Résumé

Dans le Rif central au nord du Maroc, les écosystèmes forestiers ont subi une régression très forte au profit des zones agricoles. L’installation de la culture du cannabis au détriment de la forêt illustre les rôles importants des forêts sur le plan environnemental, économique et social. L’objectif de ce travail consiste à évaluer et à quantifier l’impact de l’évolution de l’utilisation des terres sur la dégradation des sols dans le Rif Central méridional. La perte de fertilité des sols défrichés a été évaluée à l'aide d'analyses physico-chimiques après 2, 6, 10 et 22 ans de mise en culture. Une simulation manuelle de précipitation a été utilisée pour évaluer l'impact du défrichement suivi de la mise en culture sur le comportement hydrodynamique du sol. Les résultats obtenus montent que la conversion des forêts en zones agricoles ont des conséquences multiples sur le milieu naturel. Le sol devient instable sous les effets des labours successifs qui conduisent à une réduction importante des réserves du sol ; au bout de 22 ans de mise en culture, la matière organique a diminué de 73% de sa teneur initiale et le taux de l’azote s’est réduit de -60%, l’acidité a augmenté d’une unité. Les pertes en sols par l'érosion hydrique ont été évaluées à 3,2 t/ha pour une séquence de précipitation de 80 mm h-1 pendant 45 minutes. Cette dégradation entrave la productivité agricole, ce qui amène les agriculteurs à abandonner ces terres et à chercher de nouvelles parcelles au détriment des forêts pour satisfaire leurs besoins en terres agricoles.


Mots clés: Utilisation des terres, Réserves de sol, Érosion hydrique, Rif central, Maroc

INTRODUCTION

Dans le Rif central, au nord du Maroc, l'accroissement démographique associé à la rareté des terres à vocation agricole ont entrainé une forte pression sur les milieux forestiers (Benabid, 2000). Ces pressions ont provoqué le recul du couvert végétal. L'extension de la culture du cannabis avec un rythme croissant depuis 1980, a contribué à la fixation de la population dans la région, mais aussi à l'accroissement du rythme des défrichements, provoquant ainsi une disparition de la majorité des chênaies du Rif, et s'attaque actuellement aux ilots forestiers situés en altitude (Melhaoui, 2002). Une étude diachronique effectuée dans le massif forestier de Jbel Outka (Rif central), a montré que les formations forestières naturelles, avaient subi une forte régression de 38% (5179 ha) entre 1962 et 2017 au profit de la culture du cannabis (El Mazi et al., 2018). La rapidité et l’extension des opérations de défrichement peuvent s'expliquer par l'épuisement de la productivité des sols, sous l'effet de l'érosion. Actuellement, plus de la moitié des vieux défrichements sont abandonnés définitivement, et les sols des versants sont totalement décapés. Cette situation entraine des effets néfastes sur le milieu naturel fragile et sur la présence de la population dans la région (pertes de terre, accentuation du ruissellement et des crues, diminution des ressources en eau, envasement de barrages, etc.).

Le secteur d’étude a fait -durant les dernières décennies- l’objet de plusieurs études portant sur la morphogenèse et sur l'érosion hydrique. Ces études ont montré que le processus d’érosion est fortement lié à l’énergie du ruissellement et aux facteurs responsables de sa génération, et que la production du ruissellement varie en fonction des propriétés physiques de l’état de surface du sol et en fonction des types d’occupations du sol (Heusch, 1970; Laouina, 1998; Al Karkouri et al., 2000; Chaaouan et al., 2012; Sadiki et al., 2012). D'autres études ont porté sur l’influence du couvert végétal et le rôle de l’occupation du sol sur le stock de carbone organique et sur le risque de ruissellement dans le Rif occidental (Sabir et al., 2004). Cependant, peu d’études ont porté sur l'impact de l’évolution de l’utilisation des terres sur la dégradation des ressources en sol dans le Rif central.

