Résumé

Les truffes constituent au Maroc une ressource naturelle importante pour l’économie rurale et peuvent jouer un rôle important dans l’allégement de la pression sur les ressources forestières et pastorales. Cependant, on note un manque de connaissance de leur répartition géographique et moins encore de leur productivité. Une analyse documentaire, des prospections de terrain, des interviews et des ateliers avec des personnes ressources et des gestionnaires forestiers et d’agriculture à l’échelle du pays ont permis la réalisation d’un inventaire des espèces existantes, de leurs cartes de répartition géographique et de productivité. Le Maroc compte une dizaine d’espèces des truffes de désert des genres Terfezia, Tirmania, Delastria, Picoa et Tuber, répandues dans quatre principales zones trufficoles : la région Nord-Est, la forêt de la Maâmora, le Sahel Doukkala-Abda et le Sahara marocain. Les productivités sont variables entre les zones et à l’intérieur des zones. Elles sont influencées par la nature des sols et la répartition des précipitations.  Les résultats obtenus sous forme cartographique, une carte de répartition géographique des truffes et une carte de productivité, constituent un premier pas vers la connaissance du potentiel truffier et l’amélioration de la prise de décision pour la valorisation des truffes marocaines.


Mots-clés : Truffes, Truffes du désert, Zones trufficoles, Oriental, Maâmora, Sahel Doukkala-Abda, Sahara, Maroc truffier

INTRODUCTION 

Le Maroc, par sa position géographique particulière au nord-ouest de l’Afrique et au sud du détroit de Gibraltar, dispose d’une richesse importante en ressources naturelles, notamment végétales. Cette richesse offre diverses opportunités pour le développement socio-économique des zones rurales marocaines et pour l’amélioration du niveau de vie des populations locales. Ces ressources naturelles constituent des éléments fondamentaux pour l’augmentation des revenus des paysans et pour la création de l’emploi dans ces milieux fragiles et vulnérables. A ce sujet, les truffes du désert qui présentent un potentiel important incitant ainsi les décideurs à les classer comme produit de terroir (MAPM, 2011).

L’expression truffe de désert ou «terfès» est utilisée pour désigner les champignons hypogés, saisonniers et comestibles appartenant aux Ascomycètes, qui se développent dans des zones à climats arides et semi-arides de la région méditerranéenne. Elle désigne surtout des espèces des genres Terfezia, Tirmania, Delastria, et Tuber mais également des espèces moins connues tels que les genres Picoa, Mattirolomyces et Loculotuber (Alsheikh,1994; Khabar et al., 2001; Morte et al., 2008; Rodriguez, 2008; Trappe et al., 2008).

La production naturelle des truffes du désert dépend d’une association symbiotique établie avec les racines de plantes hôtes appropriées généralement des Cistacées annuelles et/ou pérennes, principalement du genre Helianthemum (Dexheimer et al., 1985; Fortas et Chevalier, 1992; Diez et al., 2002; Bouziani et al., 2010; Laessoe et Hansen, 2007; Bradai et al., 2013; Bermaki et al., 2017; Khabar, 2016). L’association entre ces plantes et leurs mycètes peut jouer un rôle majeur dans le maintien des arbustes méditerranéens et prairies xérophytes, et donc dans la prévention de l’érosion et de la désertification (Diez et al., 2002).

Les truffes du désert sont une source naturelle de plusieurs composants chimiques tels que les protéines, les acides aminés, les vitamines, les composés aromatiques, les stérols, terpènes, acides gras, minéraux et glucides (Bawadekji et al., 2016). Elles sont utilisées depuis longtemps comme source de nourriture, comme délice alimentaire et comme ressource d’urgence en période de carence alimentaire par les nomades du Sahara et du Moyen-Orient (Volpato et al., 2013; Bouatia et al., 2018).

Quatre grandes zones ont été désignées comme étant trufficoles au Maroc, il s’agit de l’Oriental, la forêt de la Maâmora, le sahel de Abda-Doukkala et le Sahara marocain. (Abourouh, 2011; Khabar, 2016). A côté des truffes de désert, le Maroc connaît aussi la production des truffes appelées «vraies truffes» appartenant au genre Tuber et associées aux racines du chêne vert, et ce, selon deux types, spontanés et cultivés (Khabar, 2016; Abourouh, 2020; Laqbaqbi, 2020).

