Résumé

Cet article présente la problématique de gestion des ressources en eau dans le bassin de Souss-Massa. Il s’agit d’un bassin très important du point de vue économique. Il fournit l’essentiel des exportations agricoles. Le bassin fait face de plus en plus à l’impact des changements climatiques et aux sécheresses récurrentes. Par ailleurs, l’intensification des fourrages et l’utilisation intensive de l’irrigation diminuent le potentiel en eaux souterraines et rend cette denrée plus rare et donc plus onéreuse à l’extraction. De ce fait, toute activité de développement sera contrainte par la rareté de la ressource eau à laquelle fait face la zone si aucune stratégie de bonne gestion n’est entreprise. Cet article présente une revue de littérature des principaux modèles économique qui ont été développés pour la gestion des ressources en eau. Une analyse critique des différentes méthodes et modèles fréquemment utilisés dans l’analyse de l’économie de l’eau nous permettra de soulever certaines limites de ces méthodes et de mettre en évidence la nécessité de recourir à d’autres méthodes et outils plus adéquats. Une analyse de l’état actuel des ressources en eau et l’impact prévue des changements climatiques est également présentée.


Mots-clés: Ressources en eau, bassin, modélisation économique, changements climatiques.


 

INTRODUCTION 

Les ressources en eau deviennent de plus en plus rares, rareté qui se posera avec acuité dans les années à venir à cause, entre autres, de la réduction des apports, entraînée par les changements climatiques et l’augmentation de la demande, accentuée par l’accroissement démographique et les exigences de la croissance économique et du développement.

Au Maroc, les ressources en eau souterraines demeurent surexploitées (AFD, 2015). La plupart des nappes connaissent une baisse sans précédent, particulièrement dans la région du Souss-Massa qui est marquée par des déficits hydriques aigus, expliqués par le développement de l’agriculture, du tourisme, de la pression démographique et surtout une des zones les plus concernées par l’impact des changements climatiques. L’agriculture constitue l’un des secteurs déterminants de l’économie nationale. Elle emploie plus de 40 % de la population active et assure, à elle seule, 80% de l’emploi de la population rurale. Le secteur agricole représente 10 % des exportations globales et participe à la formation d’environ 15 % du Produit Intérieur Brut (PIB) (HCP, 2014). Notant que l’agriculture est connue pour être le secteur le plus touché par les aléas environnementaux en raison de sa dépendance des facteurs climatiques. La vulnérabilité de l’agriculture vis-à-vis de la rareté de l’eau s’explique par sa forte consommation en eau, d’où la nécessité d’une réflexion sur les outils et instruments d’évaluation les mieux adaptés au contexte actuel et d’orientation des politiques vers une meilleure gestion de l’eau.

Le choix du bassin du Souss-Massa, une des zones les plus touchées par le changement climatique et soufrant d’un déficit hydrique aigu, est motivé par la place économique qu’occupe ce bassin et la rareté aigu en eau dont fait face la zone. En effet, le développement touristique important et la contribution importante de ce bassin dans les exportations agricoles nationales (leader en exportation des fruits et légumes hors saison), conjugués à la pression démographique et d’urbanisation que connaît ce bassin font que la demande en eau est devenue insoutenable. On note déjà des déficits des ressources en eau souterraine qui ont atteint 300 Mm3 (ABHSM, 2011). Ceci impose des plans d’urgences, non seulement pour rationaliser l’utilisation des ressources actuelles, mais aussi pour augmenter l’offre de l’eau.

Le développement d’une approche intégrée dans ce sens constitue un moyen adéquat pour la gestion du partage et l’allocation optimale de la ressource eau entre les différents secteurs de demande ainsi que pour l’aide à l’instauration de politique appropriée de l’eau à l’échelle régionale.

LES MODÈLES ÉCONOMIQUES

Développement théorique des modèles économiques

Le recours à la modélisation économique s’est imposé comme approche fondamentale pour comprendre et illustrer les questions d’ordre économiques, politiques et agricoles. Les approches de modélisation apparaissent comme des outils nécessaires pour formuler des questions de recherche en équations mathématiques parfois complexes. Ils permettent, entre autres, de tenir compte de la multiplicité des éléments en interaction, d’évaluer les politiques économiques et leurs impacts et plus important encore de proposer des scénarios alternatifs. On peut distinguer entre deux courants importants dans la modélisation. La modélisation économétrique qui estime le poids des variables explicatives dans l’évolution d’autres variables, appelées variables expliquées. D’autre part, il y a la programmation mathématique qui tente de caractériser le comportement des exploitants en vue de simuler des changements dans l’environnement économique. On note que la multiplicité des modèles économiques provient de la diversité des cadres théoriques et des niveaux d’analyse.

