Résumé

Dans l’objectif de recenser les différents usages et d’étudier l’importance socio-économique du Beilschmiedia mannii (cèdre épicée), une enquête ethno-botanique a été réalisée dans la commune d’Avrankou au Bénin. Ainsi cent quatorze personnes ont été aléatoirement choisies et réparties en 5 groupes ethniques (Tori, Gun, Yoruba, Fon et Adjarra) dont 56% de femmes et 44% d’hommes suivant 3 classes d’âge à savoir 15% de jeunes, 56% d’adultes et 29% de vieux et la plupart sont les Toris (55%) et les Guns (32%). Cette étude a montré 5 catégories d’usage pour l’espèce à savoir: l’alimentation, la médecine, le commerce, l’énergie et l’usage magico-religieux. L’alimentation est l’usage à haute importance pour les enquêtés et les fruits et graines sont les organes les plus utilisés avec une valeur d’usage totale (VUT) égale à 6,97. Les femmes l’utilisent essentiellement à des fins alimentaires et commerciales. Les hommes l’utilisent le plus souvent en médecine mais ils ont aussi connaissance des autres formes d’usage. Toutefois, l’espèce est menacée d’extinction dans la zone et des études approfondies sur cette dernière pourraient permettre sa domestication et promouvoir sa valorisation.


Mots clés: Beilschmiedia mannii, cèdre épicé, enquête ethno-botanique, conservation, Avrankou, Bénin

INTRODUCTION

Les forêts tropicales constituent une source et un réservoir potentiel de produits alimentaires (Codjia et al., 2003) et les plantes de par leurs fonctions alimentaires et sanitaires représentent des ressources naturelles très importantes pour l’homme (Dupriez et de Leener, 1993). Elles contribuent également de façon significative à l’économie nationale dans beaucoup de pays (Bonou, 2008). Toutefois durant ce dernier siècle, bon nombre d’espèces sont en voie de disparition ou deviennent presque rares en raison de la forte anthropisation à laquelle elles sont sujettes (Djaha et Gnahoua, 2014). Il importe de considérer les connaissances des populations sur ces espèces afin d’envisager leur préservation et encourager leur valorisation et domestication (Djaha et Gnahoua, 2014). Cependant, bien que des stratégies nationales de conservation des ressources biologiques existent, la priorité a pendant longtemps été accordée à la composante bois, dont principalement le bois d‘œuvre (Dossou et al., 2012).

Au Bénin les formations végétales regorgent de nombreux produits alimentaires mais peu de recherches sont effectuées sur les espèces à potentialités tant économiques et agro-forestières ce qui fait qu’elles ne sont pas promues (Mensah Ekué, 2003). Selon la FAO (2010), la disposition d’informations fiables sur l’état des ressources forestières, le matériel sur pied, les produits forestiers ligneux est essentielle pour les processus de décision des politiques et des programmes forestiers ainsi que du développement durable. Ainsi, ces dernières décennies plusieurs études ont été enclenchées sur l’importance socio-économiques et culturelles de plusieurs plantes locales (Fandohan et al., 2010; Gouwakinnou et al.,2011; Dossou et al., 2012; Lougbegnon et al., 2015; Wédjangnon et al., 2016; Assogba et al.,2017; Lawin et al., 2019). Bien qu’il y ait eu déjà ces travaux, il existe encore des espèces d’intérêt comme le Beilschmiedia mannii qui n’ont pas encore bénéficié de recherches au Bénin.