Les objectifs de ce travail sont:

• Connaître et préciser les espèces des truffes existantes au Maroc;

• Améliorer et préciser la connaissance de l’aire géographique des truffes dans le royaume du Maroc en vue de produire leur carte de répartition; et

• Évaluer et spatialiser leurs productivités.

MATÉRIELS ET MÉTHODES 

Pour atteindre les objectifs assignés à cette étude, on a eu recours à une méthodologie basée sur trois phases principales. La première a consisté en une analyse documentaire aussi exhaustive que possible ayant pour objectif de réaliser un inventaire des espèces des truffes existantes au Maroc, tout en étudiant leurs aspects écologiques. Les documents utilisés sont de diverses natures: livres sur les truffes, rapports de projets de développement, documents universitaires (thèses, masters) et papiers scientifiques.

Dans une deuxième phase, un questionnaire a été envoyé aux gestionnaires des eaux et forêts partout au Maroc, ayant pour but de collecter des informations sur les différents aspects des truffes (identification des espèces, lieux et conditions de production, gestion de la filière, …). Les réponses obtenues ont conduit à l’organisation d’ateliers autour des cartes topographiques au 100 000ème et au 250 000ème, et ce, afin de délimiter les aires de production des truffes. Ces deux phases ont permis l’élaboration de cartes préliminaires de répartition des truffes par régions truffières.

Une troisième phase de prospection de terrain a été indispensable pour vérifier ces cartes et les compléter. La prospection de terrain a été effectuée dans les régions géographiques connues par leurs productions importantes des truffes à savoir la forêt de la Maâmora, le Sahel de Doukkala-Abda, la région de l’Oriental et le Sahara marocain. Des sorties de terrain ont été organisées depuis mars 2020 jusqu’à Août 2021. Durant cette phase de terrain on a travaillé sur la connaissance et l’évaluation de la ressource: répartition spatiale des espèces des truffes existantes dans ces régions, la relation avec les facteurs du milieu (précipitations, sols, végétations), les effets du changement climatiques et la durabilité de la ressource. Ce volet a été réalisé à travers des:

• Interviews avec les gestionnaires des ressources: cadres et responsables des eaux et forêts et de l’agriculture;

• Ateliers avec les présidents des coopératives de truffes actuellement actives;

• Enquêtes et ateliers avec des collecteurs, chez eux et sur le terrain de collecte, pour évaluer les niveaux de productivité des sites et préciser les espèces;

• Enquêtes avec différentes sortes d’intermédiaires, grossistes et exportateurs;

• Participation à la collecte pour apprendre de près tout ce qui concerne ce savoir-faire particulier et pour pouvoir observer l’habitat favorable de la truffe (types de sol, plantes hôtes).

RÉSULTATS ET DISCUSSION 

Les truffes du Maroc et leur répartition géographique

Espèces existantes

Au Maroc, on compte une dizaine d’espèces de truffes du désert connues sous le nom arabe de «terfès» (Tableau 1). Elles sont réparties sur le territoire marocain et constituent une source d’activité économique importante lors de la saison de production. D’autre espèces du genre Tuber, dites les vraies truffes, généralement de couleur sombre, ont été aussi signalées, mais leur production n’est pas régulière et elles ne sont pas abondantes (Malençon, 1973).

La différenciation entre les espèces se fait sur la base de la couleur, la forme, la taille, la consistance et la texture des ascocarpes, la plante hôte et les conditions climatiques et édaphiques dans lesquelles elles se développent. L’analyse moléculaire reste le facteur déterminant de distinction entre les espèces, vu que plusieurs d’entre elles partagent des caractéristiques de forme et d’habitat qui se ressemblent.

Ainsi, durant toute l’histoire de la truffe, des espèces ont été confondues pendant longtemps et seules les analyses ont montré qu’il s’agit d’espèces distinctes. C’est le cas de Tuber asa et Tuber gennadii qui partagent des habitats similaires et coexistent dans les mêmes endroits, à quelques centimètres près, mais qui sont deux espèces morphologiquement très différent (Kaounas et Agnello, 2011). On note aussi le cas de T. olbiensis qui a été considérée comme une forme immature de Terfezea leptoderma et traitée comme synonyme par plusieurs auteurs. L’analyse moléculaire a montré plusieurs distinctions entre les deux espèces, auxquelles s’ajoute le fait que T. olbiensis est associé aux arbres et non aux plantes Cistacées comme Terfezea leptoderma (Bordallo et Rodríguez, 2014).