La programmation mathématique (optimisation d’une fonction sous contraintes) a pour objet l’étude théorique des problèmes d’optimisation ainsi que la conception et la mise en œuvre des algorithmes de résolution.

Il y a deux catégories de programmation mathématique: la programmation mathématique normative ou des modèles d’optimisation et la programmation mathématique positive.

Dans la programmation mathématique normative (PMN), utilisée plus d’un demi-siècle dans les recherches en économie agricole, une solution optimale doit être choisi parmi plusieurs réponses possibles. L’objectif principal de ce type de programmation est d’analyser les conditions d’adaptation des exploitations agricoles à des chocs exogènes. Dans ces modèles, les variables de la fonction ‘objectif’ et les contraintes ne sont pas calibrés à partir des données historiques. Un modèle de type PMN ne peut garantir que les solutions qui ressemblent à l’année de base, ce qui est le problème majeur de ces modèles. Pour ce type de modèle, on utilise d’autres approches pour la calibration, notamment à travers l’intégration des aspects relatifs à l’aversion au risque pour reproduire les conditions de l’année de base (modèle espérance variance).

Contrairement aux modèles PMN, les modèles calibrés par la programmation mathématique positive sont en mesure de reproduire les données de l’année de base. Cette méthode permettant de reproduire les données observées est appelée programmation positive.

Les modèles positifs ont pour but d’expliquer le comportement des agriculteurs vis-à-vis des ressources naturelles, humaines ou autres ressources. Ils permettent d’analyser la rationalité des choix socio-économique des agriculteurs et proposer des solutions optimales plus adaptées aux questions étudiées (Chantreuil et Gohin, 1999).

La programmation mathématique dans l’analyse économique

La programmation mathématique (PM) est une technique de résolution des problèmes d’optimisation sous contrainte. Utilisée plus d’un demi-siècle dans les recherches en économie agricole, la PM a pour objet la recherche d’une solution optimale parmi plusieurs réponses possibles. Résoudre un problème de PM peut se traduire par une optimisation d’une fonction objectif f(x) sous contraintes g(x) (les contraintes sont généralement d’ordre technique ou bien des contraintes liées à l’usage de ressources telles que l’eau, le travail ou autres ressources). Dans ce cas, x est le vecteur des variables de décision ou variables des activités. La résolution de ce problème réside dans le fait de choisir le niveau de ces variables de décision de façon à optimiser, soit minimiser ou bien maximiser, la fonction objectif f(x) en respectant les conditions définies par g(x). La linéarité du problème dépend des fonctions f(x) et g(x); si f(x) et g(x) sont des fonctions linéaires, dans ce cas le problème de PM est linéaire, alors que si f(x) et/ou g(x) sont non linéaires, il s’agit dans ce deuxième cas de la programmation non linéaire.

Les modèles de programmation (MP) sont largement utilisés dans l’analyse des effets des politiques agricoles et le marché sur les systèmes de culture, la consommation en eau d’irrigation ainsi que d’autres variables économiques liées à l’exploitation agricole (Hazell and Northon, 1986). Le principal avantage du modèle MP est sa capacité à étudier plus précisément l’influence des politiques au niveau de l’exploitation. De ce fait, la programmation mathématique s’avère une technique adéquate de résolution des problèmes d’optimisation sous contrainte, c’est-à-dire, des problèmes où un décideur souhaite optimiser une certaine mesure de satisfaction en choisissant un ensemble d’activités et sous certaines conditions externes.

C’est pendant la deuxième guerre mondiale que la programmation linéaire a pris naissance. Elle a été développée à des fins militaires et a été appliquée, pour la première fois à l’analyse économique de l’agriculture par Heady. Il s’agit d’une procédure mathématique de recherche de l’extremum (minimum ou maximum) d’une fonction linéaire sous un ensemble de contraintes linéaires (Hazell et Norton, 1986).

