Tchad, du Burkina Faso et du Niger, les principaux risques agroclimatiques pour les ménages ruraux sont: la hausse des températures minimales et maximales, la forte variabilité pluviométrique, les sécheresses intenses et les inondations (Sarr et al., 2015). Le Sahel connaît une tendance générale au réchauffement depuis 1950 (GIEC, 2007). Ce réchauffement se traduit par une baisse du nombre de jours et de nuits froids et une hausse des jours et des nuits chauds entre 1960 et 2010 (Ly et al., 2013). Le changement climatique engendre d’importantes modifications environnementales, à l’image des sécheresses dont la récurrence accélère le déclin des forêts dans le Sahel ouest-africain (Belem et al., 2017; Ouédraogo et Thiombiano, 2012; Higgins et al., 1999; Grouzis et Albergel, 1989), réduit le couvert végétal et les rendements agricoles, et favorise l’extension des zones dénudées (Bambara et al., 2013). Cet amenuisement des ressources naturelles affecte la survie de ces communautés et les expose à l’insécurité alimentaire et la pauvreté.

Plusieurs facteurs influencent donc la vulnérabilité des pasteurs face aux effets du changement climatique tels que la nature et l’ampleur du changement mais aussi la disponibilité de ressources et surtout leur accessibilité (Laouali, 2015). La vulnérabilité des pasteurs au changement induit leur aptitude à développer des stratégies d’adaptation afin de résister aux effets de ces changements. Les perceptions et les stratégies d’adaptation mises en place par les pasteurs face aux changements climatiques mériteraient-elles une amélioration ?

Suite aux effets de changement climatique, l’amplitude de la transhumance a augmenté, source de conflit.

L’objectif de cette étude est d’analyser la perception et les stratégies d’adaptation des éleveurs du département de Mourtcha face aux difficultés climatiques. Pour déterminer, d’une part, la perception du changement climatique par les éleveurs et ses conséquences, d’autres parts, leurs stratégies d’adaptation.

MATÉRIEL ET MÉTHODES 

Cadre et caractéristique de la zone d’étude

L’étude a été réalisée durant le mois de mai 2024 dans le Département de Mourtcha appartenant à la province de l’Ennedi-Ouest (Figure 1). Le département de Mourtcha est situé entre le 15° 48′ 00″ Latitude Nord et 20° 46′ 17″ Longitude Est. Sa population est estimée à 57 691 habitants (RGPH, 2009). Elle est majoritairement composée des éleveurs transhumants et nomades de l’ethnie Anakaza, Gaêdas, Borgade et Bideyat. Zone de transhumance, le département de Mourtcha abrite un nombre important de bétail particulièrement les dromadaires, soit 1,3 millions de tête selon le RGE, 2015.

Le climat du département de Mourtcha est de type désertique avec une pluviosité annuelle qui varie de 20 à 50 mm au nord et 50 à 100 mm au sud (APIDEL, 2018). La zone est caractérisée par des fortes tempêtes de sable. L’économie de la zone est basée essentiellement sur les productions pastorales et le commerce de bétail. Sur le plan hydrographie, le département de Mourtcha est situé dans une zone de socle avec un niveau d’eau souterraine est très faible. Quelques puits sont construits dans le Wadi avec l’appui de l'État et le projet de développement en construisant de seuil d’épandage dans le Wadi pour la rétention d’eau.

La végétation montre un passage progressif au domaine saharien vers le 16e parallèle, est majoritairement constituée des épineux avec une variation. On note également la présence d'Acacia raddiana, Balanites et Zizyphus etc. et des graminées, dont les plus importantes tels que Cornulaca monAcantha, Aristida funiculata trin et Alysicarpus ovalifolius (Baroin, 2011).

Des fiches d’enquête incorporées dans les tablettes munies du logiciel Kobo-collect ont servi de guide d’entretien. Un récepteur GPS de type Garmin eTrex 10 a été utilisé pour les géo référencements des campements d’éleveurs.

