Résumé

Les abeilles sont des Hyménoptères les plus importants dans la pollinisation des plantes. Aussi, il est admis que la présence dominante de l’abeille domestique peut avoir une influence négative sur les abeilles solitaires voire d’autres pollinisateurs et donc défavoriser les plantes qu’elles ne peuvent pas visiter elles-mêmes. Afin de connaître les espèces pollinisatrices dominantes dans la Réserve de Biosphère de Luki, une étude a été conduite de Juillet 2021 à Juin 2022. A l’issu de cette étude, 6308 spécimens étaient capturés, réparties dans 81 espèces. Cependant, trois espèces (Dactylurina staudingeri, Apis mellifera et Meliponula sp) ont représentées à elles seules 76,2% de captures. De plus, ces trois espèces ont témoigné d’un régime polylectique avec une activité journalière de 10 h à 15 h.


Mots clés: Abeille, dominance, Pollinisateur, Réserve de Biosphère de Luki, RDC

Introduction

Les abeilles sont des Hyménoptères apocrites du groupe des aculéates et de la superfamille des Apoidea. Elles présentent une grande diversité de régime alimentaire et constituent un groupe très important pour la pollinisation des plantes (Michener, 2007).

Probablement apparues en Afrique au Crétacé moyen, les abeilles comptent actuellement environ 30 000 espèces décrites au niveau mondial, réparties en 7 familles et 1200 genres (Michener, 2007). Cependant, en Afrique et spécialement en Afrique Subsaharienne, les travaux réalisés à nos jours indiquent la présence d’environ 2 755 espèces d’abeilles regroupées en 99 genres et 6 familles, dont les Colletidae, les Andrenidae, les Halictidae, les Melittidae, les Megachilidae et les Apidae (Eardley et Urban, 2010; Eardley et al., 2010).

D’après Pouvreau (2004) et Michener (2007), les abeilles sont caractérisées par un mode de vie solitaire et la socialité n’est apparue que chez les Apidae et Halictidae. Par ailleurs, l’espèce la plus sociale et la plus connue de ces insectes est Apis mellifera L. de par son exploitation par l’homme depuis plusieurs siècles (Kuhlmann et Timmermann, 2008 in Ndayikeza et al., 2014a).

En République Démocratique du Congo (RDC), la majorité des travaux réalisés ont notés la présence remarquable d’Apis mellifera comme une espèce polylectique, mais aussi et surtout pour son grand rôle dans la pollinisation de plusieurs plantes des forêts, des savanes et des cultures (Bukaka et al., 2020; Lukoki et al., 2021a).

Les travaux réalisés à Kinshasa et au Kongo-Central par Lukoki et al. (2021a) ont démontré que les proboscis des pollinisateurs étudiés étaient fortement corrélés à la profondeur de corolles des fleurs alors qu’ils n’interviendraient pas dans le choix floral des pollinisateurs. Ceci revient à dire d’après Ndayikeza et al. (2014a) que malgré cette abondance remarquable d’Apis mellifera dans plusieurs écosystèmes en RDC, elle ne serait pas la bienvenue à tous les types de fleurs et ne permettrait pas une pollinisation efficace de nombreuses fleurs dont la taille varie fortement selon l’espèce végétale.

De plus, bien que polylectique, l’abeille domestique concentre ses récoltes sur une seule et même espèce végétale (Lemoine, 2010). Aussi, il est admis que la présence dominante de l’abeille domestique peut avoir une influence négative sur les abeilles solitaires voire d’autres pollinisateurs et donc défavoriser les plantes qu’elles ne peuvent pas visiter elles-mêmes (Bellmann, 1999; Nzigidahera et Fofo, 2010; Mpawenimana, 2013; Ndayikeza et al., 2014b).

Ndayikeza et al. (2014a) rapportent la nécessité de faire appel à la domestication d’autres espèces pollinisatrices en occurrence comme les abeilles de genres Melipone et Dactylurina qui font déjà l’objet d’élevage dans certaines régions d’Amérique et d’Afrique (FAO, 2007; Connal, 2004). C’est dans cette optique que cette étude s’est assigné comme objectif de démontrer la dominance remarquable de trois espèces d’Apinae dans l’Apidofaune de la Réserve de Biosphère de Luki et le probable risque en cas de leur déclin pour cet écosystème.

