Performances zootechniques des caprins nains (Capra aegagrus hircus) nourris à base de Panicum maximum et Pueraria phaseoloides
Résumé
L’élevage des caprins nains en Afrique subsaharienne est très peu modernisé. Plusieurs facteurs zootechniques de production ne sont pas maîtrisés par les éleveurs. Ainsi, l’objectif de notre étude était de déterminer quelques paramètres zootechniques des caprins nains nourris à base de fourrage. Ainsi, 30 caprins nains ont été nourris avec deux espèces de fourrages: Panicum maximum et Pueraria phaseoloides. Chaque espèce fourragère a été présentée aux animaux sous trois formes: (1) fourrage non découpé; (2) fourrage découpé en brins de 10 cm; et (3) fourrage découpé en brins de 3 cm. Les résultats ont montré que les quantités moyennes journalières de fourrage frais ingérées (g) ont varié de 1649 g à 1839 g par jour et par caprin. De plus, le fourrage présenté en brins de 3 cm a été significativement plus consommé. Par ailleurs, les caprins nains ont consommé une plus grande quantité de P. phaseoloides. Ces résultats permettrons aux éleveurs d’affiner leur prévisions fourragères et d’éviter le gaspillage du fourrage par les caprins.
Mots clés: fourrage, Panicum, Pueraria, caprin nain, paramètres zootechniques
INTRODUCTION
En Afrique de l’Ouest, le caprin nain, du fait de son potentiel, pourrait jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre la pauvreté (Peacock, 2005). La contribution des chèvres à l’amélioration de la sécurité alimentaire des populations rurales est susceptible d’augmenter (FAOSTAT, 2019). Cependant, la taille de la population caprine est faible dans cette région tropicale, du fait que cet élevage reste dominé par le système traditionnel, marqué par un faible niveau de technicité (Lebbie et Ramsay, 1999; Naves et al., 2001; Hoffmann, 2010). Il en résulte que la productivité des élevages caprins nains reste faible (Missohou et al., 2016). Les potentialités de ce ruminant sont sous exploitées et peu de recherches scientifiques ont été réalisées sur cette race (Emanfo et al., 2022).
Les recherches réalisées sur les caprins nains sont essentiellement basées sur les paramètres de reproduction, de croissance et surtout de santé (âge de première mise bas, intervalle de mise bas, poids moyen, taux de mortalité, etc.), mesurés sur des sujets dans des conditions d’élevage traditionnel (Missohou et al., 2016). En outre, l’alimentation représente un des facteurs clés qui peut influencer la productivité d’un élevage. Une méconnaissance des paramètres alimentaires peut engendrer d’énormes pertes économiques (Agabriel, 2007). Toutefois, une maîtrise des données zootechniques liées à l’alimentation est un préalable à la modernisation d’un domaine et à la réduction du coût de production (Ballo et al.,2003; Missohou et al., 2016). Chez les caprins nains, des paramètres comme la quantité maximale de fourrage ingéré, le gain moyen quotidien, l'efficacité alimentaire et la forme de présentation du fourrage restent très peu exploités. L’objectif de cette étude est de déterminer quelques paramètres zootechniques liés à l’alimentation des caprins nains, en vue de fournir aux éleveurs des données techniques de base pour améliorer la productivité de leur exploitation.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Site et période d’étude
Ces travaux de recherche ont été menés dans une chèvrerie expérimentale au sein de l’Université Nangui Abrogoua (Abidjan, Côte d’Ivoire). Cet institut est situé entre les latitudes 5°00’ et 5°30’ Nord et les longitudes 3°50 et 4°10’ Ouest (Avit, 1999).
Matériel biologique
Le matériel biologique était constitué de caprins, de fourrages et de compléments alimentaires. Trente caprins de race Djallonké ont été utilisés. Leur poids au début de l’expérimentation variait de 10 à 23 kg. La composition et les caractéristiques du cheptel sont résumées dans le tableau 1.
Quant aux fourrages, ils étaient essentiellement constitués de Panicum maximum et de Pueraria phaseoloides. Les espèces fourragères ont été prélevés sur une culture fourragère pour P. maximum et sur un parcours naturel pour P. phaseoloides. Chacune des deux espèces de fourrage a été présentée aux animaux sous trois formes:
• Fourrage non découpé;
• Fourrage découpé en morceau de 3 cm;
• Fourrage découpé en morceau de 10 cm.
