Résumé

L’igname est une culture stratégique au Togo. L’inventaire des variétés cultivées dans différents agro-éco-systèmes traditionnels permettent la sauvegarde et de ce patrimoine génétique ainsi que son utilisation dans des programmes de sélection. Des enquêtes ethno-botaniques ont été conduites dans 30 localités de la région de la Kara a permis de recenser 134 variétés: 122 de D. cayenensis-D. rotundata (57% précoces et 43 % tardives) et 12 de D. alata. La richesse variétale par localité varie de 7 à 30 variétés avec une moyenne de 19 ± 6 et une prédominance de D. cayenensis-D. rotundata. Dans 22% des localités, la diversité variétale a augmenté du fait des introductions (19 %) du Bénin (52 %), du Ghana (40 %) et du Nigeria (8 %). Les acquisitions variétales se font par achat (72 %), héritage (65 %), échange (45 %) et don (35 %). L’adoption d’une variété est déterminée par des critères agronomiques, commerciaux, technologiques, socio-culturels. Dans 78 % des localités, il y a une réduction de la diversité variétale du fait des pressions économiques, technologiques et sociales. 82 % des variétés sont faiblement distribuées et nécessitent une action urgente de conservation au champ. Cette conservation peut se faire dans 9 localités qui abritent 80 % de la richesse variétale totale.


Mots clés: Ignames, perte de variétés, érosion génétique, conservation, Togo.


 

INTRODUCTION

Les populations autochtones africaines jouent un rôle important dans la conservation des ignames cultivées (Baco et al., 2004; 2014). L’importance des contributions de ces populations, et surtout des agriculteurs, dans la conservation des ressources génétiques des ignames a été reconnue par la communauté scientifique internationale (FAO, 1996). Cette reconnaissance institutionnelle se fonde principalement sur l’évidence que les agriculteurs, d’une part, au fil des siècles de domestication, de gestion et de sélection, ont façonné la diversité des ignames cultivées et d’autre part, le constat que cette action perdure dans certaines régions, notamment en Afrique de l’ouest (Dumont et al., 2005; Dumont et al., 2010; Mignouna et al., 2003; Scarcelli et al., 2006a, 2006b). Dans ces zones de domestication et de culture des ignames, les agriculteurs utilisent encore une large diversité de variétés locales qui tiennent une grande place dans l’agriculture et l’alimentation (Dansi et al., 2000, Tamiru et al., 2007; Dumont et al., 2010; Otoo et al., 2015). Les études ont révélé qu’il existe une vaste gamme de pratiques de gestion des ignames, due au fait que les techniques et les pratiques utilisées varient fortement avec la diversité culturelle et écologique de l’environnement des groupes socio-linguistiques (Vernier et al., 2003; Zannou et al., 2006; Tamiru et al., 2008, Dumont et al., 2010; Baco et al., 2004, 2014). Si le rôle des agriculteurs est reconnu, la compréhension des processus mis en jeu et des facteurs sociaux, économiques et écologiques qui déterminent le maintien et de la dynamique évolutive de la diversité des ignames cultivées est encore fragmentaire et inégalement connue selon les conditions agro-écologiques.

