Résumé

Au Sénégal, le riz occupe une place importante dans l’alimentation de la population. Le présent article vise à analyser la situation de la riziculture pluviale au niveau du sud du pays. Pour atteindre cet objectif, nous avons réalisé une étude empirique dans les régions de Kolda et de Sédhiou relevant de la zone d’intervention de la SODAGRI (Société de développement agricole et industriel du Sénégal). Ainsi, nous avons enquêté par questionnaire 60 producteurs et mené des entretiens auprès des acteurs institutionnels évoluant dans la filière du riz au niveau de la zone d’étude. Les résultats obtenus montrent que la riziculture reste une activité d’autosuffisance pratiquée de manière encore traditionnelle. Le travail est manuel sur de petites surfaces, les rendements demeurent faibles et toutes les opérations de récoltes et post récoltes sont aussi manuelles. Les acteurs de la chaine de valeur riz sont de plus en plus nombreux mais non structurés. Le volet de la commercialisation reste le plus touché par cette non-structuration et connaît de nombreux problèmes.


Mots clés : Riz, filière, chaine de valeur, commercialisation, Sénégal

INTRODUCTION

Au Sénégal, la culture du riz est une vieille tradition surtout dans la zone de la Basse Casamance, située au Sud où, durant la période coloniale, le riz était utilisé pour payer l'impôt. Entre les deux guerres mondiales, il a fallu faire recours à des importations de plus en plus importantes de brisures de riz d’Asie pour satisfaire les besoins de consommation du pays (ISE , 2003).

En fait, la consommation de riz au Sénégal dépasse de loin la production nationale qui ne couvre que 28% environ des besoins du pays et sur cette production nationale 27% sont utilisés pour la subsistance des producteurs (Gergely et Baris, 2009). Les 73% restants sont principalement vendus aux marchés urbains nationaux les plus proches dans le nord du pays (Saint Louis et Louga) et, plus récemment, à la capitale Dakar (Demont et Rizzotto, 2012). Le riz est devenu alors le principal aliment de base au Sénégal; la consommation par habitant ayant fortement augmenté depuis l'indépendance de 50 kg dans les années 1960 à 60 kg dans les années 1990 (Tardif-Douglin et Diouf, 1998) et à 92 kg en 2011 (USDA, 2011). Cette forte demande en riz a fait du Sénégal le troisième importateur de riz en Afrique après le Nigeria et la Côte d’Ivoire (USAD, 2011).

Face à cet écart considérable entre la demande et l’offre et à un déficit de la balance commerciale grandissant, les autorités étatiques ont jugé nécessaire d’accorder plus d’attention à la filière rizicole. Selon elles, l’autosuffisance et la sécurité alimentaire du pays dépendent inéluctablement de l’extension et de l’intensification de l’agriculture irriguée (Kanté, 2015). Ce n’est qu’à partir de 2008, année de la dernière crise économique, que le gouvernement sénégalais, avec le Programme GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance), a commencé à faire des investissements massifs dans le secteur rizicole national (MAER , 2014). Et à partir de 2014, avec le Programme d'Accélération de la Cadence de l'Agriculture Sénégalaise (PRACAS), l’intérêt accordé à la filière riz a connu une montée importante (Mballo et Sy, 2019).

Toutefois, au sud du Sénégal, la filière riz fait face à plusieurs difficultés à la fois à l’amont de la chaine de valeur (pour la production) et à l’aval (pour la transformation et la commercialisation). En fait, dans la partie méridionale du Sénégal où se cultive le riz pluvial, les rendements sont faibles comparativement à ceux de la riziculture irriguée, l’usinage du riz se fait en général manuellement et les circuits de commercialisation n’ont pas fait l’objet d’un sérieux développement (Colen et al., 2013). Par ailleurs, le riz pluvial reste principalement destiné à l’autoconsommation, bien que l’on commence à trouver du riz local sur les marchés hebdomadaires depuis 2016/2017, et ne couvrirait que moins de 50% des besoins des producteurs et de leurs familles (Del Villar, 2019). La culture de riz est vue par ces producteurs comme une activité supplémentaire et non commerciale même s’il arrive que les familles vendent de petites quantités à des négociants locaux lorsqu’elles ont besoin de liquidités (Colen et al., 2013). Dans ce sens, l’ISE (2003) avait déjà relevé que le riz local connaît des difficultés d’écoulement liées à des problèmes institutionnels, de manque de compétitivité par rapport aux produits importés et d’organisation des circuits de distribution. En somme, il existe de réelles difficultés de commercialisation du riz au Sénégal (FAO, s.d).