Matériel et Méthodes

Milieu d’étude

La présente étude a été menée sur base de récoltes d’abeilles faites pendant 12 mois, soit de Juillet 2021 à Juin 2022, dans deux zones sur trois que compte la Réserve de Biosphère de Luki (zone de transition et zone tampon). S’étendant sur une superficie de 33 811 ha, la Réserve de Biosphère de Luki est située à l’Ouest de la province du Kongo Central en République Démocratique du Congo à 5°29’ de latitude Sud et 13°04’ de longitude Est, au dans le district du Bas-fleuve, à environ 110 km de l’Océan Atlantique (Desclee, 2017). Elle est traversée du Nord- Est au Sud-Ouest par le bassin hydrographique de la rivière Luki avec ses principaux affluents dont la Ntosi et la Monzi qui, ensemble se jettent dans la rivière Lukunga, affluent du fleuve Congo (WWF, 2010).

Échantillonnage

La collecte d’abeilles dans la Réserve a été conduite au moyen de trois techniques d’échantillonnage : Filets entomologiques, Coupelles colorées et Cornets unidirectionnels (Garrin et Houard, 2015; Lukoki et al., 2021b; Bukaka et al., 2020). Les captures étaient réalisées de 7 h à 17 h dans dix quadrats de 110 m/6 m en raison de cinq quadrats par zone selon le dispositif expérimental présenté à la figure 1.

Conservation et identification

Les abeilles capturées ont été conservées sur terrain dans des tubes préalablement remplis d’alcool à 70°C et ramenées au laboratoire de microscopie de la Mention Sciences de la Vie (ex-Département de Biologie) de la Faculté des Sciences et Technologies de l’Université de Kinshasa. Au laboratoire, les spécimens étaient ressortis des tubes, lavés à l’eau de robinet. Après tri, épinglage et préparation, les spécimens étaient identifiés en se référant aux caractères morphologiques décrits dans différentes clés de systématique entomologique des abeilles (Eardly et Urban, 2010; Eardley et al., 2010; Pauly et Vereecken, 2013). Quant aux espèces végétales, l’identification a été complétée sur terrain par nous-mêmes avec l’aide des botanistes de l’INERA/Luki et la vérification a été faite à l’Herbarium IUK de la Mention de la Vie (ex-Département de Biologie) de l’Université de Kinshasa.

Résultats et Discussion

Abondance de trois espèces dans la zone d’étude

Au terme de cette étude, les données relatives à la capture d’abeilles dans la Réserve de Biosphère de Luki sont présentées dans le tableau 1.

Il se dégage du tableau 1 que la capture d’abeilles a permis de collecter 6308 spécimens répartis en 81 espèces. Par ailleurs, trois espèces d’entre elles soit Dactylurina staudingeri, Apis mellifera et Meliponula sp, comptent 4804 spécimens soit 76,2%. Cette abondance remarquable a été signalée aussi dans les travaux de Bukaka et al. (2020) à Kinshasa et Lukoki et al. (2021) au Jardin Botanique de Kisantu dans le Kongo Central. D’après Ndayikeza et al. (2014a) cette abondance serait liée d’une part à la pratique de l’apiculture (surtout pour l’Apis mellifera) dans le site et à ses alentours et, d’autre part à la présence abondante des plantes mellifères.

L’espèce Dactylurina staudingeri, a présenté une abondance importante de 28,2% par rapport aux deux autres espèces. Les 78 espèces restantes ont présentées, quant à elles, une abondance de 23,8%, inférieure aux trois espèces (Figure 2). Ceci révèle l’importance de ces trois espèces dans la pollinisation de la flore de la Réserve.

Comparaison des préférences de visites d’abeilles en fonction des familles botaniques

L’analyse de la figure 3 sur les visites d’abeilles en fonction des familles botaniques révèle de manière générale que Dactylurina staudingeri, hormis le fait d’être l’espèce la plus abondante dans la Réserve, a en outre démontrée une attraction aux espèces de familles des Fabaceae et Acanthaceae. Apis mellifera a, quant à elle, visitée plus les espèces de familles des Anacardiaceae, Polygonaceae et Talinaceae. D’autre côté, Meliponula sp a visité de manière significative les espèces de la famille des Asteraceae.

Cette analyse révèle aussi que ces trois espèces abondantes sont toutes polylectiques, car elles visitent plus de 4 familles botaniques. Ces observations rejoignent celles faites par Lukoki et al. (2021a) qui soulignent que les espèces abondantes sont beaucoup plus polylectiques. Cela, afin de réduire la compétition interspécifique.