En Afrique de l’ouest, les ignames du complexe Dioscorea cayenensis- Dioscorea rotundata sont les plus importantes et représentent plus de 95% de la production totale (Sesay et al., 2013), avec une importante diversité variétale et génétique (Mignouna et Dansi, 2003; Dumont et al., 2005). Dans cette zone, l’igname joue un rôle prépondérant comme culture de subsistance, commerciale et à caractère socioculturel (Baco, 2004). Du fait de sa richesse en hydrates de carbones, protéines, vitamines et sels minéraux, l’igname y constitue la principale source d’hydrate de carbone pour des millions de populations (Mignouna et al, 2002 ; Lawal et al., 2012; Adejumo et al., 2013). Cependant, la culture des ignames est confrontée à de nombreuses contraintes biotiques et abiotiques conduisant à des baisses de production et à des problèmes de conservation des ressources génétiques (Dumon et Marti, 1997). Dans le monde de demain, où le changement climatique conduira à des sécheresses plus fréquentes et où les paysans seront amenés à cultiver des sols de moins en moins fertiles, l’utilisation des variétés tolérantes ou résistantes à ces conditions est nécessaire. Ces variétés existent au sein de la diversité des ignames cultivées aujourd’hui. C’est pourquoi, il est indispensable de conserver ces variétés d’ignames locales. De toutes les méthodes, la conservation au champ est la plus viable car permettant de conserver une grande diversité de variétés tout en assurant la fourniture durable de la ressource aux populations locales (Zoundjihékpon et al., 1999). Elle permet aussi de préserver les capacités naturelles d’adaptation continue de ces espèces à leurs milieux naturels, l’équilibre écologique des agro-systèmes et de revaloriser du rôle des agriculteurs dans la conservation des ressources génétiques (Robert et al., 2003; Hajjar et Hodgkin, 2007; Jarvis et al., 2008; Maxted et al., 2008).

L’inventaire des variétés cultivées dans différents agro-écosystèmes traditionnels permettent la sauvegarde et de ce patrimoine génétique ainsi que son utilisation dans des programmes de sélection. Bien que ces informations sur la diversité soient indispensables à la conservation de la diversité locale et à la sélection des meilleurs individus dans les systèmes agricoles, au Togo, elles sont quasiment inexistantes en raison de l’absence d’inventaire approfondi. C’est pour combler les lacunes liées au déficit de données scientifiques sur les ignames cultivées que cette étude a été initiée. Son objectif général est de contribuer à la conservation et la valorisation des ignames cultivées au Togo. Les objectifs spécifiques sont:

- d’inventorier les variétés d’ignames de D. cayenensis - D. rotundata et D. alata dans la région centrale du Togo,

- d’en analyser la distribution spatiale en vue d’identifier les potentiels sites de conservation au champ.

MÉTHODOLOGIE

Milieu d’étude

La présente étude s’est effectuée dans la région de la Kara, située dans la partie nord du Togo entre 9°25 et 10°10 de latitude Nord et 0°15 et 0°30 de longitude Est (Figure 1). Cette région couvre une superficie de 11 600 km², ce qui représente 20,5% de la superficie du territoire national. La superficie cultivable est de 8 120 km² dont 1,11% est exploitée pour la culture d’igname (DSID, 2000). Le climat de type soudanien est marqué par une saison pluvieuse de mai à octobre et une saison sèche de novembre à avril. La moyenne pluviométrique relativement élevée, avec plus de 1000 mm/an, est favorable à la culture d’ignames. En 2011,la population était d’environ 770 000 habitants (DGSCN, 2011). Cette population essentiellement agricole est formée de sept ethnies (Figure 1).

Collecte des données

Une investigation ethno-botanique a été conduite dans 30 localités sélectionnées en fonction du groupe ethnique dominant, de la position géographique et de l’importance de la production des ignames. Dans chaque localité, des producteurs d’ignames ont été sélectionnés avec l’aide du chef pour participer à l’enquête.

La méthode utilisée est basée sur des enquêtes par focus groupes constitués de 10 à 20 producteurs et des interviews individuelles des producteurs (Atato et al., 2010; Dansi et al., 2013). Les enquêtes par focus groupes enquêtes de groupes ont porté sur:

- les variétés de D. cayenensis-D. rotundata et D. alata cultivées dans la localité;

- l’importance sociale, culturelle et économique, l’origine géographique, la signification du nom, le calendrier cultural, les exigences écologiques, les caractères et les usages culinaires, les usages ethno-botaniques, les avantages agronomiques de chaque variété;

- les nouvelles variétés (leurs origines géographiques, leurs avantages agronomiques, leurs caractère culinaires) ;

- les variétés disparues ou en voie de disparition, les raisons de leur disparition;

- les diverses méthodes de gestion de cette diversité.