Pour d’autres, les analyses ont montré qu’il s’agit de la même espèce alors qu’elles étaient considérées souvent comme deux espèces différentes. C’est le cas de Tuber aestivum et Tuber uncinatum (appelée truffes d’été et truffes de Bourgeonne respectivement), que les analyses moléculaires n’ont montré aucune différence et ont conduit donc à ne considérer qu’une seule espèce avec des différences éco-physiologiques, vu que, Tuber uncinatum pousse toujours dans des endroits ombragés alors que Tuber aestivum généralement dans des endroits ensoleillés. Les différences de goût, d’odeur et de morphologie des spores sont dues à des facteurs écologiques (Rodriguez, 2008; Olivier et al., 2018).

Aires de répartition des truffes au Maroc

La production des truffes concerne de grandes étendues du territoire marocain du Nord au Sud. Les espèces rencontrées ainsi que leurs productivités sont intimement liées aux conditions écologiques de ces régions (climats, sols, végétations naturelles). L’analyse documentaire, les interviews et ateliers avec les personnes ressources ainsi que les observations de terrain nous permettent de distinguer quatre principales zones trufficoles au Maroc (Figure 1).

La forêt de la Maâmora

elle est située sur la façade atlantique au Nord-Ouest du Royaume, sur la meseta côtière, entre les villes de Salé et Kénitra. Elle est limitée au Nord par la plaine du Gharb et au Sud par la vallée du Bouregreg et les contreforts du plateau central. Le relief est plat dans la zone ouest et ondulé dans la zone orientale. Du point de vue géologique, la Maâmora est une vaste plate-forme quaternaire. Elle constitue une séparation géomorphologique entre, au nord, la plaine du Gharb sédimentaire et argileuse liée au fonctionnement de l’oued Sebou drainant le Rif et le Pré-Rif schisteux/marneux et la plaine de la Chaouia, plutôt ancienne et issue du fonctionnement de plusieurs affluents de l’oued Oum Roubia et des oueds atlantiques drainant les eaux du Moyen Atlas calcaire et dolomitique (Motib et Al Karkouri, 2020).

La Maâmora est constituée en surface de dépôts éoliens sableux récents sur un plancher argileux ondulé, d’épaisseur et de profondeur variables. Les sols sont sableux, profonds, acides (pH = 6,5) et pauvres en matière organique (1%). La profondeur du plancher argileux détermine le bilan hydrique en surface et par conséquent la formation des « dayas » (marres) et le développement de la végétation (Watfeh, 1993; Nafaa, 2002). Le climat est subhumide à l’ouest (température modérée, forte hydrométrie) et semi-aride à l’est (période sèche plus longue). La végétation est constituée essentiellement de chêne liège avec des plantations de pins, d’Acacia et d’Eucalyptus introduits pour répondre aux besoins en bois de service (Benabid, 2000; Aafi et al., 2005).

La Maâmora joue le rôle de «truffier» pour 5 principales espèces: sous chêne liège clair et dans les vides, 3 espèces sont associées avec Helianthemum guttatum comme plante hôte (Hélianthème à gouttes) qui sont Terfezia arenaria, Terfezea leptoderma et Tuber asa et 2 espèces qui sont associées au Pinus pinaster var. atlantica reboisé et qui sont Tuber oligospermum et Delastria rosea (Chatin, 1896; Malençon, 1973; Alsheikh, 1994; Khabar, 2016; Abourouh, 2011 et 2020; Hakkou, 2018). Deux autres espèces ont été mentionnées dans la forêt de la Maâmora mais qui ne sont pas aussi bien connues et répandues. Il s’agit de Tuber gennadii associé à le H. guttatum et T. Borchii Var. sphaerosperma associée aux pins d’Alep (Pinus halepensis) et aux pins pignon (Pinus pinea) (Malençon, 1973; Khabar, 2016; Abourouh, 2020).