L’objectif de ce travail est d’évaluer et de quantifier l’impact de la conversion des forêts en terrains agricoles sur la dégradation du sol dans le Rif Central méridional à partir de l'étude d'une zone pilote (massif de Jbel Outka). Il vise tout particulièrement à déterminer l’impact de la mise en culture sur la fertilité, la stabilité structurale et sur le comportement hydrodynamique du sol.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Site d'étude

La zone concernée par cette étude se trouve dans le massif numidien de Jbel Outka faisant partie du Rif central méridional (Figure 1). Elle est circonscrite par les longitudes et les latitudes 4°54’ et 5°W, 34°40’et 34° 54’N. Elle est caractérisée par un gradient bioclimatique allant du subhumide à perhumide. Le substrat dominant est le grès épais numidien. Ce massif est aussi caractérisé par une densité élevée de la population (plus de 120 hab./km²).

Figure 1: Situation géographique de la zone d’étude

Caractérisation des parcelles étudiées

Dans le but d’étudier l'impact de l’évolution de l’utilisation des terres sur la dégradation des ressources en sol, des parcelles expérimentales ont été sélectionnées de manière à remplir le maximum d'homogénéité au niveau des facteurs physiographiques. Étant donné que la rapidité du défrichement est expliquée par la perte de fertilité des sols par l'érosion, nous avons pris en compte la durée de défrichement comme un élément essentiel. Les prélèvements du sol ont été effectués dans une parcelle témoin sous forêt de chêne-liège, dont les caractéristiques du sol sont supposées bien conservées, et dans des parcelles défrichées et mises en culture depuis 2, 6, 10, et 22 ans.

Analyses physico-chimiques

Les échantillons ont été analysés à l’aide des méthodes et techniques suivantes :

Les échantillons destinés aux analyses physico-chimiques ont été séchés à l’air libre, puis tamisés à 2 mm, avant l’analyse granulométrique, selon la méthode de pipette Robinson.

Le pH a été mesuré par la méthode potentiomètre à l’aide d’un pH mètre à électrodes (rapport 1/2.5).

La matière organique est quantifiée par la méthode Walkley-Black (1934). Pour passer de la teneur en carbone organique à celle de la MO, nous avons utilisé le facteur de conversion de 1,724.

Le Phosphore est déterminé à l’aide du bicarbonate de sodium. Les Bases échangeables (Ca2+, Mg2+, Na+, K+) sont saturées par une solution d’acétate d’ammonium 1 N. La lecture et le dosage des cations ont été effectués par absorption atomique et photomètre à flamme.

L’azote est quantifié par la méthode de DUMAS.

Les analyses ont été effectuées au Laboratoire Ferti-conseil de l’école nationale d’Agriculture à Meknès.

Densité apparente et porosité

La densité apparente et la porosité ont été mesurées par la méthode gravimétrique. Trois échantillons ont été prélevés dans chaque parcelle en utilisant un cylindre (0-10 cm). Ces échantillons sont pesés avant et après séchage à l'étuve (105 °C) pendant 24 h.

Mesures de la stabilité structurale

Le comportement physique d’un sol soumis à l’action de la pluie peut être évalué par des tests de stabilité structurale. Pour cette étude, ce paramètre a été mesuré par le test d'humectation rapide par immersion proposé par Le Bissonnais (1996). Les résultats obtenus sont présentés en mm sous la forme de Diamètre Moyen Pondéré (DMP).

Simulation de pluie

Les tests de simulation de pluie ont été effectués en période d'été (fin juin) où les sols se trouveraient dans un état sec pour avoir des résultats comparables. Chaque parcelle est soumise au test de simulation de pluie grâce à un simulateur de pluie manuel analogue à celui de Roose (1997). Une séquence de pluie de 80 mm.h-1 a été simulée pendant 45 min dans chaque parcelle. Le choix de cette intensité est basé sur les observations des précipitations journalières de la station hydrologique de Jbel Outka, située à 2 km de la zone d'étude.

Tableau 1: Caractéristiques physico-chimiques du sol de la parcelle témoin

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Granulométrie

L’analyse granulométrique montre que les horizons superficiels (0-25 cm) du sol de la parcelle témoin sous forêt de Chêne-liège ont une texture limono-sableuse riche en sables, bien drainé, et appauvri en argile (Tableau 1). Les horizons A/B (25-50 cm) et Bt (50-90 cm) ont une texture limono-argileuse. La comparaison du taux d’argile entre les parcelles indique que ce taux augmente en fonction de la profondeur du sol de la parcelle témoin déposé par lessivage vertical, atteignant 29,85% dans l’horizon A/B pour aboutir à 34,84% dans l’horizon Bt (Tableau 1). Par contre cet élément augmente en fonction du temps, dans l'horizon de surface des parcelles défrichées, pour atteindre 28% au bout de 10 ans de défrichement (Tableau 2). Ceci peut s'expliquer par le décapage progressif des horizons superficiels qui laisse affleurer en surface les parties profondes les plus riches en argiles. Les horizons superficiels (A0 et A1) ayant une épaisseur de 25 cm sous forêt ont complètement disparu au bout de 6 à 10 ans, ce qui montre que le défrichement et les labours successifs ont induit un décapage de plus de 2,5 cm par an.