Les questions individuelles ont porté sur la situation sociale du paysan, le nombre de variétés cultivées, leurs natures, leurs origines, les modes d’acquisition, les raisons de leur exploitation, l’importance sociale, économique, alimentaire et culturelle, l’évolution du nombre de variétés cultivées, les causes ou raisons de cette évolution, les pratiques culturales.

Traitement des données

Une liste générale des variétés recensées a été établie. Cette liste a permis d’élaborer un tableau dynamique croisé (variétés x localités) en présence (1), absence (0) avec le tableur Microsoft Excel®. Ce tableau a permis:

- de réaliser une DCA (Detrended Correspondence Analysis) grâce au logiciel CAP® (Community Analysis Package) version 2.15 pour discriminer les zones de diversité variétale;

- de calculer les fréquences, les variances, les écarts types;

- la sélection de sites potentiels de conservation in situ, suivant la technique de tri progressif décroissant. (Kabiezim, 2004).

Un second tableau (localités x richesse variétale) a permis de réaliser une PCA (Detrended Correspondence Analysis) grâce au logiciel CAP® (Community Analysis Package) version 2.15 pour hiérarchiser les localités prospectées en fonction de leurs richesses variétales.

Grâce au tableur Excel, les autres données recueillies ont été analysées par la statistique descriptive (fréquences, moyennes) et les résultats présentés sous forme de tableaux et de figures. La méthode des quatre carrés (Mukema et Grum, 2000) a permis d’évaluer l’état de conservation et le risque de disparition des variétés d’ignames.

RÉSULTATS 

Profils socio-démographiques des producteurs d’ignames

La totalité des producteurs d’igname enquêtés sont des agriculteurs de sexe masculin d’âge compris entre 17 et 80 ans. 85% d’entre eux ont entre 25 et 65 ans avec une moyenne de quarante-cinq (45) ans. La majorité (80%) des enquêtés sont analphabètes, 4% ont un niveau primaire et 16% un niveau secondaire. 74% des producteurs d’igname produisent principalement le maïs, l’igname et le sorgho. Les principales sources de revenus de ces producteurs sont respectivement l’igname (32%), le coton (21%), le maïs (13%) et le sorgho (11%).

Bilan variétale des ignames D. cayenensis - D. rotundata et D. alata

Dans les 30 villages prospectés, un total de 134 variétés d’ignames ont été recensées avec 122 (91%) du complexe D. cayenensis - D. rotundata et 12 (9%) de D. alata (ala.). Au sein du complexe D. cayenensis - D. rotundata, les variétés précoces (préc.) représentent 57% et les tardives (tard.) 43%. La richesse variétale (RV) varie de 7 (Malfakassa) à 30 variétés (Landa) avec une moyenne de 19 ± 6 variétés.

Les variétés de D. cayenensis - D. rotundata sont largement majoritaires avec 4 à 23 variétés par localité et une moyenne de 15 ± 5. La RV de D. alata varie de 2 à 6 avec une moyenne de 4,6±1. En moyenne, on compte par localité 80% de variétés d’ignames D. cayenensis- D. rotundata contre 20% de variétés de D. alata. Au sein du complexe D. cayenensis-D. rotundata, il y a une prédominance de variétés précoces qui représentent en moyenne 63,5% de variétés. Le nombre de variétés précoces varie de 2 à 16 (moyenne 10 ± 4) et celui des variétés tardives de 1 (Pimini) et 15 (Madjatom) avec une moyenne de 6 ± 3 (Tableau 1).

Selon les RV par espèce et par localité, la PCA a permis de discriminer trois groupes de localités (Figure 3): le groupe 1 (G1) des localités à forte RV avec une 23,5 ± 2 variétés (préc.: 12,6 ± 3; tard.: 6,4 ± 3; ala.: 4,5 ± 1); le groupe (G2) des localités à RV moyenne avec 15,5 ± 2 variétés (préc.: 6,8 ± 2 ; tard. : 5,6 ± 2 ; ala.: 3,1 ± 1) et le groupe (G3) des localités à faible RV (groupe 3) 7,3 ± 0,6 (préc.: 3,3 ± 1; tard.: 1,7 ± 3; ala.: 2,3 ±1). Les localités les plus riches sont situées essentiellement à l’Ouest de la zone d’étude et les moins riches à l’Est. Ce résultat met exergue l’existence d’un gradient de richesse variétale croissante Est-Ouest.