La programmation mathématique linéaire (PML) est un cas particulier de la modélisation où la fonction ‘objectif’ et les contraintes techniques sont spécifiées de manière linéaire par rapport aux variables de décision. L’approche linéaire offre l’avantage d’être plus facile à résoudre que les approches non linéaires. De plus, cette spécification linéaire permet de borner le nombre de paramètres à calibrer à (m+1) fois le nombre de variables de décision, où m représente le nombre de contraintes techniques. La PML représente des technologies de production de type Leontief; les paramètres des contraintes techniques de production s’interprètent alors comme des coefficients inputs outputs.

Cependant, cette approche ne permet généralement pas de reproduire exactement les prises de décision observées des agriculteurs, sauf si des contraintes techniques très sévères «figeant» le modèle sont introduites. Par ailleurs, la simulation de scénarios avec la PML entraîne soit aucun changement, soit des «basculements» importants dans les décisions des agriculteurs. Autrement dit, les modèles de PML produisent des résultats discontinus et peuvent conduire à des spécialisations extrêmes des exploitations agricoles dans certaines productions (Chantreuil et Gohin, 1999).

Les limites de la PML ont été déjà mentionnées à plusieurs reprises. De nombreuses études de programmation mathématique ont donc cherché à dépasser ce genre de problème, ce qui a donné naissance à la programmation mathématique positive.

Pour résoudre les problèmes de spécification et de changements importants dans les assolements rencontrés avec les modèles de PML, la programmation mathématique positive (PMP) s’impose. En effet, la résolution de ce genre de spécification des contraintes techniques est de représenter indirectement ces dernières dans la fonction ‘objectif’. Dans la pratique, une fonction de coût de production (Arfini et Paris, 1995) ou des fonctions de rendement à l’hectare (Howitt, 1995) ou encore des fonctions de coût et de rendement (Barkaoui et Butault, 1999) sont spécifiées pour «résumer» dans un cadre statique ces autres contraintes techniques.

La raison principale de l’utilisation des modèles PMP est d’éviter les différences entre la situation actuelle de base et la simulation ainsi que de reproduire le comportement des agriculteurs sur la base des données quantitatives qui peuvent influencer le processus de prise de décision au niveau de l’exploitation agricole. Cette méthode de calibration PMP, proposée par Howitt (1995), est largement utilisée pour la calibration des modèles de productions agricoles et d’approvisionnement à plusieurs niveaux, à savoir, le niveau exploitation, régional et sectoriel.

La technique PMP a été utilisée dans des travaux empiriques, mais elle a été précisément formulée dans les travaux récents d’Howitt et de Paris (Howitt, 1995; Arfini et Paris, 1995). Elle est basée sur une optimisation non linéaire où certains paramètres sont issus des décisions d’allocation des surfaces de l’agriculteur. Deux avantages importants émergents dans les analyses appliquées: la non linéarité de la fonction objectif permet une réponse lisse aux perturbations des paramètres contrairement aux programmes linéaires où les solutions basculent d’un coin à l’autre du polygone formé par les contraintes du modèle. D’autre part, l’utilisation de l’allocation des surfaces observée dans l’année de base permet de construire des modèles avec moins d’informations statistiques sur le fonctionnement des exploitations que dans les modèles traditionnels, information qui est souvent non disponible ou non observable. Plusieurs études ont permis de tester et renforcer ce type de programmation.

La PMP consiste à considérer que l’allocation choisie par l’exploitation agricole et observée par le modélisateur est une allocation optimale, c’est-à-dire qui maximise son profit étant donné ses contraintes. Ainsi, les données observées peuvent servir de base à la calibration des paramètres spécifiés dans la fonction de coût de production. Généralement, seules les données d’une année de référence sont prises en compte par le modélisateur pour calibrer de manière déterministe ces paramètres. Cette procédure de calibration garantit que le modèle reproduit l’allocation de la terre et les volumes produits de l’année de référence. Un autre avantage de la PMP réside dans la spécification non linéaire, par rapport aux variables de décision, de la fonction de coût de production. Le profit de l’exploitation agricole est alors également non linéaire par rapport aux variables de décision. Dans ce cas, les profits marginaux à l’hectare, qui déterminent l’allocation optimale de la surface totale, sont fonction des surfaces allouées à chaque culture. Cette spécification non linéaire assure un comportement «lisse» du modèle.