Tableau 2: Évolution de la granulométrie du sol (0-20 cm) en fonction du temps après défrichement et mise en culture

Effet du défrichement sur la stabilité structurale

La stabilité structurale du sol est mesurée par le test d'humectation rapide par immersion qui permet de simuler le comportement de matériaux soumis à des humectations brutales après une période sèche. En référence aux normes établies par Le Bissonnais (1996), on constate que le sol sous forêt est très stable (DMP = 2.05 mm), et résiste mieux à l'érosion, y compris lors des gros orages dévastateurs de printemps et de fin d’été (Figure 2). Cependant cette stabilité décroît rapidement au fil du temps après le défrichement et la mise en culture. En effet, le sol des parcelles défrichées depuis 2 à 10 ans devient moyennement instable. La structure du sol de la parcelle défrichée depuis 22 ans est très instable (DMP = 0.4 mm). En effet le sol manifeste un risque d’érosion élevé et permanent en toutes situations topographiques quand il est soumis à des pluies intenses.

Figure 2: Comparaison de la stabilité structurale du sol sous forêt et sous parcelles mises en cultures en fonction du temps après défrichement

L’instabilité structurale du sol suite à la conversion des forêts en terres agricoles est due aux labours successifs, qui fragilisent la résistance du sol à l'agressivité de pluies, et réduisent leur teneur en matière organique, favorisant donc des phénomènes de ruissellement et d’'érosion hydrique. La stabilité structurale est corrélée avec la MO, avec des coefficients de détermination élevés (R2=0,84). Elle est également corrélée positivement avec la teneur en argile (R²=0,57); ce qui confirme les résultats obtenus par plusieurs auteurs, notamment Mrabet (2002), Moussadek et al. (2011) et Laghrour et al. (2016).

Effets du défrichement sur les propriétés chimiques du sol

Les analyses chimiques de l'horizon de surface (0-10 cm) montrent que le sol sous forêt est moyennement acide (pHeau=5.9). Dès la défriche forestière, on observe une augmentation importante de l'acidité. En effet, la valeur du pHeau décroit pour atteindre 4,82 pour la parcelle défrichée depuis 10 ans et à 4,5 pour la parcelle défrichée depuis 22 ans; ce qui indique que le sol devient fortement acide. La valeur du pHKCl diminue pour perdre une unité par rapport au témoin sous forêt. Cette augmentation de l’acidité peut s'expliquer par le lessivage des basses échangeables sous l'effet des pluies intenses.

La matière organique est un indicateur de la fertilité des sols et joue un rôle important dans la durabilité des systèmes géomorphologiques (Nunes et al., 2012). Le défrichement et la mise en culture ont pour conséquence une forte réduction de la MO dans l'horizon de surface (Tableau 3). De ce fait, la teneur en MO a diminuée de 4,9±0,28% du sol sous forêt à 1,34±0,35% pour le sol de la parcelle défrichée depuis 22 ans (soit une baisse de 73% par rapport au témoin). Ceci peut s'expliquer par le décapage des horizons superficiels riches en MO sous forêt d'une part, et d'autre part, par les labours successifs qui accélèrent la minéralisation de la matière organique. Ces résultats sont similaires à ceux trouvés par plusieurs auteurs. En effet, Sabir et al. (2004) ont montré que la conversion des terres forestières en cannabis a entraîné une diminution de 47% de la MO du sol dans le Rif occidental. De plus, la mise en culture des sols des prairies alpines en Chine pendant 8, 16 et 41 ans a diminué la MO de 25, 39 et 55% respectivement et a rendu le sol plus sensible à l'érosion (Wu et Tiessen, 2002).