De la famille des lauracées, Beilschmiedia mannii est une plante alimentaire spontanée mucilagineuse (Assi et al., 2017) qui fait partie du groupe des plantes forestières produisant des produits forestiers non ligneux. Le fruit de cette plante spontanée riche en protéines présente des particularités d’un grand intérêt nutritionnel et est une ressource alimentaire importante (Théodore et al., 2019). C’est une culture protéique populaire, couramment vendue dans les marchés de l’Afrique de l’Ouest (Sahoré et al., 2017). Elle est consommée dans certaines régions du Bénin et l’objectif de notre travail est de faire ressortir les potentialités socio-économiques et culturelles de cette espèce afin de promouvoir sa valorisation à travers une étude ethno-botanique et son état de conservation dans la Commune d’Avrankou qui fait partie des milieux dans lesquels elle est retrouvée.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Milieu d’étude

La présente étude a été réalisée dans la Commune d’Avrankou située au Sud–Est du Bénin dans le Département de l’Ouémé. Elle est limitée au Nord par la Commune de Sakété, au Sud par les Communes d’Adjarra et de Porto Novo, à l’Est par la Commune d’Ifangni et la République Fédérale du Nigéria, à l’Ouest par la Commune d’Akpro Missérété. Elle couvre une superficie de 150 km² (atlas monographique, 1992) et est subdivisée en sept (7) arrondissements et 52 villages et quartiers de ville (Figure 1). Elle est caractérisée par un climat de type soudano-guinéen avec une pluviométrie moyenne annuelle comprise entre 1400 et 1500 mm. Sa végétation est caractérisée par de nombreux îlots forestiers et aussi une mosaïque de cultures et de jachères, de palmeraies et de plantations des essences à croissance rapide (Eucalyptus camaldulensis, Acacia auriculiformis). Il existe également une formation marécageuse de 16 km² constituant des frontières naturelles entre Avrankou et les Communes d’Akpro Missérété, d’Adjarra et celle d’Ifangni. Celle-ci est composée de raphia (Raphia hookeri, Raphia vinifera), de Ficus congensis, de Cyperus papyrus etc. (Afrique Conseil, 2006). Selon les données du recensement général de la population et de l’habitation (RGPH4) de 2013, la population de la Commune est de 128 050 habitants dont 65 752 femmes et 64 298 hommes. Les ethnies les plus dominantes sont le Tori, le Gun et le Yoruba (INSAE, 2016).

Matériel végétal

Beilschmiedia mannii (lauraceae) est une essence d’ombre, qui pousse généralement dans la forêt sempervirente primaire et secondaire. En dehors de la forêt sempervirente, on le trouve principalement en ripisylve et en forêt marécageuse (Théodore et al., 2019). C’est un arbuste ou arbre sempervirent de petite à assez grande taille atteignant 35 m de haut dont le fût, rectiligne et cylindrique ou légèrement anguleux et sinueux de diamètre atteignant 100 cm, est dépourvu de branches sur une hauteur atteignant 20 m. Il présente de forts des contreforts étroits jusqu’à 1 m de hauteur. L’écorce (Photo 1a) externe est brun-gris ou brune, souvent avec de grandes écailles et de nombreuses petites lenticelles. L’écorce interne de couleur rouge rosé à brun rosé, virant au brun-rouge par exposition, avec une forte odeur de cèdre. Avec une cime assez étroite, dense, vert foncé, les jeunes rameaux et bourgeons densément poilus, on observe des glandes à huile dans toutes les parties de la plante. Quant aux feuilles (Photo 2b) elles sont alternes ou presque opposées, simples et entières sans stipules avec un pétiole et un limbe oblong-lancéolé à oblong-elliptique ou largement oblancéolé. La base est obtuse à cunéiforme avec un apex aigu à acuminé, nettement plié, papyracé à coriace, glabre. La feuille odorante lorsqu’on l’écrase est pennatinervée avec 6–10 paires de nervures latérales. L’inflorescence (Photo 2c) est une panicule axillaire de 4–15 cm de long avec un pédoncule de 0,5–1,5 cm de long. Les fleurs (Photo 2c) quant à elles sont bisexuées, régulières, petites, verdâtres. Le périanthe en coupe avec des lobes oblongs, arrondis. Les étamines fertiles sont en 3 verticilles et le verticille intérieur est pourvu de 3 glandes, staminodes. Son ovaire est supère avec un ovule. Le fruit (Photo 2 d) est une baie fuselée, souvent légèrement oblique, rouge à maturité, renfermant une seule graine à tégument mince avec des cotylédons épais et coniques. La plantule est à germination hypogée (Nyunaï, 2008).