Pour vérifier ces constats et appréhender ces enjeux, nous avons mené une étude empirique au niveau du sud du Sénégal dans le cadre d’un partenariat avec la SODAGRI. Cet article se propose alors d’analyser la situation de la riziculture pluviale au niveau de la zone d’action de cette structure notamment dans les régions de Kolda et Sédhiou. Dans un premier temps nous analysons la conduite technique des riziculteurs de la zone d’étude. Puis, en second lieu, nous présentons les acteurs de la chaine de valeur de la filière riz dans la zone. Nous terminons par analyser l’aval de la filière, particulièrement le commerce du riz et les circuits de commercialisation empruntés par les producteurs pour écouler leur production.

Matériels et méthodes

Zone d’étude

Notre étude a été réalisée au niveau de la zone sud du Sénégal, zone d’intervention de la SODAGRI, plus précisément les régions de Kolda et de Sédhiou. Ces deux régions sont les plus rizicoles en termes de superficie et de production puisque le sud du pays reçoit chaque hivernage le plus de pluviométrie (le riz étant une culture exigeante en eau).

Figure 1: Espaces agricoles de la zone d’intervention de la SODAGRI (SODAGRI, 2019)

La région de Kolda couvre une superficie de 13 721 Km² représentant environ 7% de la superficie du pays (ANSD , 2015). Elle est constituée par les départements de Kolda, de Médina Yoro Foulah et de Vélingara (cf. figure n°1).

Le climat est de type soudano guinéen avec des températures ambiantes les plus élevées de l’année entre Mars et Septembre s’inscrivant dans la plage 30-40° C. La saison des pluies couvre la période de Juin à Octobre avec un pic des précipitations entre Août et Septembre. Quant au relief de la région, il est constitué essentiellement de plateaux formés de grès sablo-argileux et assortis d’une végétation abondante entrecoupée de vallées dans lesquelles se trouvent les rizières et les pâturages de bas-fonds. Au titre de l’année 2015, la population de la région Kolda est estimée à 703 774 (355770 hommes et 348004 femmes), soit un poids démographique de 4,9 % de la population du Sénégal (ANSD, 2015). Sur la base des projections de l’ANSD, la population de Kolda croitrait à un rythme annuel moyen de 3,0 %, se situant ainsi au-dessus de celui du niveau national estimé à 2,5 %.

Quant à la région de Sédhiou, elle s’étend sur une superficie de 7 330 km2, soit 3,7 % du territoire national (ANSD, 2014). Elle est limitée, au Nord, par la République de Gambie, au Sud par les Républiques de Guinée Bissau et de Guinée Conakry, à l’Est par la région de Kolda et à l’Ouest par la région de Ziguinchor. Cette position, qui en fait une région frontalière à trois pays et située au centre de la Casamance, lui confère un potentiel géostratégique important dans les dynamiques économiques, sociales et culturelles de la sous-région. La région est arrosée par le fleuve Casamance, qui sépare le département de Goudomp de celui de Sédhiou, et du Soungrougrou qui sépare le département de Bounkiling de celui de Sédhiou (voir figure ci-dessus). Les températures moyennes mensuelles les plus basses sont enregistrées entre Décembre et Janvier et varient entre 25 à 30°C, les plus élevées sont notées entre Mars et Septembre avec des variations de 30 à 40°C (ANSD, 2014). Le relief est essentiellement composé de plateaux, de vallées et de bas-fonds.

En 2008, la population de Sédhiou était de 406786 habitants (Fiorillo et al., 2013). L’économie régionale est pour l’essentiel une économie à vocation agricole. D’après le Recensement Général de la Population et de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Elevage (RGPHAE, 2013; cité par ANSD, 2015), plus de 4/5 des ménages pratiquent l’agriculture.