Le Sahel Doukkala-Abda

Le Sahel se situe sur la bordure occidentale de la Meseta marocaine comprise entre les latitudes 32°15’ et 33°15’ et entre les longitudes ouest 7°55’ et 9°15’. L’altitude varie de 15 m à Safi au Sud à 185 m à Sidi Bennour à l’Est. Le Sahel se présente comme une bande de 25 à 30 km de largeur et de 110 km de longueur couvrant la façade littorale du bassin hydrogéologique entre Safi et El Jadida. Sa surface est inclinée vers le Nord-Ouest. C’est un pays de dunes consolidées, allongées en longues crêtes parallèles au rivage.

Dans ce secteur, une étroite frange côtière sous forme de gouttières de quelques kilomètres de large contraste avec le reste du Sahel, c’est l’Oulja. Elle correspond à la plateforme d’abrasion de la mer «Ouljienne» et est bordée à l’Est par une importante falaise morte et est protégée de l’océan par un cordon dunaire (Ferre, 1969; Tellal, 1989; El Achheb, 2002).

Le domaine du Sahel-Doukkala comprend deux entités géologiques distinctes, le socle d’âge précambrien et paléozoïque alors que la couverture est formée par des terrains secondaires, tertiaires et quaternaires. Il constitue par sa morphologie une barrière naturelle qui empêche tout écoulement superficiel vers l’océan. Les eaux des pluies sont collectées dans des dépressions interdunaires ou d’origine karstique. Ces eaux sont ensuite évaporées ou percolent vers la nappe. Il est constitué de plateaux de parcours du domaine atlantique des tribus Doukkala et Abda. Le climat est semi-aride à aride. On note un gradient pluviométrique d’ouest en est et du nord vers le sud, avec 396 mm/an à El Jadida, 330 mm/an à Safi et 270 mm/an à Boulaouan. Les sols sont calcaires (affleurement de la dalle calcaire) (Bammi et al., 2014).

L’analyse documentaire montre que l’espèce de truffe existante est Terfezea boudieri. Elle est associée avec H. lipii var. sessiliflorum et H. ledifolium dans la plaine d’Abda dans la région de «Had Hrara» située à l’Est de la ville de Safi (Abourouh, 2011; Khabar, 2016). En outre, et selon nos observations de terrain en février 2021, on a pu voir une deuxième espèce, il s’agit de Tirmania pinoyi. Les collecteurs nous ont confirmés la présence d’une troisième espèce qui correspond à Tuber Oligospermum. Cette dernière se rencontre dans la forêt de Sidi M’Sahel à Had Hrara sous les reboisements de pin d’Alep. Ces deux espèces ont été trouvées et mentionnées aussi dans la région de Safi en 2005 par Lécuru (2005). Les truffes se répartissent sur presque tout le Sahel.

La région Nord-Est

La région comprend les Hauts Plateaux et les plaines pastorales de l’Oriental, la Haute Moulouya et une partie du Tafilalet. Elle s’étend sur plus de cinq millions d’hectares. Elle se caractérise par une diversité de climat, de sol et de végétation. Toutefois, les types de physionomie végétale sont limités: steppes d’alfa, steppes d’armoises, steppes à touffes végétales, boisements et terres arbustives (Mejdoubi et al., 2021).

Le gradient bioclimatique va du climat subhumide dans la zone de Debdou dans le Nord, au climat saharien dans le Sud (Bouaarfa 160 mm) et dans la vallée de la Moulouya à l’Ouest (Outat El Haj 157 mm). Le bioclimat aride avec des hivers froids (de 200 à 350 mm de précipitations annuelles) prévaut cependant dans la plupart de la zone. Les sols dominants sont les lithosols et les régosols, calcaires, de textures limoneuses à limono sableuses et peu profond. Mais on trouve aussi des sols bruns de la steppe et des sols halomorphes. L’élevage s’appuie tout d’abord sur les ovins, puis sur les caprins. Les bovins ont quelque peu augmenté au cours des vingt dernières années mais restent d’une importance limitée (Mahyou et al., 2010; El Koudrim, 2013).

La région est connue par la production de 5 espèces de truffes dont trois sont les plus répandues et qui sont Tirmania pinoyi et Tirmania nivea associées à le H. hirtum et T. claveryi associée à H. lipii. Les deux autres espèces, sont rares et se produisent dans des sites précis et non pas dans toute la zone. Elles sont Terfezea boudieri associée à H. lipii var. sessiliflorum et H. ledifolium et Picoa juniperi associées à H. lipii (Malençon,1973; Alsheikh, 1994; Serrhini et al.,1995; El Aji, 1999; Bouziani, 2009; Hakkou et al., 2021).