Travaux antérieures de modélisation économique à l’échelle internationale

Les modèles économiques sont le plus souvent énoncés sous forme de modèles de programmation mathématiques. Dans ce sens et pour une meilleure valorisation et conservation des ressources en eau, plusieurs approches ont été développées. Burt (1964, 1966 et 1967) a été l’un des premiers à travailler sur les eaux souterraines et les problèmes de gestion économique de ces ressources. Il a abordé l’allocation temporelle des ressources en eaux souterraines à l’aide de la théorie de la décision séquentielle en maximisant les profits nets actualisés dans le temps pour calculer le taux d’extraction d’eau optimale pour chaque année. Ce travail a fournit le cadre général qui a ensuite été approfondi par d’autres auteurs. Un autre exemple est le travail fourni par Anderson et al., (1983) qui a utilisé un modèle d’évaluation du stockage des nappes afin d’approcher le changement des eaux souterraines dans l’espace et le temps au niveau d’un bassin en Californie et à même discuter les options de privatisation de la gestion des ressources des eaux souterraines dans ce bassin.

Un effort de recherche notable d’intégration de la modélisation économique et hydrologique a été rapporté par Noel et Howitt (1982) qui ont intégré une fonction économique de bien-être du second degré dans un modèle conjonctif multi-bassin. Howitt s’est inspiré des études de Burt et a travaillé sur un modèle de programmation dynamique pour développer un modèle linéaire quadratique de control optimal (LQCM) de la gestion combinée des ressources en eau et qui intègre des données hydrologies et économiques. Ce modèle permet de déterminer l’allocation optimale des ressources en eau dans le temps et l’espace.

Lefkoff et Gorelick (1990) ont utilisé l’approche ‘modélisation par compartiment’ pour simuler l’interaction des paramètres des flux d’eau des aquifères, des paramètres de changements de salinité. Aussi, les fonctions agronomiques ont été combinées en un modèle d’optimisation à long terme pour déterminer les quantités d’eau souterraine à pomper et les applications d’eau de surface pour les plantations.

Booker et Young (1994) ont présenté un modèle d’optimisation non linéaire pour la rivière du Colorado. Ce modèle inclut les relations complexes de l’approvisionnement en eau, l’équilibre des eaux de surface, les nœuds des barrages et des réseaux électriques ainsi que les nœuds des zones de desserte.

Tsur (1990) et Provencher (1994) se sont concentrés sur la nature spécifique des eaux souterraines stockées qui sont utilisé lorsque les eaux de surface deviennent rares. Tsur (1990) a traité le rôle tampon des eaux souterraines dans le cadre d’une approche de modélisation statique. Il a établit une distinction entre deux concepts de l’eau souterraine; le premier vise à augmenter la moyenne globale de l’approvisionnement en eau et le second permet d’atténuer les fluctuations de la disponibilité des eaux de surface. Il a montré que la valeur des eaux souterraines augmente l’incertitude de l’offre de l’eau de surface.

Tsur et Graham-Tomasi (1991) ont appliqué l’approche entamée par Tsur (1990) et ont conclut que la valeur élevée des eaux souterraines est dû particulièrement au rôle tampon que joue les eaux souterraines par rapport aux eaux de surface. La valeur de l’eau souterraine a été calculée par Gemma et Tsur (2007) pour un district de l’eau en Inde. Knapp et Olson (1995) ont traité aussi la recharge artificielle des aquifères par une utilisation conjonctive ou combinée des ressources en eau. Provencher et Burt (1994) ont utilisé un modèle stochastique pour une gestion conjonctive ou combinée de l’eau dans lequel ils ont intégré une variable aléatoire pour l’approvisionnement en eau de surface dans un modèle de nappes interdépendantes. Ils ont comparé les simulations de ‘Monte Carlo’ et la ‘série de Taylor’ pour l’appréciation des politiques optimales pour le pompage des eaux souterraines et ont constaté que les résultats des deux méthodes sont très similaires. Smith et Roumasset (2000) ont développé un modèle de gestion combinée qui est flexible dans le temps et l’espace et peut intégrer plusieurs sites de demande et de transfert d’eau.

