Résumé

La faible disponibilité des nutriments constitue un facteur limitant majeur de la production agricole dans les agro-systèmes du Bassin Arachidier (BA) du Sénégal. Face à cette situation, des initiatives ont été prises pour relever le niveau de fertilité des sols et par ricochet les rendements des cultures dans ces agrosystèmes. Entre autres initiatives, il y a la technologie de la microdose utilisée sur les céréales sèches et le maraîchage pour optimiser l’utilisation des fertilisants et booster les rendements. L’objectif de cette étude est d’analyser les performances agro-économiques de la microdose (MD) sur le maraîchage. L’étude a été menée pendant la contre saison 2020-2021 sur 2 297 parcelles de 100 à 200 m2 par parcelle dans 96 périmètres maraîchers situés dans le BA. 60 ha ont été emblavés: 12 ha de piment, 22 ha de tomate, 12 ha de gombo et 14 ha d’aubergine. Chaque parcelle est divisée en deux parties d’égales superficies: un traitement qui représente la pratique paysanne (PP) et un autre la microdose (MD). Le rendement, le coût et la valeur de la production ont été évalués sur chaque traitement. L’étude a montré une bonne performance de la technologie MD sur les cultures maraîchères avec des économies d’engrais, des avantages de rendements et de la marge brute par rapport à la pratique paysanne. Une deuxième campagne s’avère nécessaire pour pouvoir apprécier les résultats de cette première campagne, en tirer des conclusions et formuler des recommandations.


Mots-clés: Bassin Arachidier, microdose, maraîchage

INTRODUCTION

Dans le Bassin Arachidier (BA), l’agriculture pluviale est pratiquée avec principalement les cultures de l’arachide et du mil, qui occupent plus de la majorité des superficies (Ricome et al., 2017, Faye et al., 2019). L’arachide était la principale source de revenus de la plupart des exploitations familiales. Cependant, à partir des années 80 les politiques de libéralisation de l’économie et de privatisation imposées par la Banque Mondiale ont conduit à un désengagement de l'État qui subventionnait et supportait cette filière (Ndiaye, 2013). Ce qui n’est pas sans conséquence sur les conditions de production des exploitations familiales et le fonctionnement de la filière arachide. Face à cette situation, les agriculteurs ont adopté des stratégies de diversification avec comme objectif principal de trouver de nouvelles sources de revenus en substitution à l’arachide (Chia et al., 2006). Entre autres, nous avons le développement du maraîchage qui est encouragé par les partenaires au développement et les structures d’encadrement, de vulgarisation et de conseil agricole (Zucchini et al., 2016). Le maraîchage, pratiqué principalement en saison sèche dans cette zone, constitue une source de revenu avec des périmètres orientés vers la commercialisation. Cette activité participe ainsi à l’accroissement des revenus et par conséquent à la sécurité alimentaire des ménages (Robbiati et al., 2013; Ngom et al., 2015). Cependant, la durabilité du maraichage dans le BA fait face à de multitudes contraintes telles que la pauvreté et la salinité des sols, l’accès à l’eau, aux intrants et à la fumure organique de qualité et en quantité suffisante, la non-maîtrise des techniques de production, la commercialisation (Robbiati et al., 2013; Zucchini et al., 2016). C’est ainsi que plusieurs initiatives sont prises pour accompagner les agriculteurs à relever ces contraintes et particulièrement le niveau de fertilité des sols pour une amélioration des rendements des cultures dans ces agrosystèmes. Entre autres initiatives il y a la promotion de la technologie de la microdose utilisée sur les céréales sèches et le maraîchage pour optimiser l’utilisation des fertilisants et booster les rendements. Cette étude vise à documenter le comportement de la technologie de la microdose sur les cultures maraîchères dans le BA. Il s’agit d’analyser les performances agro-économiques de la microdose (MD) sur les cultures maraîchères par comparaison à la pratique habituelle des agriculteurs communément appelée la pratique paysanne (PP).