En plus du fourrage, chaque animal recevait 150 g d’un complément alimentaire constitué de 70 % de drêche de maïs, de 29 % tourteau de soja et de 1 % de poudre de coquilles d’escargots.
Matériel technique
Une balance de 5 kg de portée et de 1 g de précision a été utilisée pour peser l’aliment et une autre balance de 130 kg de portée (100 g de précision) a permis de peser les animaux. De plus une pelle, une brouette, un balaie, une éponge, du détergent et du désinfectant ont été utilisés pour le nettoyage journalier des enclos. Par ailleurs, des fiches techniques ont permis d’enregistrer les informations telles que l’âge des animaux, le poids moyen à l’arrivée, la quantité d’aliment distribuée chaque jour, la quantité d’aliment non consommée.
Trois produits vétérinaires ont été utilisés pour le suivi médical des animaux avant le début de l’expérimentation:
• Streptomycine, un antibiotique injectable contre les infections causées par des germes sensibles à la pénicilline comme les infections respiratoires (pasteurellose, broncho pneumonie, rhinite laryngite) et des infections urogénitales;
• Sulfadimérazine 33%: un anticoccidien et aussi contre les panaris et les infections respiratoires. Il est injectable;
• Pandex 1%: injectable contre les nématodes pulmonaires, les strongles gastro-intestinal.
Disposition des animaux
Les animaux étaient logés individuellement dans des compartiments de 1,25 m de largeur et 2 m de longueur. Chaque animal a été placé dans un enclos isolé tout en maintenant un contact visuel avec ses congénères en vue de réduire le stress.
Détermination du taux de matière sèche
Un échantillon frais de 2 kg de chaque espèce fourragère (P. maximum et P. phaseoloides) a été placé à l’étuve à 105°C pendant 30 heures. L’échantillon a été retiré de l’étuve lorsque son poids est devenu constant. Trois répétitions ont été réalisées et les valeurs moyennes obtenues ont été considéré comme la quantité de matière sèche pour chaque espèce fourragère.
Détermination de la quantité de fourrage ingéré
A partir des deux espèces fourragères, six présentations du fourrage ont été obtenus (Tableau 2). Les rations fourragères ont été distribuées individuellement. Un système de cornadis a été mis en place en vue d’éviter une souillure du fourrage par l’urine et les excréments de l’animal. Une période d’acclimatation des animaux de 5 jours a été respectée avant l’enregistrement des données. La détermination de la quantité de fourrage consommée s’est faite sur 5 jours pour chaque forme d’aliment présentée. Chaque fourrage distribué a été pesé avant sa distribution et les refus ont été collectés chaque soir et pesés. Trois répétitions ont été réalisés.
Détermination du Gain Moyen Quotidien (GMQ)
Les animaux utilisés pour cette étude ont été pesés au début et à la fin de l’expérience. Les pesées ont été faites à jeun le matin avant la distribution de la ration du jour. Les gains de poids ont été déterminés en fonction des différents types de fourrage distribués selon la formule suivante:
GMQ = (poids vif final - poids vif initial) / nombre de jours
Analyse statistique des données
L’exploitation des résultats a été faite à l’aide du logiciel Statistica 7.1. Ainsi, le test statistique HSD de Tukey a été utilisé pour comparer les quantités maximales de fourrage ingérée en fonction des espèces fourragères et des stades physiologiques. Ce même test a permis de comparer les GMQ en fonction des espèces fourragères. La corrélation entre les quantités moyennes de fourrage ingérée et le poids vif des animaux a été calculée.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Taux de matière sèche
Les taux moyen de matières sèches obtenus dans cette étude sont de 23,7 % et 31,4 % respectivement pour Panicum maximum et pour le Pueraria phaseoloides. La teneur en matière sèche de P. maximum obtenue est similaire à celles obtenues par Mandret et al. (1990) qui variaient de 21,7 % à 24,9 % selon les cultivars. Quant au P. phaseoloides, la teneur de matière sèche moyenne obtenue est inférieure à celle de Traoré et al. (2008). Les différences de teneur pourraient être liées aux stades physiologiques des plantes utilisées. La teneur en matière sèche d’une plante dépend du stade physiologique de prélèvement (Carrère et al., 2010).