Échantillonnage

L’étude a été menée auprès de 123 éleveurs appartenant aux différents groupes sociolinguistiques existant dans les quatre campements (Amchaloba, Souhaya, Amhere et Hawach) du département de Mourtcha. Pour mieux comprendre la perception par les éleveurs du département de Mourtcha des changements climatiques, de leurs incidences sur les pâturages et des stratégies d’adaptations développées. Deux types d’enquête ont été menés. Ils sont décrits ci-après.

Focus groups

La méthode d’enquête des focus groups ou groupes de discussion consiste en des réunions organisées sur la base d’un guide d’entretien préétabli. Ces focus groups (12 au total) ont été organisés en tenant compte des différents systèmes d’élevage existants dans la localité. La technique du focus group par le questionnement a été utilisé, car non seulement, il permet de connaître le point de vue de chaque participant, mais aussi de recueillir des avis collectifs (Onwuegbuzie et al., 2009).

Au total 123 éleveurs sur les 150 sélectionnés ont effectivement pris part aux focus groups Chaque focus group a réuni entre cinq et dix personnes, majoritairement des adultes. Les focus groups se sont déroulés autour des préoccupations suivantes: la perception du changement observé concernant la température, la pluviométrie et les vents violents. Les échanges ont également porté sur la dynamique des espèces fourragères constatée et l’évolution des paramètres zootechniques, ainsi que sur les stratégies d’adaptation mises en place.

Entretiens individuels

Au début de chaque focus group, deux personnes ont été choisies au hasard parmi les participants pour faire l’objet d’entretiens individuels. Au total, 24 éleveurs ont été interrogés sur la base du même guide d’entretien que celui utilisé pour le focus group. Ces 24 personnes n’avaient plus participé aux focus groups.

Méthodes de collecte des données

La méthodologie comprend une étude exploratoire qui a permis la sélection des campements, une phase d’enquête approfondie avec l’administration des questionnaires auprès des pasteurs chameliers âgés plus 40 ans enfin des entretiens individuels et en focus groupe pour recueillir des informations complémentaires. Les informations collectées ont porté sur leurs caractéristiques socio-culturelles, leur perception générale de changement climatique, de la variabilité climatique, sur les paramètres zootechniques, sur la conduite d’élevage et sur la stratégie de l’adaptation.

Analyses statistiques des données

Les données collectées ont été saisies dans un fichier Excel. Les différents paramètres ont été calculés à l’aide du logiciel STATA17 et Excel. Les informations collectées ont été synthétisées en statistique descriptives bivariées et test de khi-deux et les liens entre chaque variable croisée.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Caractéristiques socioculturelles des éleveurs

Le tableau 1 indique les caractéristiques socioculturelles des personnes enquêtées. La totalité des éleveurs enquêtés était de sexe masculin, majoritairement mariés à une seule épouse (87,8%). Plus de la moitié d’entre eux appartenait au groupe ethnique Gorane. Le reste était constitué des Arabes. La majorité d’entre eux n’a pas été à l’école. L’absence de faible scolarisation dans cette communauté pastorale est liée à la mobilité des familles mais aussi aux tâches traditionnellement dévolues aux enfants dès leur bas âge: gardiennage des animaux, abreuvement, traite, collecte et transport de bois de chauffe, exhaure et transport de l’eau… Envoyer les enfants à l’école reviendrait à compromettre le modèle social de répartition des tâches domestiques dans cette communauté pastorale.

Perception générale du changement climatique

Pour la majorité des éleveurs enquêtés dans le département de Mourtcha, la notion de changement climatique renvoie à la température, à la pluviométrie et aux vents violents. Les signes révélateurs du changement climatique sont la hausse de la température pour les uns et la hausse de la température associée à des vents violents pour les autres (Tableau 2).