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Cadre de l’étude et zonage

Cette étude rentre dans le cadre du projet Feed The Future Dundël Suuf (DS). Un projet initié par le Centre international de développement des engrais (IFDC) et ses partenaires sénégalais du ministère de l’agriculture, les services techniques en charge de la Recherche et du Développement, de la vulgarisation, le secteur privé des engrais, les organisations paysannes et les partenaires au développement. Ce projet est proposé comme un moyen pour améliorer la fertilisation des sols et augmenter durablement la productivité et la production agricole au Sénégal. C’est ainsi, que le programme de promotion de technologies de fertilisation est mis en œuvre dans différentes zones agroécologiques du pays. Il s’agit des technologies de la microdose (MD) et du placement profond de l’urée (PPU). La technologie MD est appliquée sur les céréales sèches (mil, sorgho, maïs) et les cultures légumières, quant au PPU, il est pratiqué sur le riz. Dans la zone agroécologique du Bassin Arachidier, pendant la contre saison 2020-2021, en partenariat avec la Direction Régionale de Développement Rural (DRDR) de Diourbel et la Direction de Zone Sud du BA de l’Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural (DZ ANCAR-BAS), des parcelles de démonstration de la technologie MD sur les cultures maraîchères ont été mises en place dans les zones d’intervention de ces partenaires (DRDR et ANCAR-BAS). Il s’agit des régions de Diourbel, Fatick, Kaolack et Kaffrine (figure 1), sur 38 communes soit un total de 96 sites ou villages.

Sensibilisation, identification, formation des bénéficiaires et visites guidées

Tout d’abord, une campagne de sensibilisation a été organisée dans les zones d’intervention avec comme objectif d’imprégner les agriculteurs et acteurs locaux sur les activités du projet afin qu’ils puissent adhérer à la mise en œuvre. Il s’en est suivi de l’identification de producteurs leaders porteurs du programme dans leurs zones. A leur tour, ces derniers ont choisi des producteurs bénéficiaires sur la base de critères définies (volontariat, respect des engagements, etc.). Les bénéficiaires ont par la suite été formés sur l’application de la technologie MD sur les cultures maraîchères et aussi sur les bonnes pratiques agricoles. Des visites guidées ont aussi été organisées dans les parcelles de démonstration pendant le cycle de développement des cultures, avec comme objectif le partage d’expérience entre agriculteurs.

Dispositif expérimental et conduite des parcelles de démonstration

2 297 parcelles de 100 à 200 m2 par parcelle ont été installées sur 96 périmètres maraîchers dans 38 communes situées dans 8 départements des quatre régions concernées par cette étude (Diourbel, Kaolack, Fatick, Kaffrine) (Tableau 1). 60 ha ont été emblavés au total dont 12 ha de piment, 22 ha de tomate, 12 ha de gombo et 14 ha d’aubergine. Chaque parcelle est divisée en deux parcelles élémentaires d’égales superficies, une partie qui représente la pratique paysanne (PP) et l’autre la parcelle microdose (MD). Ainsi, la microdose a donc été appliquée sur 30 ha dont 6 ha de piment, 11 ha de tomate, 6 ha de gombo et 7 ha d’aubergine.

Matériel végétal

Les variétés utilisées sont: jaune fort (piment), mongal (tomate), clemson (gombo) et black beauty (aubergine).

Traitements comparés et entretien de la culture

Chaque parcelle est divisée en deux parcelles élémentaires d’égale superficie, une partie qui représente la pratique paysanne (PP) et l’autre la parcelle microdose (MD). Chaque parcelle constitue ainsi une répétition.

-Pratique paysanne (PP): l’agriculteur gère la parcelle en application de ses pratiques habituelles en termes de fertilisation. Les semences et les produits phytosanitaires sont les mêmes que sur la parcelle microdose.

-Microdose (MD): application de 3,5 g NPK (formule 10-10-20) par plant à 7 jours après repiquage ou levée. Un deuxième apport de la même quantité à 40 jours après repiquage ou levée, soit un apport total de 7 g de NPK (10-10-20) par plant durant le cycle de la culture. Pour le piment, la tomate et l’aubergine, avec un écartement de 50 cm x 50 cm cela équivaut à 280 kg NPK/ha. Quant au gombo, avec un écartement de 80 cm x 40 cm, la dose d’engrais NPK apportée est de 219 kg/ha. L’engrais est combiné avec de la fumure organique à la dose de 5 à 10 t/ha.

Après 4 à 6 semaines d’élevage en pépinière, les plants de piment, tomate et aubergine sont repiqués sur les parcelles avec des écartements de 50 cm x 50 cm soit une densité de 40 000 plants/ha. Pour le gombo, le semis direct est effectué à raison de 2-3 grains par poquet avec un écartement de 80 cm x 40 cm soit une densité de 31 250 plants/ha. Un démariage est effectué à raison de 1 plant par poquet à environ 3 semaines après le semis du gombo. Pour l’entretien de la culture, la recommandation concernant le désherbage et la protection phytosanitaire a été appliquée sur toutes les parcelles.