Méthodes de collectes et de traitement des données

Notre étude a consisté en un travail empirique basé sur des enquêtes auprès des principaux acteurs de la filière riz dans la zone d’étude. Malheureusement, en raison de la pandémie du covid 19, les déplacements inter-régionaux ont été interdits par le gouvernement du Sénégal durant la période coïncidant avec la réalisation de nos enquêtes. Nous n’avons alors pu interviewer que les producteurs de riz et le personnel de la SODAGRI et la SEDAB . Ainsi, nous avons enquêté par questionnaire 60 producteurs et par guide d’entretien 10 membres du personnel de la SODAGRI et la SEDAB.

Les informations collectées ont été dépouillées et portées sur des bases de données Excel. Pour l’analyse de ces données, nous avons opté pour une analyse statistique descriptive. La méthode de l’analyse du contenu nous a permis d’analyser les questions ouvertes du questionnaire et du guide d’entretien.

Résultats 

Caractéristiques des producteurs enquêtés

Les producteurs enquêtés ont un âge avancé puisque 55% d’entre eux ont 40 ans et plus, contre 45% en dessous de 40 ans. Plus de la moitié des producteurs enquêtés ont fréquenté au moins une fois l’école française ou coranique.

Les familles de nos enquêtés sont des familles élargies caractérisées par un nombre important de personnes vivant sous le même toit. Tous les enquêtés vivent de l’agriculture et 62 % d’entre eux exploitent des superficies allant de 1 ha à 5ha. Ils ont comme autres sources de revenus l’élevage et le commerce.

Tableau 1: l’âge, l’instruction et les autres sources de revenus des producteurs enquêtés

Quant au mode de faire valoir des terres, 92% des enquêtés (soit 55 producteurs) sont propriétaires de leurs terres alors que le reste fait recours à la location.

Le riz, principale espèce des systèmes de cultures des exploitations étudiées

Les producteurs enquêtés pratiquent la riziculture pendant l’hivernage du fait de la forte quantité de pluies enregistrée dans ces zones. Les autres cultures pratiquées sont essentiellement le maïs, les cultures maraîchères, le mil et l’arachide et restent des cultures vivrières pour ces producteurs.

En période de contre saison, ils s’adonnent uniquement aux cultures maraichères, avec de très faibles superficies mises en exploitation (entre 10m² et 50 m²; rarement supérieur à 50 m²).

Pour réaliser leurs travaux agricoles relatifs à la culture du riz, 88% des producteurs enquêtés utilisent de petits matériels agricoles (râteaux, fourchettes, etc.), des charrettes pour le transport, de charrues pour le travail du sol, de semoirs pour l’opération de semis.

La superficie totale des producteurs enquêtés est passée de 94,25 ha (en 2017) à 78,95ha (en 2019), ce qui a conduit à une réduction de la production totale des agriculteurs allant de 120,85 tonnes en 2017 à 78,21 tonnes en 2019.

Figure 2: Evolution des superficies et productions totales de riz au cours des 3 dernières années.

Selon nos enquêtés, les baisses des superficies et des productions de riz enregistrés sont dues à divers facteurs: naturels, d’infrastructure et socio-économiques. Ils notent que lors des dernières zones leur zone a connu des perturbations climatiques se traduisant soit par un manque des pluies, soit par un excès de pluie suite à des averses qui conduisent à la dégradation des terres. L’éloignement de leurs localités par rapport aux marchés et la vétusté des infrastructures routières causent du retard ou un faible approvisionnement en intrants agricoles. Comme ils souffrent de manque de moyens financiers et matériels pour assurer un bon train technique permettant une production performante. Ils ont aussi soulevé le vieillissement de la plupart d’entre eux la faible relève par par les nouvelles générations qui préfèrent s’adonner à d’autre activités plus rémunératrices.

Par ailleurs, les producteurs de riz dans la zone d’étude restent des petits agriculteurs exploitant de petites superficies et produisant de faibles rendements en riz. En fait, nos résultats montrent que de 2017 à 2019, le nombre de producteurs exploitant au plus 1 ha de riz a augmenté alors que celui des producteurs cultivant des superficies de plus de 4 ha a diminué (allant de 3 en 2017 à 0 en 2019). Quant aux rendements obtenus durant la même période, la majorité d’entre eux a eu au maximum 1 t/ha.