Chaque année, au début du mois de février, les premiers signes de la sécheresse apparaissent, les points d’eau commencent à se tarir et les pâturages à se raréfier. De nombreuses familles souvent en petits groupes, effectuent un déplacement de plusieurs mois à la recherche d’eau et des pâturages. Aujourd’hui, les éleveurs transhumants se heurtent à un nouveau problème qu’ils sont incapables de surmonter seuls le changement climatique, leur mode de vie traditionnel est menacé. Les saisons des pluies se raccourcissent et les saisons sèches se prolongent jusqu’à 9 mois.

Pour les éleveurs, les différents paramètres climatiques (perception et signe) ont connu une perturbation ces dernières années qui ont fortement influencé la disponibilité des ressources fourragères pour la survie de l’élevage pastoral. La variabilité climatique était perçue et vécue par les éleveurs de dromadaire du département de Mourtcha, surtout la hausse de température, les sécheresses et le vent violent.

Des résultats similaires ont été rapportés par Abdou et al. (2020), Vissoh et al. (2012), Allé et al. (2013) et Nassef et al. (2009) sur la perception du changement climatique par les communautés pastorales, notamment des précipitations irrégulières et moins abondante, vents violents et une hausse de la température.

Perception de la variabilité climatique

La pluviométrie

Le tableau 3 donne sur la perception sur la variabilité climatique en termes de pluviométrie au cours des vingt dernières années. Il en est ressorti que la quantité de pluie a baissé pour plus de la moitié des éleveurs enquêtés. La durée de la saison pluvieuse est de plus en plus courte selon les ¾ des éleveurs interrogés. L’intensité des pluies est faible pour près de la moitié des éleveurs.

La température

Selon les éleveurs enquêtés, durant les vingt dernières années, l’intensité de la température a augmenté en saison sèche. Par contre, son intensité en saison pluvieuse et sa durée de la saison de froide sont restées stables (Tableau 4).

Les vents

Le tableau 5 donne les informations sur les indicateurs de variabilité climatique telle que les vents. Ce tableau montre que d’une part la fréquence et durée de vents forts pendant la saison sèche et hivernage ont connu respectivement une augmentation et une stabilité selon les éleveurs enquêtés. D’autre part, les personnes enquêtées ont affirmé que l’intensité de poussière et vent de sable est stable.

La perception de la variabilité climatique par les éleveurs de dromadaire de Mourtcha sur la diminution de pluie et de la hausse température indique que la plupart des éleveurs interrogés ont perçu une diminution de la pluviométrie, une courte durée et une faible intensité de pluie au cours des 20 dernières années.

Dans une grande partie de la zone sahélienne, la production pluviale de céréales est entrée depuis quelques années dans un cycle de rendements décroissants (épuisement des terres, réduction des jachères, irrégularités pluviométriques, etc.) tandis que la productivité des zones fourragères est fortement affectée par la multiplication des épisodes de sécheresse.

Aujourd’hui, la reproduction de la plupart des modes de subsistance, qu’ils soient agricoles ou pastoraux, est fortement menacée. De plus en plus de familles sahéliennes sont condamnées à avoir recours à des stratégies irréversibles (consommation des semences, vente des outils de production, vente d’animaux reproducteurs, migration d’une grande partie de la famille pour une longue durée, etc.) qui conduisent à une augmentation de leur vulnérabilité.

Les défis liés au changement pour le secteur de l’élevage ont également été évalués dans des recherches récentes, y compris la baisse de la qualité et de la quantité des aliments pour animaux et du fourrage, une réduction de la disponibilité de l’eau, le stress thermique, le changement de la biodiversité, des changements de la propagation et l’apparition des ravageurs et des maladies du bétail et une vulnérabilité accrue.

Des études similaires ont été réalisées par Cold-Ravnkilde et Ba (2022), Magnani (2010) et Panthou et al, (2014).