La teneur en azote suit une évolution semblable à celle de la MO. Pour près de 6 ans de défrichement, l'horizon superficiel du sol a perdu environ 32%, soit après 20 ans, une diminution de plus de 62.5% de la teneur initiale du témoin. Les pertes en potassium (K2O) occasionnées par le lessivage et l’érosion dépassent celles qui touchent l’azote, en effet plus des deux tiers du K2O ont été perdus au cours des 22 ans de mise en culture. Ce constat confirme les conclusions de Lebbar (2001) qui a montré que la conversion des forêts en terres agricoles conduit à un appauvrissement en éléments nutritifs du sol.

Tableau 3: Évolution de la MO et des éléments fertilisants majeurs après défrichement et mise en culture (Moyenne±écart type)

Le rapport carbone sur azote (C/N), indicateur de l'activité biologique globale du sol (Moreau, 1984-1985), est de 18,13 dans les 10 premiers centimètres du sol de la parcelle témoin. Cette valeur indique que ce sol est caractérisé par une activité biologique moyenne à faible, due à la fois à un substrat acide (grès épais numidien) et une végétation acidiphile (Quercus suber, Cistus salviifolius et Cistus albidus). Durant les 2 premières années de mise en culture, le rapport C/N n'affiche pas de différences significatives, mais après 6 ans de mise en culture, après défrichement, ce rapport a diminué significativement pour atteindre 12,86 au bout de 22 ans.

Le phosphore assimilable (P2O5) est le seul élément qui a enregistré une augmentation dès le défrichement. La concentration de cet élément apparait plus important à court terme. Il a augmenté de 0,12±0,05 mg/100g dans le sol de la parcelle témoin à 1,19±0,09 mg/100 g pour la parcelle défichée depuis 6 ans et à 1,22±0,02 mg/100g pour celle défrichée depuis 10 ans. Ce résultat peut s'expliquer par le fait que les parcelles cultivées avaient connu des apports importants d'engrais phosphatés. Ensuite, le taux de cet élément avait diminué de moitié (0,67±0,3mg/100g), mais il est resté élevé par rapport au témoin (Tableau 3).

Effets du défrichement et de la mise en culture sur les propriétés hydrodynamiques du sol

Les caractéristiques physiques qui gouvernent le comportement hydrodynamique du sol (porosité, densité apparente, humidité initiale) apparaissent toujours les plus fortement et rapidement affectées par la défriche forestière suivie de la mise en culture. De manière générale, on observe une augmentation forte de la densité apparente à 10 cm de profondeur, en effet celle-ci est passée de 0,92 g/cm3 pour le sol de la parcelle témoin à 1,48 g/cm3 pour la parcelle défrichée depuis 22 ans (Tableau 4). Ainsi, la comparaison des valeurs de la porosité sous forêt et sous parcelles cultivées fait apparaître la péjoration de cette donnée sous l’effet du défrichement. Ces modifications sont liées à la décomposition des racines préexistantes et à la minéralisation de la MO suite à la disparition du couvert forestier au profit des cultures (Roose, 1985).

Les tests de simulation montrent que la parcelle sous forêt se distingue nettement des autres parcelles cultivées (Figure 3), avec une capacité d'infiltration plus élevée et une lame d'eau ruisselée nulle à faible (2,59 mm.h-1 pour une intensité de 80 mm.h-1). Ceci s’explique par la présence de la litière, la MO et le système racinaire, qui facilitent la circulation de l’eau à l’intérieur du sol (Moussadek et al., 2011).

Figure 3: Ruissellement à la surface du sol sous forêt et sous parcelles mises en culture en fonction du temps après défrichement

En revanche, les parcelles défrichées et mises en cultures enregistrent des valeurs plus élevées de ruissellement. En effet, la lame d'eau ruisselée a augmentée pour atteindre 12,38 mm h-1 pour le sol de la parcelle défrichée depuis 6 ans, indiquant que 15,35% des pluies se sont transformées en ruissellement (Tableau 5). Alors que cette valeur est de 25 mm.h-1 pour le sol de la parcelle défrichée depuis 22 ans, impliquant que 31,25% de pluies se sont transformées en ruissellement. L'écoulement devenu plus important sur cette parcelle a atteint, en fin de simulation, une lame d'eau ruisselée de 32 mm.h-1, soit 42% d'eau ruisselées (Figure 3). Ceci concorde avec de nombreuses observations sur parcelles expérimentales faites au Maroc. C’est pourquoi, Sabir et al. (2004) et Bensaleh et al. (2012), avaient conclu que la conversion des forêts en terres agricoles augmente le ruissellement et la détachabilité du sol.