Observation et mesures

Avant la mise en place du dispositif, les parcelles des bénéficiaires ont été géoréférencées et les superficies mesurées à l’aide de GPS (Global Positioning System). Sur chaque parcelle, pour chacun des traitements comparés, les date des différentes opération culturales ont été répertoriées ainsi que les quantités et coûts des intrants utilisés (semence, engrais, produits phyto, fumure organique). De même, les coûts de l’irrigation et de la main d’œuvre pour les opérations culturales (préparation sol, semis, désherbage, épandage engrais, récolte…) ont été estimés à partir des enquêtes auprès des agriculteurs concernés. Les récoltes sur le cycle cultural ont été évalués, ce qui a permis de déterminer la production et le rendement de la culture sur chaque traitement. Les quantités vendues et les prix de vente ont aussi été recueillis pour les besoins du compte d’exploitation.

Analyses statistiques

Les analyses de variance (ANOVA) ont été effectuées avec le logiciel STATISTICA (Stat Soft. Inc. (2007)) pour évaluer l’effet des traitements sur le rendement. Quand un effet significatif d’un facteur a été déterminé, la comparaison des moyennes est effectuée en utilisant le test de Student Newman Keuls avec un seuil de significativité de 5 %.

RÉSULTATS 

Participants au programme de promotion de la technologie MD

Le tableau 2 présente le nombre de personnes ayant participé aux différentes activités de promotion de la technologie microdose sur le maraîchage pendant la campagne de contre saison 2020-2021. Au total, 3 622 personnes, dont 63% de femmes et 15% de jeunes, ont participé aux différentes activités du programme (sensibilisation, formation, visites guidées) dans les régions de Diourbel, Fatick, Kaolack et Kaffrine. Par ailleurs, 67% de femmes et 9% de jeunes ont participé à l’application de la technologie MD sur les cultures maraîchères au niveau de leurs parcelles.

Performances agro-économiques de la microdose

Les rendements des différents spéculations (piment, tomate, gombo et aubergine) en fonction des traitements (PP et MD) sont présentés dans la figure 2. Les performances économiques de la MD sur les différentes ces différentes spéculations sont présentées dans les tableaux 3 à 6.

Sur le piment et la tomate, le rendement ne varie pas significativement entre la MD et la PP même s’il est plus élevé avec la MD. Alors que sur le gombo et l’aubergine, le rendement est significativement plus élevé avec la MD. Le rendement du piment est de 5 936 kg/ha avec la MD contre 4 474 kg/ha avec la PP (Figure 2), soit un gain de rendement de 33% avec la MD.

Une économie d’engrais de 37% et une marge brute de 72% ont été enregistré avec la technologie MD par comparaison à la PP (Tableau 3). Le rendement moyen sous MD de la tomate de 23 773 kg/ha est supérieur à celui obtenu avec la PP de l’ordre de 19 388 kg/ha. La MD permet donc de faire un gain de rendement de 23% par rapport à la PP sur la tomate.

De plus, la MD sur la tomate permet de réaliser une économie d’engrais NPK de 31% et une marge brute de 74% (Tableau 4). Le rendement du gombo est significativement plus élevé avec la MD par comparaison à la PP, avec 17 660 kg/ha et 11 877 kg/ha respectivement, soit un gain de rendement de 49%. Une économie d’engrais de 20% NPK et une marge brute de 128% sur le gombo est aussi enregistré pour le compte de la MD (tableau 5). Comme pour le gombo, la fertilisation par microdose a eu un effet significatif sur le rendement de l’aubergine : 27 348 kg/ha avec la MD contre 19 258 kg/ha pour la PP, soit un gain de rendement de 42%. Une économie d’engrais NPK de 22% et une marge brute de 81% ont été réalisées avec la MD par rapport à la PP (tableau 6). Le coût de la production est cependant plus élevé avec la MD.

DISCUSSION

Cette étude a permis de renforcer les capacités de 2 677 agriculteurs du Bassin arachidier sur la technologie de la microdose (MD) sur les cultures maraîchères et sur les bonnes pratiques agricoles allant de la préparation du sol, en passant par la mise en pépinière, au repiquage ou semis direct, à la fertilisation localisée jusqu’à la récolte. Les visites guidées ont permis le partage d’expérience, en particulier sur la pratique de la microdose, entre producteurs bénéficiaires eux même et aussi avec des non-bénéficiaires du programme de promotion de la technologie MD. Il y a une forte implication des femmes (63%) aux différentes activités du programme de promotion de la technologie MD sur le maraîchage.

La technologie de la microdose, malgré l’utilisation moindre d’engrais a enregistré des rendements avantageux par rapport à la pratique paysanne sur les spéculations utilisées (piment, tomate, gombo, aubergine), avec des gains de rendements de 23 à 49% et des marges brutes de 72 à 128%. Cela pourrait être lié à l’apport localisé de l’engrais en combinaison avec de la fumure organique, ce qui réduit les risques de pertes de nutriments et permet une meilleure efficience de l’engrais comme rapporté par la FAO (2012).