Distribution géographiques des variétés

Les variétés d’ignames recensée sont des fréquences (pourcentage des localités où une variété est présente) très variables (Figure 2). La variété la plus fréquente est dinambolmane avec une fréquence de 84%. A l’opposé, environ 42% des variétés sont présentes dans une seule localité.

Le résultat de l’analyse des quatre carrés basée sur les fréquences (pourcentage de localités détentrices d’une variété) et les abondances des variétés (pourcentage de paysans détenteurs d’une variété) a révélé trois cortèges de variétés:

- des variétés à très large distribution c’est-à-dire à la fois abondantes (abondance ≥ 20%) et fréquentes (fréquence ≥ 20%) qui représentent 7,46% de la RV totale. Elles sont caractérisées par une productivité élevée, une bonne conservation post-récolte, de bonnes qualités culinaires, une valeur marchande élevée. Il s’agit entre autre des variétés dinambolmane, kéké, laboko, dinabolpiil, alassoura.

- des variétés à large distribution: fréquentes (fréquence >20%) mais peu abondantes (abondance <20%) qui représentent 10,4 %. Ceux sont en général de variétés spécifiques à une ethnie. Elles ont des caractéristiques culinaires intéressantes comme un goût agréable, l’aptitude à faire de l’igname pilée. Cependant, elles présentent des faiblesses comme la faible productivité, l’exigence de tuteurage, l’inaptitude à la conservation post récolte et le faible taux de germination faible. C’est le cas des variétés bakpatini, katala, kotokola, hèabala, noum.

- des variétés à très faible distribution: peu fréquentes (fréquence <20%) et peu abondantes (abondance <20%). Elles sont numériquement les plus importantes avec 82,1% de richesse totale. Dans ce cas, il s’agit essentiellement des variétés nouvellement introduites et des variétés très anciennes. Ces dernières sont pour la plupart spécifiques à un groupe ethnique et sont conservées pour leur valeur symbolique, rituelle, affective, protectrice et mystique. C’est le cas de badan, sintrè, maal, peidja.outobrè, dokoubè, otoukodjè, agbalakou, pélékonga.

Typologies et caractéristiques des zones de diversité variétale

La DCA a permis de discriminer trois groupes de localités distribués dans le plan des axes 1 et 2 (Figure 3). Le groupe 1 (G1) est formé de 16 villages situés tous dans la partie Ouest de la région avec des variétés comme olondo, djatouba, népila, kinamon, monia, nimon. Les variétés précoces y sont largement dominantes (76%) par rapport aux variétés tardives (24%). La RV moyenne est de 21,8 avec 12,7 Préc., 4,7 tard. et 4,27 ala.

Le groupe 3 (G3) est constitué de 11 villages situés dans la partie Est de la région et dont les variétés caractéristiques sont entre autres hègbèdiè, flakpane, agnassou, tabsowa, boyo, edoro. Dans ce groupe, il y a une prédominance des variétés tardives (61%). Sa RV moyenne est de 16,2 avec 5,5 préc.; 7,4 tard.; et 3,3 ala.

Entre les deux principaux groupes, il y a le groupe 2 (G2) intermédiaire et formé de 3 villages localisés dans la partie centrale de la région. Dans ce groupe 2, les variétés précoces sont aussi plus exploitées (72%). On y compte en moyenne 8,66 préc.; 4tard. et 4 ala. soit au total 16,66 variétés.

Pratiques paysannes et dynamique de la diversité des ignames cultivées

Il existe plusieurs pratiques de gestion des ignames cultivées dans la région de la Kara. Certaines de ces pratiques favorisent le maintien et le renforcement de la richesse variétale. D’autres pratiques, à l’opposé, conduisent à la réduction de la diversité. Ainsi, la diversité des ignames cultivées présentent deux tendances évolutives: l’augmentation et la réduction.