Dans les études de la gestion combinée de l’eau déjà citées, les eaux souterraines et de surface différent du point de vue de quantité, temps et disponibilité. De ce fait, les deux ressources sont parfaitement substituables. Cependant, l’aspect de la qualité de l’utilisation combinée de l’eau a été rarement analysé du point de vue économique. Roseta-Palma (2006) a appliqué un modèle d’utilisation d’eau combinée qui traite la qualité de l’eau de surface et souterraine. Elle a mis en place une approche statique qui permet de comparer deux ressources en eau de qualités différentes, où la qualité de l’eau utilisée pour l’irrigation est la moyenne pondérée des deux ressources.

McKinney (1999) a distingué entre deux types d’approches de modélisation, l’approche par compartiment ou bloc et l’approche dite holistique. L’approche par compartiment est caractérisée par une structure exogène où les deux modèles hydrologique et économique sont exécutés séparément mais connectés par un fichier d’échange de données. Le modèle dit holistique, par contre, incorpore les deux structures hydrologique et économique dans un modèle endogène où la demande et l’offre de l’eau sont résolues simultanément.

En examinant ces différents travaux effectués à l’international, on constate que la majorité de ces études ont traité les ressources en eau séparément sans tenir compte des autres activités directement liés à la ressource eau, cela d’une part. D’autre part, d’autres auteurs ont analysé les ressources en eau de surface indépendamment des ressources souterraines et ont écarté la relation et la complémentarité qui existe entre ces deux ressources. L’analyse de la gestion de l’eau à l’échelle d’un bassin nécessite d’autres approches plus complexes du fait qu’il faut tenir compte des différentes caractéristiques hydrologiques et des demandes en eau des différents usagers au niveau du bassin.

Travaux antérieures de modélisation économique à l’échelle nationale

Au niveau du Maroc, de nombreuses recherches et études ont été entreprises dans le cadre de travaux académiques de recherche ou de projets pour accompagner la décision politique matérialisée par les différents programmes d’économie et de valorisation des ressources en eau. On distingue entre plusieurs groupes d’outils ou méthode d’approche qui ont traité la thématique de l’allocation optimale et la valorisation de l’eau.

Le premier type d’outils est basé sur l’approche filière. L’ensemble de ces études a permis de mesurer les différences de valorisation de l’eau des cultures irriguées. Ces études ont permis aussi d’évaluer la rentabilité globale des productions agricoles irriguées puisque, en plus de la valorisation directe au niveau de l’exploitation agricole, elles ont inclus les effets d’entraînement amont et aval des cultures irriguées. De même qu’elles ont mis en évidence la différence entre la rentabilité privée et la rentabilité sociale des cultures irriguées et ont comparé la compétitivité internationale de ces cultures. D’autres auteurs ont même questionné l’hypothèse souvent admise de la correspondance entre la compétitivité internationale et une meilleure valorisation de la ressource surtout lorsque les cultures orientées vers les exportations sont moins intégrées dans l’économie nationale.

Alors que ces travaux ont permis d’approfondir la réflexion sur l’allocation de l’eau dans l’agriculture, ils ont tous souffert des limitations imposées par une telle méthode. En effet, une telle méthode ne tient pas compte des contraintes institutionnelles, de disponibilité des ressources ou d’accès à la technologie au sein des exploitations agricoles. De même qu’elle ne tient pas comptes des possibilités de substitution ou de complémentarité et des dépendances des décisions de production et d’allocation des ressources dans des systèmes de production intégrés.

Le deuxième type d’outils est basé sur les méthodes de modèles de ferme et l’optimisation. Les travaux ayant adopté cet outil ont permis de dériver économiquement les fonctions de demande de l’eau d’irrigation des différents types d’exploitations agricoles selon les situations et de calculer les prix économiques (Shadow prices) pour orienter la tarification de l’eau au niveau d’un périmètre d’irrigation donné. Ces travaux ont permis de mettre en évidence le problème de l’asymétrie de l’information et la difficulté de mettre en œuvre une tarification incitative unique pour des exploitations agricoles hétérogènes au niveau d’un périmètre irrigué. Une tarification publique unique devient, donc, une décision arbitraire de partage de la rente dégagée par l’eau une fois les charges de mobilisation sont couvertes puisque, le plus souvent, le prix économique privé des producteurs est largement supérieur au tarif public de l’eau.