Échantillonnage et collecte des données

Pour la collecte des données, une enquête exploratoire a d’abord été réalisée avec un effectif 100 personnes prises de façon aléatoire dans les 7 arrondissements de la commune d’Avrankou à raison de 14 personnes par arrondissement excepté les arrondissements de Djomon et d’Avrankou où se fut 15 personnes. Les données issues de cette exploration ont été ensuite introduite dans la formule de Dagnelie (1998) afin de déterminer la taille de notre échantillon d’enquête.

Dans cette formule, n est la taille de l’échantillon considéré, p est la proportion d’enquêtés ayant connaissance de l’espèce et une utilisation d’elle (p= 0,25 à l’issu de l’enquête exploratoire), U1-α/2 est la valeur de la loi normale à la valeur de probabilité 1-α/2 avec α=5%, d est la marge d’erreur de l’estimation fixée à une valeur de 8%. Pour une valeur de probabilité 1-α/2= 0,975, U1-α/2≈1,96. Sur la base de ces hypothèses, la valeur de n obtenue est égale à 112,54 arrondie à 114. Les enquêtés ont été choisis au hasard dans les 7 arrondissements de la Commune et il s’agissait de ceux qui ont réellement connaissance de l’espèce. Les principales questions auxquelles ont été soumises les enquêtés sont relatives aux (i) caractéristiques socio-démographiques, (ii) connaissances des catégories d’utilisation (alimentation, médecine, culture, énergie, religion, commerce), (iii) différents organes utilisés, les modes de préparation, les maladies traitées, (iv) stratégies locales de conservation et à la disponibilité de l’espèce. Le questionnaire utilisé est rédigé en français mais les questions ont été adressées aux enquêtés dans leurs langues locales avec l’aide d’un traducteur natif du milieu.

Traitement et analyse des données

Pour évaluer les utilisations et l’importance de B. mannii suivant les groupes ethniques, différents paramètres ont été calculés. Il s’agit entre autres des taux de réponses et des indices ethnobotaniques à savoir: la fréquence relative de citation (FRC), la valeur consensuelle des types d’utilisation et la valeur d’usage ethno-botanique.

Fréquence relative de citation (Relative frequency of citation, FRC)

Elle se réfère au nombre de fois que les enquêtés d’un groupe social ont cité un usage donné, rapporté au nombre total d’enquêtés de ce groupe (Dossou et al., 2012; Honfo et al., 2015):

où FRC est la fréquence relative de citation exprimée en pourcentage; n le nombre d’enquêtés ayant cité un usage donné de B. mannii; N le nombre total d’enquêtés.

La FRC a permis d’ordonner les catégories d’usages de B. mannii. Des valeurs élevées de la FRC pour un usage spécifique traduisent généralement un consensus pour cet usage au sein de la communauté (Assogba et al., 2017).

Afin de voir s’il existe ou pas une relation de dépendance entre les fréquences relatives de citation des différentes catégories d’usage et les caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, ethnie), le test de Chi-2 a été réalisé (Lougbegnon et al., 2015) avec le logiciel Eviews9.

Valeur d’usage (VU) d’un organe

La valeur d’usage de chaque organe a été calculée par groupe ethnique et genre en utilisant la formule suivante:

VU(k) est la valeur d’usage ethno-botanique de l’organe k au sein d’un sous-groupe ethnique, Si est le score d’utilisation attribué par le répondant i et N est le nombre de répondants pour le sous-groupe ethnique considéré. VU(T) est la valeur d’usage ethno-botanique totale de cet organe, p est le nombre de sous-groupe ethnique et de genre. Les scores d’utilisation sont: 0 = organe non utilisé, 1 = organe peu utilisé, 2 = organe moyennement utilisé et 3 = organe très utilisé.