Facteurs d’augmentation de la diversité des ignames cultivées: pratiques paysannes de maintien et renforcement de la diversité

Dans 22% des localités, la richesse variétale des ignames a augmenté du fait des introductions. Ces introductions représentent 19,2% de la diversité locale. Les pays d’origine sont le Bénin (52 %) avec les variétés comme aliba, édoro, mamon, nathahè, n’tchomtra, le Ghana (40%) avec aboudjassi, bafo, dagne, koungouma, monia, et le Nigeria (8%) avec les variétés comme agagara, nigéria. Les introductions se font aussi à partir des autres régions frontalières de la région de la Kara, notamment la région centrale et la région des plateaux avec des variétés comme sotouboua. Après introduction, il existe un courant intérieur à la zone d’étude qui assure la circulation et la dissémination des variétés entre deux producteurs d’une même localité ou de deux localités différentes.

A l’échelle de l’individu, les acquisitions se font suivant quatre modalités à savoir l’achat (72,5%), l’héritage (65%), l’échange (45%) et le don (35%). En général, l’adoption d’une variété est déterminée par ses valeurs agronomiques, ses valeurs commerciales, ses valeurs technologiques et ses valeurs socioculturelles (Figure 4).

Causes de la perte de diversité des ignames cultivées

En dépit de l’importance des ignames, leur richesse variétale a diminué dans 78% des localités prospectées. Cette réduction résulte de l’abandon des variétés par les producteurs. Les producteurs enquêtés ont cité plusieurs causes de l’abandon des ignames. Ces causes sont d’ordre écologique, agronomique, socioculturel et économique (Tableau 2).

DISCUSSION

Dans les 30 localités prospectées dans la région de la Kara, 134 variétés d’ignames ont été recensées. Il est certain que toute la région abrite une richesse variétale plus importante car toutes les localités n’ont été couvertes par l’étude. Cependant, sur la base de la taxonomie vernaculaire, il est peu probable que les 134 noms de variétés recensées dans les 30 localités correspondent effectivement à 134 variétés génétiques. En effet, il arrive qu’une même variété soit désignée par différents noms à travers plusieurs localités et des variétés différentes désignées par le même nom (Dansi et al., 2011; Loko et al., 2011). Ceci est dû au fait que dans la nomenclature vernaculaire de variétés d’igname les noms varient d’une ethnie à une autre et d’une localité à une autre au sein de la même zone ethnique (Dansi et al., 2011). Cette taxonomie bien que ne relevant pas de la génétique a le mérite de permettre aux paysans de reconnaître et de classer les ignames. Elle intervient aussi dans le choix et l’adoption des ignames. Elle est indispensable à la documentation des connaissances paysannes liées à la gestion de la diversité génétique des plantes cultivées. Des investigations faites sur l’igname (Dioscorea spp.) au Bénin (Dansi et al., 2000), les légumes traditionnels au Bénin (Dansi et al., 2008; Achigan-Dako et al., 2011) et le sorgho au Cameroun et au Bénin (Barnaud, 2007; Missihoun et al., 2012) ont confirmé cette importance. Une caractérisation morphologique et moléculaire de ces variétés est alors nécessaire pour clarifier cette nomenclature et permettre une meilleure identification des variétés.

La richesse variétale de la région de la Kara est dominée par les ignames de D. cayenensis- D. rotundata en raison de leurs origines en partie africaine et de la domestication des espèces sauvages apparentées que comme Dioscorea abyssinica, Dioscorea burkilliana et Dioscorea. praehensilis qui assurent le renforcement continu de cette diversité variétale (Vernier et al., 2003; Mignouna et Dansi, 2003; Dumont et al., 2005; scarcelli et al., 2006). Cette dominance des ignames du complexe D. cayenensis- D. rotundata a été signalée dans d’autres régions du pays par Wembou et al., (2016), au Bénin par Loko et al. (2013) et au Cameroun par Mignouna et al. (2002). A l’opposé, D. alata a une faible richesse variétale en raison de son origine asiatique, son introduction récente (Dansi et al., 2013) et surtout sa faible qualité culinaire avec pour conséquence leur inadéquation avec les habitudes culinaires liées à l’igname, caractérisées localement par l’igname pilée (Dansi et al., 2011).