Conduite technique de la culture du riz au niveau de la zone d’étude

La conduite technique d’une culture représente toutes les activités ou opérations effectuées depuis le travail du sol jusqu’à la récolte. Concernant la culture du riz dans la zone d’étude les agriculteurs enquêtés suivent l’itinéraire technique ci-dessous.

• Labour: 88% des enquêtés (soit 53 producteurs) ont recours à la traction animale pour labourer leurs parcelles alors que seulement 12% des enquêtés font un labour mécanique.

• Semis:

- Date et mode de semis: en fonction de la date d’arrivée des pluies et des quantités des précipitations reçues, les producteurs sèment le riz en juin ou en juillet. Concernant le mode de semis, 90% des producteurs utilisent le semoir alors que 10 % des enquêtés font le semis à la volée.

- Origine de la semence: pour 70% des enquêtés, le principal fournisseur de semences est la SODAGRI. En fait, cette structure étatique, est chargée d’augmenter la production de riz dans le Sud du pays dans le cadre du programme d’autosuffisance en riz. D’autres structures telles que la SEDAB et l’ANCAR sont aussi des fournisseurs de semences, respectivement, pour 15 % et 4 % de l’échantillon enquêté. Alors que 11 % des enquêtés (soit 7 producteurs) continuent à semer leurs propres semences de riz en raison de l’éloignement de leurs zones.

- Dose de semis: la moitié des producteurs enquêtés eux utilise des doses de semis inférieures à 60kg/ha et l’autre moitié est dans l’intervalle de 60 à 120 kg/ha. Selon les enquêtés, ceci s’explique par le fait qu’ils ne disposent pas, en général, de semences suffisantes, en plus de ne pas être au courant de la dose de semis recommandée.

- Durée de semis: 78 % des enquêtés mettent environ trois journées pour semer 1 ha alors que les autres producteurs peuvent prendre plus de 6 jours. Cette durée dépend surtout du matériel agricole dont dispose le producteur et de la possession ou non d’animaux de traits.

- Concernant les variétés de riz semées, 48 % des producteurs ont semé, pendant l’hivernage 2019, la variété sahel; 28 % ont opté pour la nérica et 35 % utilisent des variétés dont ils ne connaissent pas le nom.

• Fertilisation et entretien: les 2/3 des producteurs ont déclaré qu’ils font à la fois le désherbage manuel et chimique. Quant à la fertilisation, ils déclarent tous qu’ils ont un accès limité aux engrais et donc utilisent des quantités allant de 0 à 100 kg par hectare pour le 15-15-15 et de 50 kg à 200 kg d’urée par hectare pour tout le cycle de développement du riz. Les produits phytosanitaires sont rarement utilisés par nos enquêtés puisqu’ils jugent que le riz n’est pas très attaqué par les ravageurs et les maladies.

• Récolte

- Moyens et outils de récolte: Tous les enquêtés récoltent manuellement leur production (par des couteaux et/ou des faucilles), ce qui fait augmenter la durée de récolte. Après la récolte, les gerbes de riz sont exposées au soleil, sur la parcelle pendant 24 à 48 h pour réduire le taux d’humidité des graines afin d’éviter les moisissures et les pourritures durant la mise en meule et le stockage dans des greniers ou sous des bâches.

62 % des agriculteurs utilisent seulement la main d’œuvre familiale pour récolter leurs productions alors que 10 % font exclusivement recours à la main d’œuvre externe (des ouvriers à payer ou de l’entraide sociale).

• Mode de battage du riz

Les producteurs utilisent deux modes de battage du riz. Une moitié fait le battage mécanique (avec batteuse pour un coût allant de 10 à 30 FCFA/kg de riz battu) alors que l’autre moitié a recours au battage manuel. Ce dernier se fait en fonction des besoins du ménage, c’est-à-dire à chaque fois que la femme doit préparer du riz pour le repas, elle prend des meules pour les battre.