Valeur consensuelle des types d’utilisation (Cs)

Selon Monteiro et al. (2006) et Thomas et al. (2009), cette valeur permet de mesurer le degré de consensus entre les enquêtés par rapport à une utilisation donnée. Elle est comprise entre [-1 et 1]. Elle est donnée par la formule ci-après:

ni est le nombre de personne utilisant B. mannii dans une catégorie d’usage donnée et n le nombre total des interviewés.

Le tableur Excel 2016 a été utilisé a été utilisé pour la saisie et le traitement des données.

RÉSULTATS

Connaissance de B. mannii en fonction du profil socio-démographique des enquêtés

L’espèce B. mannii est aussi bien utilisée par les hommes que par les femmes. Mais le genre féminin est plus représenté (56%) que le genre masculin (44%) (Figure 2a). En ce qui concerne la classe d’âge, les résultats montrent que les adultes (30-59 ans) et les vieux (>59 ans) constituent les classes ayant plus connaissance de l’espèce et de ses usages avec respectivement 56% et 29% comme pourcentage. Quant aux jeunes (16-29 ans), ils sont minoritaires avec un pourcentage de 15% (Figure 2b). Par rapport aux ethnies, les Toris constituent plus de la moitié des personnes utilisatrices de B. mannii (55%), ensuite viennent les Guns avec un pourcentage de 32% puis nous avons les autres ethnies minoritaires qui sont les Yorubas, les Fons et Adjarra avec les proportions respectives de 6%, 4% et 3% (Figure 2d). L’espèce est communément appelée ‘’Adidon’’ en Gun, Tori, Fon et Adjarra.

Catégories d’usage recensées pour B. mannii

Les résultats montrent que l'espèce B. mannii est utilisée dans cinq différentes catégories d’usage. Elle est essentiellement utilisée dans l’alimentation dans les différentes communautés concernées. Cette catégorie d’usage a une fréquence de citation qui fait plus de 50 fois l’usage magico-religieux (1,75%) qui est très minoritaire et 21 fois celles des catégories d’usage médecine et énergie (4,38 % chacune) avec un taux de 93,0%. Elle est aussi commercialisée et son commerce représente la deuxième catégorie d’usage après l’alimentation (20,2%).

Valeur consensuelle des types d’utilisation de B. mannii

Le tableau 1 présente le degré de consensus accordé par les enquêtés à chaque type d’utilisation. L’analyse de ce tableau montre que l’alimentation est toujours en tête comparée aux autres types d’utilisation quel que soit la caractéristique socio-démographique (sexe, âge ou ethnie) considérée. Ces résultats montrent également que même si leurs valeurs consensuelles (Cs) est faible, seuls les hommes Toris adultes et vieux ont connaissance des usages médicinaux de B. mannii. Concernant le commerce, il est exercé essentiellement par les femmes Toris et Guns mais avec un faible degré de consensus (-0,53 en moyenne). Quant aux autres catégories d’usages, leurs valeurs consensuelles sont très faibles prouvant que c’est une minorité de personnes qui ont connaissance de ces types d’usage.

Il résulte des résultats du test de Chi-2 (Tableau 2) que la connaissance des types d’usage de B. mannii varie essentiellement en fonction de l’âge et de l’ethnie des communautés concernées. En effet, les fréquences de citation des catégories d’usage ne dépendent pas du sexe car la probabilité associée à cette statistique est de 0,2676. Par contre, elles dépendent des variables liées à l’âge (p-value=0,0305) et à l’ethnie (p-value= 0,00000).

Valeur d’usage des organes et formes d’utilisation de B. mannii

Les fruits ou les graines de B. mannii sont les organes les plus utilisés (VUT=6,97) que le bois (VUT=1,97) et la racine (VUT=0 ,07) qui sont très peu utilisés dans le milieu. Le fruit et les graines sont utilisés aussi bien dans l’alimentation que dans la médecine et le commerce. Les graines séchées et réduites en poudre sont utilisées comme ingrédients de sauce. Ces graines sont utilisées également en association avec d’autres plantes pour donner la vigueur aux personnes âgées exclusivement. Pour certaines communautés ou collectivités Guns, les graines de B. mannii représentent un élément principal en association avec d’autres ingrédients pour les rituels liés aux obsèques. Le péricarpe du fruit séché réduit en poudre et mélangé avec le miel est utilisé pour lutter contre l’ulcère et la faiblesse sexuelle. La racine en association avec les graines de Xilopia aethiopica en décoction permet guérir les maux de ventre. Concernant le bois, il était utilisé comme combustible par certaines personnes mais compte tenu de la rareté de l’espèce de nos jours, elle n’est presque plus utilisée à cette fin.