Périodicité de visites des abeilles

L’analyse de la périodicité de visites révèle que Apis mellifera est plus présente au mois de Janvier tandis que Meliponula sp et Dactylurina staudingeri ont connues des visites intenses respectivement aux mois de Mai-Juin et Juin-Juillet. Par ailleurs, il y a absence totale de visites de Meliponula sp au mois de Novembre (Figure 4). Cela traduirait que l’activité de ces pollinisateurs est dépendante des conditions éco-climatiques.

Comportement de butinage des abeilles

La figure 5 reprend les observations du comportement de butinage tout au long de l’étude. Il se dégage par ailleurs que pour les trois espèces abondantes de cette étude, l’activité s’étalait de 7 h à 17 h avec des variations journalières remarquables. De plus, ces espèces ont été plus en activité de 10 h à 15 h. Cependant, Apis mellifera était plus en activité à 10 h tandis que Dactylurina staudingeri et Meliponula sp étaient plus en activité respectivement à 10 h et 11 h. A l’issue de ces résultats, la présente étude révèle que l’abondance de la faune pollinisatrice sur les fleurs de la flore de la Réserve ainsi que leur comportement de butinage seraient modifiés par l’abondance de ces trois espèces, corroborant ainsi les observations de Butz-Huryn (1997) in Chagnon (2008).

Efficacité de techniques d’échantillonnage

Les observations faites sur l’efficacité d’échantillonnage consignées dans la figure 6 révèlent que les captures par filet étaient majoritaires avec 95,7% d’observations. De plus, Dactylurina staudingeri est plus capturée par filet que par les deux autres techniques. Par ailleurs, aucune de trois espèces abondantes n’a été capturée par les pièges cornets.

Ces résultats corroborent ceux de travaux de Lukoki et al. (2021b) qui affirment une efficacité performante des filets dans la même Réserve. Cependant, Kasomboyi et al. (2020) relèvent dans leur travail à Kisangani sur les Apoïdés, une performance des coupelles colorées dans la capture des insectes. Ceci serait dû aux nombreux facteurs dont certains propres à l’insecte et d’autres à l’environnement (Almouner et Frédéric, 2013).

Conclusion

Le risque majeur que court l’entomofaune pollinisatrice de nos jours est spécialement lié au déclin, causé par plusieurs facteurs environnementaux. Mais en dehors de ce dernier, d’autres facteurs liés à l’espèce sont également pris en compte. Dans le souci de montrer l’abondance de trois espèces pollinisatrices dans l’apidofaune de la Réserve de Biosphère de Luki, une étude a été conduite au moyen de trois techniques de capture. Il se dégage en cela que le filet était très efficace avec 95,7% de capture avec une dominance de Dactylurina staudingeri 28%. De plus, les trois espèces abondantes se sont avérées polylectiques avec un pic d’activité évalué entre 10 h et 15 h et une activité orientée pendant la saison de pluies. Cependant, face à cette abondance relative de ces trois espèces, des mesures de protection de l’apidofaune et surtout de deux autres espèces (Dactylurina staudingeri et Meliponula sp) s’imposent, notamment à travers la domestication des espèces du genre Meliponula. Il serait aussi important de réduire la pression anthropique dans les zones tampon et de transition, afin de minimiser l’impact de ces activités sur les écosystèmes, principalement sur les plantes et les abeilles pollinisatrices.

Références

Almouner A., Frédéric F. (2013). Impact des méthodes de piégeage sur l’efficacité de surveillance des pucerons: illustration dans les champs de pommes de terre en Belgique. Entomologie Faunistique – Faunistic Entomology, 66: 89-95.

Bellmann H. (1999). Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe. Delachaux et Niestlé, Paris, 336 p.

Bukaka W., Belade Z., Nsabatien N., Nagahuedi M. (2020). Étude de la structure des communautés des abeilles sauvages (Hymenoptera, Apoidea) de Kinshasa (R.D. Congo), cas de la Vallée de la Funa, des Symphonies Naturelles et de Lutendele. International Journal of Applied Research, 6: 941-951.

Chagnon M. (2008). Causes et effet du déclin mondial des pollinisateurs et les moyens d’y remédier. - Bureau régional du Québec de la fédération canadienne de la faune. 75 p.

Connal E. (2004). Taxonomic revision of the African stingless bees (Apoidea: Apidae: Apinae:Meliponini). African Plant Protection, 10: 63–96.