Les acteurs de la filière du riz dans la zone d’étude

Tous les flux que nous avons relevé ci-haut, de l’amont à l’aval de la filière, font intervenir plusieurs acteurs. Il s’agit notamment de fournisseurs d’intrants, de structures de financement, d’encadrement, de conseil agricole, de développement, des agro-industriels et des producteurs. Ainsi, la cartographie de la chaine de valeur du riz au niveau de notre zone d’étude comprend les acteurs suivants:

- L’Etat et les bailleurs de fonds: plusieurs projets et programmes sont financés par l’Etat du Sénégal dans la zone sud du pays dans l’objectif d’augmenter la production de riz aux niveaux local et national;

- Les producteurs ou groupements de producteurs: s’activent dans la production de paddy et/ou de semences. Cette production permet ainsi d’approvisionner les autres maillons de la chaîne de valeurs dans le cas du paddy et la vente aux structures semencières dans le cas de la multiplication des semences;

- Les structures de financement: accordent des prêts aux producteurs, ces derniers sont à rembourser après la récolte;

- Les fournisseurs d’intrants et services d’encadrement: la SODAGRI, la SEDAB, l’ANCAR, la Direction Régionale de Développement Rural (DRDR) et le Service Départemental de Développement Rural (SDDR), Agriculture Sénégal International (AGRISEN) sont les acteurs intervenant dans ce volet;

- Les services de recherche: L’institut sénégalais de la recherche agronomique (ISRA) est constitué de plusieurs centres régionaux répartis dans les différentes zones agro écologiques du Sénégal et cherche, entre autres, à mettre en place des variétés adaptées et productives dans les différentes zones agro écologiques du pays et à produire de semences de pré-bases pour toutes les spéculations;

- Les transformateurs: Dans la zone d’étude, la transformation du riz n’a pas encore connu une grande expansion. Elle se fait de manière manuelle dans la plupart des ménages par manque de moyens ou par des décortiqueuses villageoises. Cependant de nouvelles unités de transformation du riz ont commencé à voir le jour. C’est le cas de la SEDAB, comme cité plus haut, qui dispose d’une rizerie dans la région de Sédhiou et disposant d’un dépôt à Kounkané dans la région de Kolda pour la ravitailler en riz transformé. Cette rizerie a été créée en 2019 et a commencé à fonctionner la même année. Elle s’approvisionne directement auprès des producteurs, individuellement ou via les organisations paysannes.

- Les grossistes: ils sont en collaboration avec certaines organisations locales et unités de transformation. Ils s’approvisionnent exclusivement en riz blanc. Leur présence dans la filière n’est pas déterminante car la plupart des organisations locales commercialisent directement leur riz;

- Les banabanas (ou collecteurs): sont les principaux acheteurs du riz paddy; ils rassemblent de petites quantités entre deux à cinq sacs par marché hebdomadaire ou auprès des producteurs individuels dans les villages. Pour la majorité, ils achètent et revendent le paddy directement sans le décortiquer;

- Les transporteurs et les détaillants: les transporteurs interviennent dans l’acheminement des semences et les détaillants se chargent de s’approvisionner en riz blanc pour le commercialiser par la suite; leur présence dans la chaine de valeur reste timide;

- Les consommateurs: ce sont les acteurs se situant à l’aval de la filière et pour lesquels le produit final est destiné. Dans la zone d’étude, ces consommateurs sont soit le producteur lui-même (autoconsommation), soit un autre producteur de la même localité ou même de la même région qui achète la production pour les besoins de sa famille;

- Les collectivités locales: elles jouent un rôle important pour accompagner les efforts de développement de la filière puisqu’elles servent de portes d’entrées aux différents structures et projets intervenant dans les localités en facilitant l’accès aux producteurs. Elles sont impliquées dans l’octroi de terres, contribuent à la distribution de matériels agricoles et d’intrants subventionnés et s’activent dans la sensibilisation des producteurs.

Le schéma suivant présente la cartographie de ces acteurs.

Figure 3: Schéma de la filière du riz dans la zone d’étude

Il ressort alors que les acteurs de la chaine de valeur du riz dans la zone d’étude sont de plus en plus nombreux. Certains y sont centraux (producteurs notamment) et d’autres sont en phase de mise en place et de développement (comme les transformateurs). C’est ce développement qui a amené le personnel interviewé de la SODAGRI à souligner que la dynamique de la filière au niveau de la zone d’étude est de plus en plus en développement.