État de conservation de l’espèce

B. mannii est une espèce dont la conservation laisse à désirer dans la Commune d’Avrankou malgré que le milieu soit favorable à son développement du fait de la présence de nombreux marécages. Selon les enquêtés, les individus de l’espèce ont été soumis à une forte pression de cueillette car les connaisseurs de l’espèce reconnaissent sa valeur et elle est symbole de richesse selon eux. D’autres individus de l’espèce ont été coupés par la population par ignorance et les quelques rares pieds naturels existants actuellement sont dans des bas-fonds difficilement accessibles. Le fait que les plantes naturelles sont généralement dans l’eau, il se pose un réel problème de régénération naturelle en ce sens que, les graines des fruits mûrs des semenciers tombent dans l’eau et finissent par pourrir. Il en a donc résulté un déclin drastique de la population naturelle de l’espèce voire la disparition complète de ses peuplements au point où, dans toute la Commune seul l’arrondissement de Ouanho abrite encore un peuplement de plus de dix pieds de l’espèce réunis au même endroit. Il existe toutefois des initiatives de domestication qui sont timidement amorcées par environ 5% des enquêtés à travers la plantation de quelques pieds de l’espèce. Certaines personnes possédant encore certains pieds de l’espèce utilisent des artifices de la religion traditionnelle pour essayer de protéger l’espèce en dissuadant les personnes désireuses de récolter les fruits ou d’utiliser les individus sous quelque forme que ce soit.

DISCUSSION

Le présent travail étant le deuxième au Bénin après les travaux de Essou (2019) sur le B. mannii qui rend compte des connaissances et formes d’utilisation de l’espèce dans une de ses zones de répartition. Il montre que parmi les cinq catégories d’usages recensées pour l’espèce, l’alimentation est celle à laquelle le consensus accordé par les utilisateurs est quasiment total et le seul organe consommé est le fruit ou les graines de l’espèce comme dans les travaux de Lougbegnon (2015) sur Chrysophyllum albidum qui ont montré également que le fruit de l’espèce est la seule partie consommée. Cette importance alimentaire dont bénéficie l’espèce pourrait être justifiée par sa valeur nutritive. En effet, B. mannii est une plante protéagineuse qui renferme 42,8% de protéines (Kouamé et al., 2015). Elle est riche en éléments minéraux importants pour l’homme dont le calcium (15,8%) le magnésium (8,5%), le fer (9,2%) et 5,7% de Zinc (Théodore et al., 2019). Selon Sahoré et al. (2017), les huiles des graines de B. mannii contiennent des acides gras insaturés tels que l’acide linoléique (40,6%) et l’acide alpha linoléique (31,2%), qui sont des acides gras importants pour la croissance et l’activité physiologique de tous les tissus. L’acide linoléique est particulièrement essentiel dans le repas des hommes car ils ne peuvent par le synthétiser eux-mêmes. Tout ceci témoigne de l’importance que revêt la consommation des fruits de l’espèce. Mais en raison de la rareté des graines de l’espèce sur le marché, elle est souvent confondue avec Irvingia gabonensis et malgré que la sauce des graines soit plus gluante et plus riche en protéines que celles de Irvingia gabonensis, (42,8% contre 7,39% (Kouamé et al.,2015)), c’est l’Irvingia gabonensis qui est plus consommée car cette dernière est plus disponible. Ce fait peut être expliqué par l’hypothèse de saisonnalité d’Albuquerque (2006) qui stipule que les ressources de prédilection et les plus utilisées sont les ressources localement les plus disponibles.