Le troisième type d’outils utilisés s’apparente à la méthodologie dite de modélisation sectorielle appliquée au secteur agricole. Les modèles économiques développés dans ce sens ont permis de démontrer les différences de la valorisation de l’eau et de prix économiques entre les différentes zones agro-écologiques. Cependant, ces modèles, bien qu’ils intègrent les possibilités de substitution entre les cultures qu’ils ont relativement détaillées par types d’irrigation et par zones agro-écologiques, ils ont conduit à des résultats limités. En effet, basés sur l’équilibre partiel et n’intégrant pas les autres secteurs de l’économie nationale, ces modèles ne permettent pas d’évaluer l’ensemble des valeurs ajoutées générées par l’utilisation de l’eau d’irrigation, ainsi que les effets d’interaction entre les filières agricoles et le reste de l’économie.

Le quatrième type d’outils est connu dans la littérature scientifique sous l’appellation de modèles d’équilibre général calculables (MEGC). Dans le cas du Maroc, plusieurs variantes de ce type d’outils avec des niveaux de désagrégation plus ou moins poussés ont été appliquées pour étudier différentes problématiques posées par l’agriculture irriguée. Les plus connus de ces travaux ont porté sur l’évaluation du Programme National d’Irrigation et la définition d’une stratégie 2010 de développement rural et l’étude de la tarification de l’eau d’irrigation.

L’ensemble de ces travaux ont mis en évidence les liens entre les instruments de politiques globales et l’allocation des ressources en eau d’irrigation au niveau régional comme au niveau micro-économique. De même qu’ils ont permis une meilleure évaluation de l’impact des instruments de la politique économique et de clarifier la problématique de l’allocation de l’eau. Cependant, ils ont tous été limités par le manque de données détaillées par bassin versant, qui constitue l’unité naturelle de la gestion de la ressource eau. De même que la nature de ces outils ne permettait pas une spécification adéquate des contraintes biophysiques spécifiques à chaque bassin versant et la prise en compte des interrelations sectorielles qu’impose toute gestion décentralisée par bassin versant.

Le cinquième type d’outils concerne les travaux sur les modèles de bassin (river basin model) initié au niveau international par Cai (1999), Resegrant (2000) et Ringler (2004). Le modèle adopté dans ces travaux est un modèle intégré de gestion économique de l’eau au niveau du bassin versant. Cai (1999) a développé un prototype d’un modèle holistique hydro-économique de bassin qui a été appliqué à un bassin en Asie centrale. Sa contribution a été très importante puisqu’il a incorporé plusieurs aspects agronomiques, hydrologiques et économiques au niveau du modèle de base. Ce modèle a servi de base pour les autres applications qui ont suivies, notamment le modèle qui a été développé par Rosegrant au niveau du Bassin ‘Maipo’ qui en plus de refléter la dynamique d’interaction entre les composantes économiques, hydrologiques et agronomiques du bassin, le modèle a traité aussi l’aspect environnemental par l’introduction d’équation d’évaluation de la salinité de l’eau.

Les travaux entrepris au niveau du Maroc et qui adoptent cette méthodologie, ont porté sur plusieurs bassins versants représentatifs des différentes situations régionales, en termes de rareté de la ressource eau, de niveaux de fourniture d’eau et d’orientation des systèmes de productions. Heidecke et al., (2008) se sont basés sur le même type de modèle pour évaluer la politique du prix de l’eau dans la vallée de Drâa. Un modèle récursif dynamique a été appliqué pour évaluer l’impact du changement des disponibilités en eau souterraines sur l’usage de l’eau dans le bassin. Ils ont conclus que le prix de l’eau souterraine stabilise les disponibilités en eau et le niveau d’eau au niveau de la nappe dans le temps. Cependant, ce modèle contient plusieurs imperfections qui peuvent influencer les résultats. En effet, ce modèle maximise la marge brute au lieu de la valeur ajoutée sachant qu’il est agrégé par zone agricole. De même que quelques problèmes de programmation au niveau des rendements entre culture irriguées et non irriguées ont été relevés (Elame et al., 2012).

L’apport de ces travaux est indéniable puisqu’il a permis l’identification des besoins en données et en travaux de recherche complémentaires nécessaires à l’élaboration de modèles applicables dans le cas du Maroc. Beaucoup plus important, ces travaux ont permis l’identification des axes de développement de ces modèles pour permettre de disposer d’outils d’aide à la prise de décision suffisamment fiables, fondés sur des bases scientifiques solides et répondant à des besoins révélés des décideurs.