Aucune variété n’est présente chez tous les producteurs; ce qui illustre l’absence d’un idéotype d’igname: les ignames sont diversement appréciées par les producteurs. En effet, aucune variété ne réunit à elle seul tous les critères de préférence. Cette étude a montré que seuls 7,5 % des variétés ont une large distribution alors que 82 % des variétés ont une très faible distribution. Les premières présentent des caractéristiques agronomiques intéressantes (productivité élevée, bonne conservation post-récolte), de bonnes qualités culinaires, une valeur marchande élevée et donc économiquement rentables. En l’absence de variétés améliorées mises au point par la recherche, leur utilisation permettra d’améliorer la production des ignames. Pour diffuser les dites variétés dans un espace géographique plus grand, il faudra mettre à contribution les réseaux sociaux, les liens affectifs, familiaux, qui définissent les échanges inter-paysans favorisant le brassage et la dissémination géographique et la conservation des variétés. Le faible nombre des variétés à large distribution et celui très élevé de variétés à faible distribution résulterait du resserrement de la production autour de quelques variétés élites à fort potentiel économique. Ces variétés à très faibles distribution méritent une attention particulière en raison de la menace d’érosion importante qui pèse sur elles. En effet, plus une variété est possédée par peu de paysans et en peu d’endroits, plus rapide sera sa disparition.

L’existence de trois groupes de localités abritant les mêmes variétés montrent qu’il y a une compartimentation géographique de la richesse variétale des ignames cultivées. Ces groupe de localités sont situées chacune dans une même zone géographiques correspondent chacune à une zone de diversité variétale. Cette compartimentation résulte des flux de variétés qui font en général de proche en proche et qui permettent la diffusion des variétés entre les localités d’une même zone géographique ou socio-culturelle.

Les localités de la zone 1 sont plus riches en variétés d’ignames (21,8 variétés) et en particulier les précoces (12,7 variétés). Cette importante diversité variétale des villages de la zone 1 traduit des introductions de nouvelles variétés à partir du Ghana. On note aussi des conditions écologiques favorables à la culture des ignames à savoir une pluviométrie moyenne, des plaines formées d’un ensemble de sols relativement bien drainés, meubles et riches en matière organique. Dans la zone 3 il y a une prédominance des variétés tardives (61%) du fait de la proximité géographique et culturelle de villages de cette zone au Bénin et au Nigeria qui sont des grands centres de diversité des variétés tardives (Adoukonou, 2001).

Il existe des différences entre les diversités variétales à l’intérieur de chaque zone (entre villages) et entre les différentes zones. Ces différences sont liées aux des conditions écologiques, économiques et socioculturels de chaque milieu. Pour cela, la diversité des ignames du complexe D. cayenensis - D. rotundata et de D. alata de la région de la zone ne peut donc être conservée à l’intérieur d’un seul village ou d’une seule zone.

Dans la région de la Kara, il existe une diversité de critères d’adoption des d’ignames mais aucun des critères n’a fait l’objet d’un consensus à l’échelle de toute la zone d’étude. Cette diversité de critères et l’absence d’un consensus est due au fait que la production des ignames dans la région de la Kara est motivée par plusieurs raisons. Toutefois, la qualité du l’igname pilée, le rendement et la précocité sont des critères d’adoption les plus fréquemment cités par les enquêtés. Ceci suggère que le choix des variétés s’insère dans une stratégie qui privilégie la ressource financière et la sécurité alimentaire de la famille.