Les données de détachabilité confirment les effets catastrophiques de disparition du couvert forestier associé aux labours successifs sur le système naturel. La parcelle défrichée récemment a enregistré un taux de détachabilité faible de 10,5 g m-2 h-1 pour une intensité de pluie de 80 mm h-1 (Tableau 5). Le taux de détachabilité devient plus important pour le sol de la parcelle défrichée depuis 22 ans, atteignant 1126,8 g m-2 h-1, du fait de la destruction totale de la structure du sol. Ce constat conforte les observations expérimentales faites dans la région d'Ikaouen dans le Rif central (Laouina, 1993).

L'absence de détachabilité du sol sous forêt est le résultat indirect de l'apparition de la culture du cannabis, qui a entraîné un désintérêt vis-à-vis de l’élevage, et qui est d’ailleurs en régression significative (Bouhlal, 2017). Cette situation a réduit à la fois le tassement du sol sous forêt par le piétinement des animaux, et favorise l'installation d'un sous-bois dense, qui représente une barrière vis-à-vis des gouttes de pluie, et réduit les pertes en sol.

Tableau 4: Comparaison des valeurs de la densité apparente et de la porosité du sol sous forêt et parcelles mises en culture en fonction du temps après défrichement (Moyenne±écart type)

Tableau 5: Comparaison des valeurs de la lame d'eau ruisselée (LR) et du coefficient de ruissellement (Kr%) du sol sous forêt et parcelles défrichées mises en culture en fonction du temps après défrichement.

Les résultats expérimentaux de cette étude montrent, d'une manière générale, le rôle non négligeable des écosystèmes forestiers bien conservés dans la protection du sol contre l'érosion hydrique, et dans la conservation des ressources en eau. Ils montrent également que la disparition de ces écosystèmes au profit de la culture du cannabis provoque une destruction irréversible du sol (photo 1). L'érosion hydrique augmente de plus en plus, et prive les cultures de la couche la plus fertile, ce qui a un impact négatif sur les rendements. Lorsque le sol s'épuise de sa fertilité, les agriculteurs cherchent de nouvelles terres à défricher pour satisfaire leurs besoins en terres agricoles. Les cultures itinérantes ainsi dégradent les sols et les paysages.

Concernant la recolonisation des espaces forestiers dégradés, on observe l'apparition d'une régénération importante de la végétation par rejets de souches seulement au cours des quatre premières années de mise en culture. Par contre sur les vieux défrichements, la recolonisation des forêts devient difficile du fait du décapage des horizons superficiels fertiles et de l'élimination des racines par les opérations de nettoyage que pratiquent les agriculteurs sur leurs champs.

Photo 1: Déclenchement du processus d'érosion sur une parcelle défrichée récemment suite aux précipitations automnales concentrées dans le Rif central (clichée El Mazi, 2018)

CONCLUSION

Les résultats obtenus montrent que la déforestation des sols sur substrats siliceux pour l’extension des zones agricoles dans le Rif central, a un impact néfaste sur la stabilité structurale du sol, ses propriétés physicochimiques et sur son comportement hydrodynamique. Cette étude a montré que les labours successifs sont responsables du décapage des horizons superficiels et de l'épuisement de la fertilité des sols défrichées mises en cultures. Les sols deviennent extrêmement dégradés dès la sixième année après la conversion des forêts en terres agricoles; plus de la moitié de la matière organique a été minéralisée, l’azote et le potassium ont été réduits de manière inquiétante, l’acidité du sol a augmenté de plus d’une unité (diminution du pH), et la densité apparente a augmenté proportionnellement; ce qui rend les risques de ruissellement et d'érosion très importants.

Dans ce contexte, un ensemble de mesures devrait être mis en place pour réduire la pression anthropique sur les forêts, et afin de réduire la dégradation des milieux naturels dans le Rif central. Ceci devrait inciter les décideurs à chercher des solutions viables axées sur la sauvegarde et la réhabilitation des écosystèmes forestiers dégradés et le développement socio-économique.

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