Les rendements en piment (5 936 kg/ha) et tomate (23 773 kg/ha) avec la MD sont faibles comparés aux valeurs de 6 000 à 20 000 kg/ha et 35 000 à 45 000 kg/ha respectivement rapportées par Tropicasem (spécialisée dans la sélection et la production de semences maraîchères tropicales) pour les mêmes variétés utilisées (Tropiculture, 2017). Il y a donc une marge à gagner avec la technologie sur le piment et la tomate. Cependant, la valeur que nous avons obtenu sur le piment est légèrement supérieur au rendement (4 800 kg/ha) de la spéculation au niveau national avec la MD (IFDC, 2021). Le rendement (27 348 kg/ha) de l’aubergine obtenu avec la MD se situe dans la gamme de 20 000 à 30 000 kg/ha rapportée par Tropicasem pour la même variété black beauty (Tropiculture, 2017). Cependant, ce rendement de l’aubergine dépasse largement la valeur (7 200 kg/ha) obtenu au niveau national avec la MD (IFDC, 2021). Le rendement du gombo (17 660 kg/ha) avec la MD est supérieur à la gamme de 8000 à 10 000 kg/ha indiquée toujours par Tropicasem pour la variété utilisée clemson (Tropiculture, 2017). De même, ce rendement du gombo est de loin supérieur à la valeur de 7 800 kg/ha obtenu au niveau national avec la MD (IFDC, 2021).

Par ailleurs, le coût de la production plus élevé avec la MD s’explique par les charges importantes de la main d’œuvre et particulièrement de l’application manuelle de l’engrais avec cette technologie. Ainsi, il convient d’améliorer le mode d’application de l’engrais avec la technologie MD à travers la mécanisation (applicateurs), ce qui pourrait réduire la charge de travail.

CONCLUSION

Cette étude qui rentre dans le cadre du programme de promotion de la technologie de la microdose au Sénégal et particulièrement dans le Bassin Arachidier a permis de renforcer la capacité des producteurs sur l’application de la technologie sur le maraîchage et les bonnes pratiques agricoles. La technologie MD s’est bien comportée sur les cultures maraîchères que nous avons utilisée dans le cadre de cette étude (piment, tomate, gombo, aubergine) avec des rendements avantageux par rapport à la pratique paysanne. Elle permet de faire une économie d’engrais et une marge brute positive.

Toutefois, des contraintes doivent être levées pour une meilleure performance de la technologie MD dans la zone d’étude. Il s’agit entre autres de l’accès à l’eau et un bon système d’irrigation, l’accès à la fumure organique de qualité et en quantité suffisante, de la mécanisation de l’application localisée de l’engrais.

En guise de perspective, il est nécessaire de reconduire le dispositif expérimental pour une deuxième année afin d’apprécier les résultats obtenus lors de cette première année et formuler des recommandations.

RÉFÉRENCES

Chia E., Dugué P., Sakho-Jimbira S. (2006). Les exploitations agricoles familiales sont-elles des institutions ? Cahiers Agricultures, 15: 498-505.

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IFDC (2021). Feed The Future Senegal Dundël Suuf Project. 2021 Annual report. 33 p.

Ndiaye A. (2013). L’agriculture sénégalaise de 1958 à 2012. Analyse systémique et prospective. 224 p.

Ngom Y., Touré K., Fall O., Faye A. (2015). Études de la commercialisation des produits horticoles dans les régions de Thiès, Diourbel et Fatick: offre, demande, configuration des marchés et analyse économique et financière de la production et de la commercialisation. Rapport Papsen, 88 p.

Ricome A., Affholder F., Gérard F., Muller B., Poeydebat C., Quirion P., Sall M. (2017). Are subsidies to weather-index insurance the best use of public funds? A bio-economic farm model applied to the Senegalese groundnut basin. Agric. Syst., 156: 149-176.

Robbiati G., Faye A., Ngom Y., Ngom M., Valori F. (2013). Exploitations horticoles avec irrigation goutte-à-goutte dans le Bassin Arachidier. Rapport Papsen, 5: 27p.

Tropiculture (2017). Nouvelles et nouveautés: la variété d’aubergine européenne F1 African Black Beauty. Mensuel Technique-Edition Tropicasem, 253: 8p.

Zucchini E., Faye A., Ngom Y., Diémé R. (2016). Analyse de la durabilité des exploitations maraîchères dans le Bassin Arachidier à travers la méthode IDEA. Rapport Papsen, 26: 38p.