Nous avons aussi le commerce des fruits et graines qui est une activité exercée par les femmes. Ceci rejoint les travaux de Fandohan et al., (2010) sur le Tamarindus indica et sur le Synsepalum dulcificum (2017), qui ont montré l’implication des femmes dans la commercialisation des fruits de ces essences. Le prix unitaire de la graine s’élève à 50 FCFA et celle de la mesure locale ‘’tongolo’’ varie entre 4000 FCFA et 5000 FCFA directement chez les producteurs puis sont revendus sur les marchés locaux (Essou,2019). Il faut cependant noter que d’autres s’approvisionnent au Nigéria et en Côte d’ivoire. Ces informations montrent clairement les potentialités économiques de l’espèce mais aussi la faible exploitation et promotion dont elle fait objet au Bénin.

Par ailleurs, les connaissances des enquêtés sur les utilisations de l’espèce dépendent seulement des groupes socioculturels et de l’âge contrairement aux travaux d’autres auteurs où les connaissances sur les usages d’autres espèces ont varié aussi en fonction du sexe en plus de l’ethnie et l’âge (Lougbegnon et al.,2015; Wédjangnon et al. ,2016; Lawin et al., 2019). Nos résultats sont toutefois conformes à ceux de Assogbadjo et al. (2011) qui ont montré qu’il n’existe pas de différence significative de connaissances en fonction du sexe sur les usages ethno-botaniques du baobab au Bénin. Une autre remarque est que peu de jeunes ont connaissance de l’espèce et c’est majoritairement les adultes de plus de 40 ans et les vieux qui ont le plus connaissance. Ceci peut être dû à la rareté de l’espèce dans le milieu de nos jours. D’autre part, ce sont exclusivement les hommes et en plus une minorité qui ont connaissance des propriétés médicinales de B. mannii comme dans les travaux de Lougbegnon et al. (2015) sur Chrysophyllum albidum. Dans les études de Essou (2019) sur la même espèce dans la vallée de l’Ouémé, la feuille et l’écorce de la plante sont utilisées à des fins médicinales alors que dans le présent travail, aucune utilisation de ces organes de la plante n’a été mentionnée. Ceci pourrait être lié à la diversité des cultures dans les milieux mais aussi à la différence de l’étendue des zones d’étude. A cela s’ajoute le fait que parmi les enquêtés, il n’y a eu aucun tradi-thérapeute. Il faut également ajouter qu’il y a toujours une certaine rétention d’information effectuées par les personnes ressources sur des vertus et connaissances des espèces (Dan et al., 2010).

En ce qui concerne la conservation de l’espèce, la forte pression anthropique exercée sur elle a entraîné la disparition quasi totale des plantes naturelles. La stratégie qui consiste à utiliser les gris-gris pour empêcher le prélèvement incontrôlé sur les quelques pieds d’arbres existants est de moins en moins efficace montrant ainsi la nécessité de stratégies durables de conservation pour ne pas entraîner l’extinction de l’espèce (Fandohan et al., 2017). Par ailleurs, B. mannii mérite une attention particulière du fait de ses potentialités tant économiques, alimentaires et socio-culturelles. Sa rareté la rend si méconnue et délaissée qu’elle ne fait même pas encore partie des espèces recensées dans la flore du Bénin.

CONCLUSION

L’étude sur l’ethno-botanique et l’importance socio-culturelle de Beilschmiedia mannii a révélé que l’espèce est utilisée à divers fins dont l’alimentation, la médecine, le commerce l’énergie mais aussi les usages magico-religieux. Il existe une dépendance entre les usages de l’espèce, l’ethnie et l’âge. Le fruit et les graines sont les organes l’espèce les plus utilisés par les communautés concernées en raison de leur valeur nutritives et économiques. Cependant, avec toute ces potentialités, l’espèce est sous exploitée et est menacée de disparition et il urge donc dans les investigations futures d’envisager sa domestication et sa conservation.

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