Commercialisation du riz dans la zone d’étude

Destination de la production:

Tous les producteurs ont affirmé que leur production est destinée à l’autoconsommation. Toutefois,18 d’entre eux déclarent vendre une partie de leur production pour rembourser leurs dettes dues à l’acquisition des intrants, pour payer les ouvriers engagés pour la récolte ou encore pour disposer de liquidités afin de satisfaire les autres besoins de leurs familles.

Le riz vendu est sous forme de paddy pour les raisons suivantes: la facilité de vente du paddy par rapport au riz blanc, l’absence de décortiqueuse, et pour ceux disposant de cette machine la transformation leur coûte chère.

Le principal acheteur du paddy, est la SEDAB qui dispose aussi de sa propre rizerie dans la région de Sédhiou, plus précisément dans le département de Goundoup. Cependant, certains producteurs écoulent leur production dans le voisinage ou auprès des banabanas (demi-grossistes).

Concernant la période et le prix de vente du paddy, la moitié des producteurs commercialisent leur production vers les mois de Décembre à Janvier (pour rembourser les frais de la culture) alors que l’autre moitié la vend pendant les mois de Février à Avril (pour bénéficier d’un prix de vente plus important). Le prix moyen de vente du kilogramme de paddy est estimé à 278,75 FCFA pour la SEDAB (prix fixé par l’Etat). Pour les autres acheteurs de paddy, le prix de vente dépend des négociations avec le producteur, de la période de vente et du marché.

Caractérisation des producteur-commerçants de riz

En vue de caractériser les producteurs-commerçants de riz enquêtés, nous avons nous avons opté pour la réalisation d’une analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM). La répartition des modalités des variables retenues nous a permis de distinguer deux grands groupes de producteurs (Figure 4).

Figure 4: Analyse factorielle des correspondances multiples des producteurs-commerçants de riz

Un premier groupe: constitué des producteurs qui ont un âge avancé (40 à 60 ans) et un niveau d’instruction un peu avancé, un revenu agricole annuel important (plus de 200000 FCFA), membre d’une organisation paysanne et ayant des ménages composés de plus de 5 personnes. Ces producteurs, éleveurs, disposent de compte financier et exploitent des superficies qui peuvent dépasser 3 ha de riz avec une production en 2019 allant jusqu’à 3 tonnes avec les variétés sahel et nérica. Cette production est destinée à la fois à l’autoconsommation et au marché. La production totale de céréales (riz, mil, sorgho, maïs) peut nourrir leur ménage jusqu’à plus de 6 mois. Aussi ces agriculteurs se penchent vers la mécanisation car ils font recours au battage mécanique du riz.

Un second groupe: formé par les agriculteurs non éleveurs, jeunes (moins de 40 ans) ou vieux (plus de 60 ans) avec un niveau d’instruction faible ou non instruits. Ils ne sont membre d’aucune organisation paysanne et exploitent des superficies entre 2 et 3 ha de riz avec des productions en 2019 n’atteignant pas les 3 tonnes. Ils utilisent des variétés qu’ils ne connaissent pas et font battre cette production de façon manuelle. Ce groupe de producteurs ne possèdent pas de compte financier et ont, au maximum, un revenu agricole annuel de 200000 FCFA.

Les circuits de commercialisation

Pour les ingénieurs enquêtés de la SODAGRI, le commerce de riz dans la zone d’étude se fait de façon informelle: les producteurs se débrouillent pour écouler leur riz marchand et n’empruntent pas de circuit formel de commercialisation bien précis. Selon eux, le circuit de commercialisation le plus répandu dans la zone peut être schématisé de la manière suivante:

Mais sur la base des données collectées auprès des producteurs et des transformateurs, nous avons mis en évidence l’existence de divers circuits de commercialisation: court, moyen et long.

Circuit court: Ce circuit relie directement les producteurs et les consommateurs. En général, ce sont des ménages qui vendent leur production à ceux qui n’en produisent pas ou à ceux dont la production est très faible. Aussi des échanges de différentes productions se font entre les producteurs (commerce en tronc).

Circuit moyen: Dans ce type de circuit, le producteur vend sa production à un intermédiaire, par exemple un boutiquier ou à un transformateur, qui l’écoule auprès des ménages consommateurs, destinataires finaux.