La gestion de la diversité des ignames cultivées est caractérisée par des introductions de nouvelles variétés conduisant à une augmentation de la richesse variétale, des abandons des variétés traditionnelles entraînant une réduction de la richesse variétale et le maintien de certaines variétés anciennes. Le rôle de l’organisation sociale des échanges de semences dans la structuration de la diversité génétique ne doit pas être négligé.

Implication de l’étude pour la conservation des ignames cultivées: Sites potentiels de conservation au champ dans la région de la Kara

La présente étude a révélé que les producteurs détiennent encore une importante diversité variétale. Mais en raison de la pression du marché et du climat, seules quelques variétés précoces à fort potentiel agronomique et économique dominent actuellement la culture. Pour ces variétés, une action urgente de conservation ne semble pas nécessaire. Leur préférence par les producteurs est liée à leur valeur marchande élevée et leur productivité. Leur diffusion permettrait d’améliorer la production locale des ignames et par conséquent les conditions de vie des producteurs. Cette diffusion permettra aussi leur préservation car plus une variété est possédée par plusieurs personnes en plusieurs endroits différents, moins vite elle disparaîtra. Pour ce faire, les réseaux sociaux basés sur les liens affectifs, familiaux et qui définissent les échanges inter-paysans seront utilisés.

Cette étude a montré aussi que 82,1% des variétés sont faiblement distribuées. Ces variétés sont soumises à un risque important de perte de diversité génétique. Or, ces variétés menacées de disparition pourraient disposer des gènes de tolérance ou de résistance. Ces variétés nécessitent une action urgente de préservation et de conservation. En raison des différences quantitatives et qualitatives entre les diversités des trois zones de diversité, la conservation au champ des ressources génétiques des ignames ne peut se faire qu’au niveau des zones de diversité. Pour la zone 1, il s’agit de Nandouta, Banghan, Bangeli, Nandoudja et Dimori qui abritent 80% des variétés de la zone. Dans la zone 3, il s’agit de Landa, Madjatom, Massédéna et Atchangbadè avec 80% des variétés de la zone. Les autres variétés pourraient être conservées dans ces sites par transfert selon les exigences écologiques.

La promotion et la valorisation des pratiques culturelles ou rituelles liées aux ignames comme la fête des ignames seraient un atout important pour la sauvegarde de certaines variétés à valeur rituelle, symbolique ou culturelle. Face au risque de disparition des variétés anciennes, il est impérieux de procéder à une collecte et une caractérisation agro-morphologique et moléculaire de ces variétés tant qu’elles existent encore.

CONCLUSION

La région centrale du Togo dispose d’une importante diversité variétale d’ignames (134 variétés), diversité dominée par les ignames de D. cayenensis-D. rotundata qui représentent 91%. La majorité de ces variétés (83,4%) sont très faiblement distribuées et sont donc susceptibles de disparaître à plus ou moins long terme. Pour ces variétés, une action urgente de conservation est nécessaire. Cette étude a mis en évidence trois zones de diversité variétale dont la zone 2 qui est la plus riche avec 110 variétés dont 94 du complexe D. cayenensis- D. rotundata. Ces résultats permettent de conclure que les pratiques paysannes de gestion de la diversité ont un impact sur l’organisation de la distribution géographique et la dynamique temporelle des variétés locales d’ignames cultivées par dans la région de Kara. La pression du marché, les contraintes biotiques et abiotiques amènent les producteurs à abandonner des variétés anciennes à faible potentiel économique et à adopter un petit nombre de variétés précoces à fort potentiel économique qui deviennent prédominantes. Dans le contexte de changements globaux, une approche intégrée de protection et de conservation au champ du germoplasme local constituerait une stratégie pour amoindrir l’érosion génétique des ignames cultivées. Ce programme aurait comme villages pilotes: Nandouta, Banghan, Bangeli, Nandoudja, Dimori, Landa, Madjatom, Massédéna et Atchangbadè. Ces résultats sont importants pour la définition de stratégies pour la conservation et l’utilisation durable des ressources génétiques des ignames au Togo.

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