Perception de l’effet du changement climatique sur la productivité

Le tableau 6 présente les perceptions de l’effet du changement sur la productivité des troupeaux par les éleveurs. Selon la grande majorité d’entre eux, la productivité laitière a considérablement baissé au cours des 20 dernières années malgré la hausse de la taille moyenne du troupeau. Cette baisse de la productivité laitière est liée selon les éleveurs à l’insuffisance des ressources pastorales (eau et pâturages) consécutive au changement climatique, notamment la rareté des pluies. On note également une augmentation de la mortalité chez les adultes. La hausse de la mortalité observée serait due en plus du déficit alimentaire à l’apparition dans la zone de nouvelles maladies telles que la pasteurellose, les charbons bactéridiens et symptomatiques, ainsi que les parasitoses gastro-intestinales. Selon les éleveurs, ces pathologies qui n’existaient pas dans un passé récent se sont développées à la faveur de la remontée plus au nord des transhumants arabes et peuls avec leurs troupeaux. Les impacts des changements climatiques et environnementaux ont réduit les surfaces pâturables et sont susceptibles de continuer tant que les conditions climatiques vont continuer à se dégrader et ces changements touchent les paramètres zootechniques et la santé animale.

Des résultats similaires ont été rapportés par Rojas-Downing et al. (2017) et Abdou et al. (2020) qui ont révélé que les changements climatiques et environnementaux impactent non seulement les paramètres zootechniques mais dégradent également la santé animale. Ce résultat similaire est aussi rapporté par Kimaro et al. (2018).

La perception de la variabilité climatique sur la conduite de l’élevage

Le tableau 7 donne les résultats de la perception de l’effet du changement climatique sur la conduite de l’élevage. Il ressort de ce tableau que sur les 20 dernières années, les paramètres affectés négativement par le changement climatique sont par ordre d’importance: les pathologies, l’alimentation, la reproduction et la productivité. Seuls les effectifs du bétail de la zone ont augmenté.

Cette évolution des pratiques est doublée d’une mutation spatiale des activités qui s’est en partie calquée sur l’évolution des lignes du climat sahélien. A la recherche des meilleurs pâturages, les pasteurs parcourent de plus ou moins longues distances, généralement vers le nord de département de Mourtcha, au moment de la saison des pluies. Une fois la saison de pluie terminée, ils reviennent progressivement vers leur terroir d’attache là où restent des pâturages et points d’eau.

L’effectif du cheptel joue un rôle important sur le plan social et économique dans la zone d’étude car il constitue le seul moyen d’existence. Cette irrégularité de la pluviométrie et de la hausse température est perçue par les éleveurs interrogés comme un problème majeur dans ce milieu. Les conditions climatiques difficiles et l’insuffisance de pâturage ont négativement affecté la production et la reproduction des animaux.

La quasi-totalité des éleveurs de dromadaire enquêtés ont noté une dégradation de l’offre de parcours naturels. Selon les éleveurs de dromadaire interrogés, la pression démographie et anthropique est à l’origine des défrichements abusifs et par conséquent de la dégradation du couvert végétal en général et des espèces ligneuses en particulier.

Les animaux développent diverses pathologies, qui contribuent considérablement à la diminution de la quantité et de qualité de lait ainsi que la capacité reproductive des femelles. Pour les éleveurs interrogés, ces maladies ont principalement pour source la rencontre entre les animaux de zone pastorale diverse au pâturage. Ainsi, la transhumance favorise la propagation des maladies contagieuse d’une zone pastorale à une autre. La rencontre des animaux d’origine divers autour des points d’eau ou lieu de pâturage peut favoriser une large contamination des animaux.

La dégradation des ressources pastorales est due à l’insuffisance de pluie dans la zone saharo-sahélienne qui conduit à la réduction des pâturages, à la faible valeur pastorale et à l’accroissement de la transhumance. Il y a aussi l’insuffisance des points d’eau à usage pastoral. Une étude similaire a rapporté des résultats similaires (Kiéma et al., 2014).