Quantité moyenne journalière de fourrage ingérée
Les quantités moyennes journalières de fourrage frais ingérées par les caprins pendant 30 jours (3 répétitions de 10 jours) sont corrélées aux poids vifs initiaux (r=0,53). Elles ont été significativement plus importantes chez les sujets adultes pour les deux espèces fourragères (Tableau 3). Cette étude a permis de confirmer que les animaux les plus lourds consomment une quantité plus importante de fourrage (Agabriel et al., 1987a). Cependant, rapporté au poids corporel, les jeunes ont eu une consommation de fourrage frais plus importante. La consommation journalière moyenne de fourrage frais a varié de 9,0 à 14,5 kg /100 kg de poids vif par jour. Ces valeurs sont similaires à celles obtenues par Ballo et al. (2003) et Nantoumé et al. (2018) sur les ovins de race Djallonké qui variaient de 2,6 à 3,9 kg de MS par jour, soit 10,8 à 13,2 kg de fourrage frais/100 kg de poids vif par jour.
Quantité moyenne de fourrage ingérée en fonction de la longueur des brins
La longueur des brins a significativement influencé la quantité moyenne de fourrage ingérée pour les deux espèces fourragères. Le fourrage présenté en brin de 3 cm a été le plus consommé. Les quantités moyennes de fourrage découpé en brins de 10 cm ingérées et celles non découpées (NC) étaient statistiquement similaires au seuil de 0,05 (Figure 1). Il est possible que le fourrage de 3 cm soit plus facile à ingérer. Il a été démontré qu’une réduction de la taille des particules du fourrage améliore son ingestibilité. Ce problème a notamment été étudié par Demarquilly et al. (1978) et par Sauvant (2000) sur les ovins principalement. L’explication tient notamment au fait qu’un ruminant possède une capacité masticatoire d’environ 1000 minutes par jour. Lorsqu’un fourrage présente une valeur masticatoire élevée nécessitant une durée de mastication proche de 1000 minutes par jour, l’animal s’adapte en diminuant son niveau d’ingestion. Ainsi, Sauvant (2000) confirme qu’une granulométrie fourragère plus fine améliore l’ingestibilité pour les petits ruminants.
Quantité moyenne de fourrage ingérée en fonction de l’espèce fourragère
La quantité moyenne de P. maximum ingérée par tous les caprins (1694 g) était significativement inférieure à celle du P. phaseoloides (1828 g) au seuil de 5 % (Tableau 4). Les caprins nains ont plus apprécié la légumineuse P. phaseoloides, que la graminée. Ces résultats sont confirmés par Guérin et al. (1988) et par Louppe (2000). Ces auteurs soutiennent que les légumineuses sont plus appétées par les caprins que les graminées.
Gains Moyens Quotidiens en fonction du type de fourrage
Les gains de poids moyens obtenu chez les caprins au cours de la période d’études (30 jours) étaient de 63,8 g/jour et 63,2 g/jour respectivement avec le Panicum maximum et avec le Pueraria phaseoloides. Le test statistique réalisé n’a montré aucune différence significative au seuil de 5% (P=0,887) entre les deux valeurs. Ces valeurs de GMQ sont plus élevées que celles obtenues par Anigbogu et Nwagbara (2013) qui variaient de 36 à 51 g/jour sur des chèvres naines élevées au Nigeria. Ces GMQ élevés pourraient en partie s’expliquer par la complémentation alimentaire et par le suivi sanitaire dont les caprins ont bénéficié. En effet, au cours de cette étude, chaque animal recevait 150 g d’un complément alimentaire constitué de 70 % de drêche de maïs, de 29 % tourteau de soja et de 1 % de poudre de coquilles d’escargots. Ces aliments pourraient avoir une valeur nutritive plus élevée que la fiente de volaille proposée par Anigbogu et Nwagbara (2013).
CONCLUSION
Les paramètres zootechniques liés à l’alimentation chez les caprins interviennent tout au long de la vie des animaux. Les éleveurs les utilisent pour évaluer le bien-être des animaux, ainsi que pour optimiser leur production.
L’objectif de cette étude était de déterminer quelques paramètres zootechniques liés à l’alimentation des caprins nains, en vue de fournir aux éleveurs des données techniques de base pour améliorer la productivité de leur exploitation. Les résultats des études menées dans le cadre de ces performances soulèvent des questions sur l’amélioration durable des systèmes d’élevage des chèvres naines et l’utilisation durable des ressources localement disponibles, en Côte d’Ivoire. Il est possible de tracer une stratégie de développement cohérente et durable par la connaissance des caractéristiques et du potentiel de production des populations caprines locales. Ainsi, les efforts de la recherche zootechnique doivent être orientés vers la caractérisation des populations caprines locales par le biais de leur potentiel de production en lait et en viande et leurs constantes physiologiques de reproduction.
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