Deux autres espèces moins connues dans la région, ont été rencontrées en 2013. Il s’agit de T. Olbiensis dans la forêt de Beni Yaala à Jerada sous Pinus halepensis et Terfezea leptoderma collectée à Ain Béni Mathar associée à Helianthemum sp (El Akil et al., 2016).

Les truffes se répartissent sur presque toute la région Nord-Est. Elles s’étalent sur de vastes étendus d’Oujda comme limite Nord à Figuig comme limite Sud-Est et de la frontière algéro-marocaine à l’Est jusqu’à la province d’Errachidia au Sud. Et depuis Guercif au Nord-Ouest à la Haute Moulouya à l’Ouest.

La région connaît aussi une expérience de culture de la truffe noire Tuber Melanosporum par le Docteur Abdelaziz Laqbaqbi dans sa ferme à Debdou depuis l’an 2000. Des plants inoculés de chêne vert ont été importés de France et plantés dans une vallée semi-aride et sur sol calcaire. La truffe est cultivée dans des cuvettes autour des arbres taillés en têtards.

Le Sahara marocain

Situé au Sud du pays, le Sahara marocain est une grande étendue (46,5 millions ha) caractérisée par un climat typiquement saharien (précipitations en moyenne 50 mm/an), des sols calcaires, limoneux et peu profonds et une végétation steppique pastorales peu dense (Bergier et al., 2013; Sabir, 2020). Cependant, la zone présente une assez grande diversité d’écosystèmes, due à l’ampleur de la zone et aux variations géographiques (wadis, regs, hamadas, sebkhas, dunes) (Ozenda, 1977; Benabid et Fennane, 1994). Cette diversité constitue la base des activités d’élevage, notamment pour les camelins, habitués à faire bon usage des différentes plantes sur de longs parcours.

Les enquêtes et les observations de terrain ont confirmé les indications de Khabar (2016) que la zone est connue par la production de 2 espèces: Tirmania pinoyi et Tirmania nivea associées à Helianthemum hirtum, H. lipii, H. ledifolium et H. apertum. Les observations de terrain ont montré que deux autres espèces de truffes sont aussi présentes dont le Sud du pays et qui sont T. claveryi et Picoa juniperi associées à Helianthemum lipii.

Autres zones productrices de truffes

La production des truffes au Maroc ne se limite pas à ces quatre grandes régions. En effet, d’autres zones de surfaces limitées et éparpillées sur le territoire national sont aussi productrices de truffes dont les productions sont rares et irrégulières selon les conditions climatiques. La quantité et la répartition des précipitations sont déterminantes pour la production des truffes.

Le Moyen Atlas est l’une de ces zones dont les forêts de chêne vert abritent des truffes appartenant à celles appelées «les vraies truffes» du genre Tuber. Les espèces existantes sont Tuber excavatum, Tuber brumale, Tuber rufum et Tuber uncinatum/aestivum récoltées en novembre 1960 et en mai 2014 (Malençon, 1973; Khabar, 2016). La zone connait aussi une expérience de la culture de Tuber Melanosporum sous chêne vert à Imouzzer du Kandar depuis 2008 (Laqbaqbi, 2020).

Nos enquêtes viennent confirmer les observations de plusieurs auteurs, entre autres Chatin (1896), Malençon (1973), Serrhini et al. (1995) et Khabar (2016), que les truffes existent aussi dans les régions du Tangérois (Tanger), Loukkous (Larache), Souss (Agadir), Drâa (Ouarzazate) et les plantations de la ceinture verte au Sud de Rabat. Ces zones sont peu connues par ce que les productions sont sporadiques et occasionnelles.

État de la productivité des truffes au Maroc

La productivité des truffes varie d’une région trufficole à l’autre, en relation avec plusieurs facteurs, dont principalement le type de sol et les précipitations annuelles qui déterminent le développement des plantes hôtes. Les observations et les enquêtes de terrain ont montré que cette productivité est intimement liée à la pluviométrie et sa répartition. Les pluies de fin été-début automne et celles hivernales sont déterminantes pour une bonne production. La productivité varie aussi à l’intérieur de la même région, où certaines zones sont très productives tandis que d’autres le sont moyennement ou rarement. Les enquêtes et les ateliers avec les personnes ressources et les collecteurs des truffes ont permis de classer, d’une manière relative, les zones en trois classes (Figure 2):