L’élevage pastoral a une bonne capacité pour affronter cette contrainte, ce qui fonde sa résilience. Autrement dit, la résilience permet aux communautés d’éleveurs transhumants de réduire leur vulnérabilité et de poursuivre leur activité en dépit des crises et d’asseoir leur reproduction économique et sociale ainsi que la préservation de leur identité. Une étude similaire a été rapportée par Bonnet et Bertrand (2014).

Stratégies d’adaptation aux changements climatiques

Le tableau 8 présente les stratégies développées par les éleveurs pour atténuer les effets de la sécheresse. Il en ressort que pendant les épisodes de sécheresse, la première stratégie développée par la majorité des éleveurs est la transhumance. Une partie de la famille, en particulier les jeunes, se déplace avec les dromadaires vers les zones de Wargala, Sahala, Djourab et Archi où les ressources fourragères sont encore disponibles mais les puits d’abreuvement sont limités. Les troupeaux souvent de grande taille (plus de 70 têtes de dromadaires) sont donc obligés de parcourir de longues distances pour s’abreuver une fois par semaine, voire une fois par mois en saison fraîche. Une minorité des éleveurs se déplace vers le sud dans le département d’Albiher. Il s’agit de groupe d’éleveurs possédant des effectifs réduits de dromadaires (20-30 têtes). Les petits ruminants, notamment les chèvres sont en général laissées sur place avec le reste de la famille pour subvenir à leur besoin en lait et autres. La seconde stratégie est la diversification des espèces animales commercialisées. Il s’agit de vendre des dromadaires en plus de petits ruminants, pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille. Les revenus issus de la vente des animaux servent en partie à acheter des compléments alimentaires. Les résultats similaires ont été rapportés par Kiema et al (2014), FAO (2012), Kiéma et al (2012), Bamabara (2010), N’Djafa (2009) et Dégué (2012).

Pendant les périodes marquées par une forte humidité, les éleveurs interrogés adoptent une stratégie qui consiste à effectuer des déplacements sur de courtes distances à l’intérieur du département. L’objectif est d’éloigner les dromadaires des zones infestées d’insectes piqueurs vecteurs de maladies. L’espèce cameline est très sensible aux maladies parasitaires transmises par les mouches. Ils regagnent leurs lieux de résidence habituelle à la fin de la saison pluvieuse. Ils vendent des animaux surtout des dromadaires pour constituer d’une part leur provision d’aliments en vue de la transhumance et d’autre part subvenir aux besoins du reste de la famille qui ne se déplace pas.

D’une manière générale, les stratégies d’adaptation mises en œuvre découlent souvent d’une combinaison de pratiques quel que soit les périodes (transhumance, déstockage des effectives complémentations des animaux).

CONCLUSION 

Traditionnellement, de nombreux éleveurs ont su s’adapter aux menaces affectant leurs moyens d’existence. En effet, l’un des systèmes pastoraux les plus répandus en Afrique, c’est-à-dire le pastoralisme, a souvent été défini par sa capacité à s’adapter aux incertitudes climatiques et aux autres risques.

Les éleveurs sont bien conscients des tendances générales du climat dans leur milieu, de sa variabilité, de son évolution et des impacts des événements climatiques sur la production animale et les ressources pastorales. Si l’adaptation et le renforcement de la résilience restent une priorité pour les éleveurs, les mesures d’atténuation seront également nécessaires dans le cadre de la réponse climatique.

RÉFÉRENCES

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Publié-e

10-09-2025

Comment citer

TOUKA, A., OUDANANG, K. M., & YOUSSOUF, I. (2025). Perception et stratégies des éleveurs chameliers du département de Mourtcha (Tchad) face aux changements climatiques. Revue Marocaine Des Sciences Agronomiques Et Vétérinaires, 13(4), 347–354. https://doi.org/10.5281/zenodo.17671744

Numéro

Rubrique

Production et Santé Animales

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