Ou encore:

Circuit long: il fait intervenir un grand nombre d’acteurs concernés par la commercialisation du riz. Ce circuit, à cause du nombre d’agents impliqués, profite le plus aux intermédiaires qu’aux producteurs.

Les circuits longs font aussi intervenir les organisations paysannes qui approvisionnent les unités de transformation.

A travers les différents circuits de commercialisation développés ci-dessus, les acteurs concernés entretiennent différentes relations entre eux. Particulièrement, les producteurs déclarent entretenir essentiellement des relations de coopération avec tous les acteurs (transformateurs, grossistes, banabanas, consommateurs) concernés par la commercialisation dans ces zones. C’est ce que certains cadres de la SODAGRI ont aussi souligné: « dans l’ensemble, entre les acteurs de la commercialisation, ce sont des relations de partenariat et de confiance qui se sont développées ».

Les problèmes de commercialisation du riz

Pour le personnel de la SODAGRI, la commercialisation du riz fait dans la zone d’étude face aux problèmes suivants:

• L’insuffisance de la production du riz paddy;

• La non structuration du secteur de commerce;

• L’insuffisance des usines de décorticage.

Alors que les producteurs-commerçants de riz soulèvent des problèmes plus spécifiques relatifs au:

• Stockage: ils déposent leur production dans une chambre libre ou bien sous la véranda ou gardent même la production dans leurs propres chambres à coucher;

• Faible prix de vente: puisque, d’une part, les acheteurs ne sont pas nombreux en raison de la faible demande du riz local, et d’autre part, les producteurs écoulent leur production au niveau de leurs localités là où la majorité de la population s’adonne à la riziculture;

• Non accès aux marchés rémunérateurs: ces zones sont enclavées et éloignées des grands marchés régionaux.

Discussion

Nos résultats montrent que les producteurs de riz dans la zone d’étude possèdent des exploitations de petites tailles de type familial. C’est en fait une caractéristique des systèmes de production rizicole au Sénégal (FAO, s.d) et les derniers recensements de la population montrent que 70 % des exploitations agricoles sont de petites exploitations familiales dont les superficies sont inférieures à 5 hectares (Bourgoin et al., 2020). Toutes les opérations de récoltes et post récoltes sont manuelles, du fauchage de la panicule au décorticage au mortier. Par conséquent la production locale en riz reste faible et la filière souffre en amont de nombreux problèmes dont l’arrivée tardive des intrants, l'accès difficile au matériel de travail du sol et les problèmes de récolte et de transformation du paddy. Certaines variétés de riz utilisées ne sont pas adaptées aux écologies et d’autres sont méconnues par les producteurs. Ceux-ci sèment la plupart du temps leurs propres semences car, déclarent-ils, les quantités de semences de riz octroyées par les structures d’approvisionnement sont insuffisantes et n’arrivent pas aux agriculteurs des zones éloignées. Même pour ceux qui reçoivent ces semences, la moitié d’entre eux ne respecte pas la dose de semis prescrite par la SOAGRI; elle leur recommande une dose entre 80 et 120 kg/ha alors qu’ils mettent 60 Kg/ha. D’où la faiblesse des rendements obtenus. D’autre part, les travaux agricoles sont la plupart du temps manuels et sont effectués par les membres de la famille. Ce qui corrobore avec les résultats de Bourgoin et al. (2020) qui ont montré qu’au Sénégal, les exploitations utilisent principalement une main-d’œuvre familiale appuyée par des employés temporaires. Pour lever nombre de ces contraintes, la sensibilisation et la formation des producteurs et des organisations de producteurs aux nouvelles technologies agricoles, et une mise à leur disposition de l’information de la recherche dans une démarche inclusive afin de mieux les intégrer dans la filière s’imposent.

La production du riz de nos enquêtés est principalement destinée à l’autoconsommation et marginalement vers les marchés de proximité. En fait, en raison de la faiblesse des rendements et la la faible demande locale du riz en paddy, pour ces producteurs la priorité est de nourrir leurs familles. En effet, dans les pays en développement, la riziculture est toujours une activité agricole de subsistance liée presque uniquement à une organisation familiale et à des pratiques traditionnelles visant à réduire les risques plutôt qu’à intensifier la production (Manzelli et al., 2015). Par contre, la demande de riz transformé, par les consommateurs locaux, est assez forte, et certains ménages s’approvisionnent en riz blanc directement au niveau de la rizerie. Pourtant ont noté qu’il y a de bonnes perspectives que l’offre de paddy et les capacités de transformation vont s’accroître de façon plus ou moins synchronisée, et si les autres zones arrivent à produire un surplus à transformer, en Casamance par exemple, il y aura lieu d’y localiser des usines aussi (Steev et Hathie,2016).