Desclee D. (2017). Vers l’intégration des dynamiques humaines et spatiales dans un processus systémique de diagnostic multidimensionnel du ‘Livelihoods’ pour un développement durable: Cas d’étude de la Réserve de Biosphère de Luki en RDC. Thèse de doctorat, Université de Kinshasa/Université catholique de Louvain.

Eardley C., Urban R. (2010). Catalogue of Afrotropical bees (Hymenoptera: Apoidea: Apiformes). Zootaxa, 24: 1–548.

Eardley C., Kuhlmann M., Pauly A. (2010). Les genres et les sous-genres d’abeilles de l’Afrique subsaharienne. ABC Taxa, 9:147.

FAO (2007). Plan d’action de l’Initiative africaine sur les pollinisateurs, 41p.

Garrin M., Houard X. (2015). Inventaire commenté des Syrphes (Diptera, Syrphidae) de la forêt domaniale du Mans (77) – État initial d’un suivi après travaux forestiers – Résultats des campagnes 2011- 2012-2013. Office pour les insectes et leur environnement – Office national des forêts. Rapport d’étude, 40 p.

Kasomboyi M., Posho B., Kombele F., Alenditima R., Upoki D., Vereecken N. (2020). Attractivité et performance de différents pièges utilisés pour la capture des Apoïdea à Kisangani, RD Congo. Revue Marocaine des Sciences Agronomiques et Vétérinaires, 8: 85-92.

Lemoine G. (2010). Faut-il favoriser l’Abeille domestique Apis mellifera en ville et dans les écosystèmes naturels. Le Héron, 43: 248-256.

Lukoki H., Ilunga J., Bakambana T., Lukoki F. (2021b). Preliminary study of the ecology and community structure of wasps (Hymenoptera) in the Luki biosphere reserve (Kongo-Central/Democratic Republic of Congo). Journal of Entomology and Zoology Studies, 9: 31-41.

Lukoki H., Kikufi B., Lukoki L. (2021a). Étude des choix floraux des pollinisateurs entomophiles. Étude des réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs: Cas du Jardin Botanique de Kisantu et de la Vallée de la Funa. Éditions Universitaires Européennes, 111p.

Michener C. (2007). The Bees of the World, Second Edition. The Johns Hopkins University Press. USA.

Mpawenimana A., Nzigidahera B., Ndayikeza L., Habonimana B. (2014). Les abeilles du genre Meliponula Cockerell, 1934 (Hymenoptera: Apoidea), potentialité pour la méliponiculture au Burundi. Bull. Sci. Inst. Natl. Environ. Conserv. Nat., 11: 31-37.

Ndayikeza L., Nzigidahera B., Mpawenimana A., Habonimana B. (2014b). Abondance et distribution des abeilles du genre Xylocopa Latreille, 1802 (Hymenoptera: Apoidea) du Burundi, Bull. Sci. Inst. Natl. Environ. Conserv. Nat., 11: 38-48.

Ndayikeza L., Nzigidahera B., Mpawenimana A., Théodore M. (2014a). Dominance d’Apis mellifera L. (Hymenoptera, Apoïdea) dans les écosystèmes naturels et les agro-écosystèmes du Burundi: risque d’érosion de la faune des abeilles sauvages. Bull. Sci. Inst. Natl. Environ. Conserv. Nat., 13: 72-83.

Nzigidahera B., Fofo A. (2010). Les pollinisateurs sauvages dans les écosystèmes forestiers et agricoles du Burundi. INECN. 39 p.

Pauly A., Vereecken N. (2013). Les Meliponinae africaines, http://www.atlashymenoptera.net/page.aspx??ID=121

Pouvreau A. (2004). Les insectes pollinisateurs. - Delachaux & Nestlé, Paris, 128 p.

WWF (2010). Plan d’aménagement de la Réserve de Biosphère de Luki, Projet d’appui à la gestion durable et conservation des écosystèmes forestiers de la République Démocratique du Congo, réalisé par ERAIFT, révisé en 2011.

Remerciements

Nous tenons à remercier le personnel de l’INERA/Luki de la Réserve de Biosphère de Luki pour l’accueil durant toute la période de l’étude. Ces remerciements s’adressent principalement à Mr Olivier Mamana Ngoma et Mr Papy Phonga qui nous ont grandement aidés lors de l’installation des pièges et la collecte d’insectes, mais également à Mr Mbambi de l’INERA/ Luki et tout le personnel de l’Herbarium de l’Université de Kinshasa pour la détermination des espèces végétales.