Fortement productive: la période de production s’étale sur tout le cycle des truffes (3 à 4 mois), les collecteurs estiment qu’ils ramassent des quantités importantes, le commerce des truffes est très développé durant la saison des truffes;

Moyennement productive: les truffes sont présentes durant une période moins longue (2 à 3 mois), les quantités ramassées sont moins importantes et le marché est moyennement développé;

Faiblement productive: sporadiquement les truffes se produisent dans la région, très irrégulières entre les années, les quantités ramassées sont très faibles, le commerce n’est pas intéressant et les truffes sont autoconsommées.

Les zones fortement productives au niveau du pays sont la forêt de la Maâmora, la partie Nord de la région Nord-Est, la partie Nord du Sahel Doukkala-Abda et le centre du Sahara marocain. Les zones moyennement productives sont la partie Sud du Sahel Doukkala-Abda, le centre et l’extrême Sud de la région Nord-Est et la partie Nord-Ouest du Sahara. La productivité devient de plus en plus faible en allant vers l’Ouest dans la région Nord-Est et vers l’Est et l’extrême Sud du Sahara marocain.

L’analyse des données recueillies indique que la production des truffes dans le Royaume du Maroc a connu ces dernières années une baisse remarquable, due à la succession des années de sécheresse, surtout dans la région du Nord-Est et dans le Sud et Sahara marocain. Cela montre que cette ressource est fortement vulnérable au changement climatique et qu’elle suit les variations inter et intra-annuelles des précipitations dans les zones trufficoles.

CONCLUSION 

Le Maroc est parmi les pays les plus connus par la production des truffes dites du désert. Ainsi, on compte une dizaine d’espèces des genres Terfezia, Tirmania, Delastria, Picoa et Tuber qui se différencient par la couleur, la forme, la plante hôte, les condition climatiques et édaphiques et la zone de production. D’autre espèces du genre Tuber, dites les vraies truffes, généralement de couleur sombre, ont été aussi signalées, mais leur production n’est pas régulière et elles ne sont pas abondantes.

La production des truffes concerne quatre principales zones trufficoles du Royaume:

La forêt de la Maâmora connue par la production de 5 principales espèces, Terfezea arenaria, Terfezea leptoderma, Tuber asa, Tuber oligospermum et Delastria rosea ;

Le Sahel Doukkala-Abda connu par la production de Terfezea boudieri, Tirmania pinoyi et de Tuber Oligospermum ;

La région Nord-Est connue par la production de 5 espèces, Tirmania Pinoyi, Tirmania nivea, Terfezia claveryi, Terfezea boudieri et Picoa juniperi. Une expérience de culture de la truffe noire, Tuber Melanosporum, y a été introduite par le Docteur Abdelaziz Laqbaqbi dans sa ferme à Debdou depuis l’an 2000;

Le Sahara marocain connu par la production Tirmania pinoyi, Tirmania nivea, Terfezia claveryi et Picoa juniperi.

Pour les «vraies truffes» du genre Tuber, elles ont été récoltées dans les forêts de chêne vert dans le Moyen Atlas et les espèces existantes sont Tuber excavatum, Tuber brumale, Tuber rufum et Tuber uncinatum (/Tuber aestivum) récoltés en novembre 1960 par Malençon et en Mai 2014 par Laqbaqbi. La zone connaît aussi un essai de culture de Tuber Melanosporum par le Docteur Laqbaqbi à Imouzzer du Kandar depuis l’an 2008.

La connaissance des espèces des truffes existantes au Maroc, ainsi que leur répartition géographique précise et leur productivité peuvent contribuer à leur valorisation. En ce sens, les cartes produites de leur répartition spatiale et de leur productivité sont des outils qui vont aider à la prise de décision.

REMERCIEMENTS

Les auteurs tiennent à remercier (1) tous les ingénieurs, cadres et techniciens forestiers des zones trufficoles du Royaume du Maroc qui ont facilité la réalisation de cette étude par leurs participations directes et par la mobilisation des acteurs, (2) l’Union des associations pastorales de l’Oriental, (3) la coopérative «Ahl Baganna de Laâyoune» pour leur appui aux ateliers et (3) l'École Nationale Forestière d’Ingénieurs d’avoir assuré aimablement la logistique.

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