Concernant les circuits de commercialisation du riz dans la zone d’étude, les résultats montrent qu’il n’y a pas de circuit formel unique mais les producteurs empruntent divers circuits (court, moyen et long) pour vendre leur production. En fonction du type de circuit, ces producteurs rentrent en contact avec divers acteurs de la chaine de valeur du riz (banabanas, grossistes, transformateurs, etc.) avec qui ils négocient le prix de vente de la production. En fait, la fixation des prix officiels du paddy et du riz par les autorités publiques a pris fin en 1995, année pendant laquelle le Sénégal a amorcé la libéralisation de son secteur rizicole dans le cadre du Programme d’ajustement structurel. En outre, après une période de forte implication, l’État s’est retiré, dans la même année, des secteurs de la transformation et de la commercialisation. Selon Gueye (2004), dans le Bassin de l’Anambé (siège de la direction technique de la SODAGRI) où le développement de la riziculture a été introduit par la SODAGRI, on distinguait, jusqu’en juin 1994, un seul circuit de commercialisation de la production locale qui était le circuit officiel avec l’achat du paddy par la SODAGRI. Ce circuit officiel, était presque identique avec celui de la SAED, à la seule différence qu’il n’existait pas de prestataire de service privé dans la zone. Les deux principaux acteurs étaient la SODAGRI et la CPSP (Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix). Selon lui, la SODAGRI achetait le paddy aux producteurs sur la base d’un prix garanti et subventionné de 85 F/kg. Elle assurait la pesée, la manutention et le transport du paddy des périmètres aménagés exploités par les organisations de producteurs jusqu’à la seule rizerie détenue par ladite structure. Elle transformait le paddy avant de procéder à la vente du riz blanc à travers les grandes surfaces (en sachet) ou directement sur le marché.

Récemment, dans le circuit du commerce du riz local au Sénégal, on note également l’émergence des agrobusiness qui établissent des contrats formels de production et de commercialisation (Fall, 2016). Certains cadres de la SODAGRI recommandent d’initier ce système de financement intégré où la banque finance, à la fois, la production, la transformation et la commercialisation. D’autre part, l’accès au financement doit être facilité et garanti aux producteurs.

Conclusion

Le riz constitue depuis longtemps l’aliment de base de la population sénégalaise. Cependant, la riziculture, telle que pratiquée par nos enquêtés, demeure une activité d’autosuffisance pratiquée de manière encore traditionnelle et les rendements restent encore très faibles. Cela en dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics ces dernières années pour le développement de la filière en termes d'augmentation des emblavures, de la production et des rendements. Grâce aux effets positifs de la politique de subvention des intrants et du matériel agricole. Par conséquent, des défis majeurs doivent être relevés notamment: la structuration de la chaîne de valeur à travers une meilleure professionnalisation de ses acteurs, le renforcement des capacités des producteurs et de leurs organisations et la révision de la politique de subvention des intrants et du matériel agricole. Le volet de la commercialisation reste le plus touché par cette non-structuration et mérite une attention particulière de la part des décideurs.

Des aménagements hydro-agricoles dans les zones où la disponibilité de l’eau est importante dans le but d’avoir deux récoltes dans l’année pourraient augmenter la production annuelle de riz, surtout avec la création de nouvelles variétés de riz plus adaptées aux conditions pédoclimatiques. En effet, l’aménagement de petits périmètres irrigués (PPI) au niveau des vallées et bas-fonds des Régions de Kolda, Sédhiou, Ziguinchor, Kédougou et Tambacounda (à l’exception du Département de Bakel), l'utilisation de variétés adaptées et à haut potentiel productif et le renforcement des capacités opérationnelles des producteurs de la zone permettront d'apporter une contribution significative à l’atteinte de l’objectif principal de production autosuffisante en riz.

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