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DU BASSIN SOUSS-MASSA DANS UN CONTEXTE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le secteur agricole

L’agriculture est un des secteurs piliers de la zone de Souss-Massa. Il s’agit du premier usager de la ressource eau avec plus de 80% des besoins de la zone. L’irrigation utiliserait ainsi actuellement un volume brut d’environ 1043 Mm3/an d’eau, dont 763 Mm3 d’eau souterraine et 280 Mm3 d’eau de surface. Le rapport de ce chiffre à la demande agricole totale (994 Mm3/an) est d’environ 95% (ABHSM 2011).

La figure 1 donne l’évolution de l’usage agricole des ressources en eau entre 2001 et 2007. Il ressort de ce graphe que le volume global d’eau à usage agricole a augmenté. La demande en eau de surface à tendance à diminuer. Ceci peut être expliqué par la diminution des apports en eau au niveau des barrages suite à la succession des années de sécheresse. Cette demande croissante en eau sera satisfaite par le recours intensif aux eaux souterraines ce qui justifie l’augmentation de l’usage de l’eau souterraine entre 2001 et 2007. En effet, la surexploitation des nappes, accompagnée de la réduction des ressources renouvelables suite à la succession des années de sécheresse, s’est traduite par un déstockage des réserves non renouvelables. On note aussi que les volumes prélevés dépassent de loin les ressources renouvelables. Ceci a entraîné des déficits importants dans le bilan des nappes. Le déficit annuel varie, pour la nappe du Souss, entre 100 Mm3 et 370 Mm3 pour la période 1968-1994. En 2007, ce déficit s’élève à près de 268 Mm3. La nappe de Chtouka, qui était considérée en équilibre connaît un déficit très important évalué à 58 Mm3 en 2007, qui est l’équivalent de deux fois et demi ses ressources renouvelables.

Impact des changements climatique

Le climat de la région est à prédominance aride. Les températures moyennes annuelles varient entre 14°C sur le Haut-Atlas au Nord et 20°C sur l’Anti-Atlas au Sud. La température maximale journalière peut atteindre 49°C et la température minimale descend jusqu’à -3°C.

Durant les 20 dernières années, les précipitations sur la région du Souss-Massa ont présenté une grande variabilité spatiale et temporelle. Les valeurs moyennes annuelles varient de 600 mm au Nord, sur les sommets du Haut-Atlas, à 150 mm au Sud sur la partie orientale de l’Anti-Atlas. La plaine reçoit environ 200 mm de pluie.

La figure 2 donne un premier aperçu chronologique des périodes successives de la sécheresse depuis les premières décennies du vingtième siècle. Ces données ont été générées par l’étude de l’Agence des Bassins Hydraulique du Souss-Massa (ABHSM, 2005). Nous remarquons qu’il existe trois périodes différentes: une période de précipitations importantes qui a duré environ 16 ans entre 1955 et 1971, une période équilibrée entre 1941 et 1954 et une période composée de quatre sous-périodes de sécheresse dont les trois dernières sont successives. Ces dernières ont un impact considérable sur les réserves en eaux aussi bien de surface que souterraines.

La zone de Souss-Massa a fait l’objet de plusieurs études et projets traitant les questions liés à l’eau et l’atténuation des impacts des changements climatiques. Ces projets ont permis de créer une base de données importante sur les ressources en eau et les impacts prévus des changements climatiques. Par ailleurs, ils ont discuté l’impact de quelques scénarios du GIEC sur les apports en eau au niveau des oueds et des barrages. L’effort qui a été fournie par l’agence du bassin hydraulique en terme de gestion des ressources en eau est considérable puisqu’il a permis de déceler le besoin en matière de recherches scientifiques et techniques.

Cependant, la majorité de ces projets et les études qui leurs sont liées n’ont pas bénéficié d’une vision intégrée de l’impact des changements climatiques sur les ressources en eau ainsi que les autres secteurs qui sont liés de manière directe ou indirecte à la ressource en question. Dans ce contexte, il s’avère important, voire même urgent, que la zone se dote d’outils de gestion et de planification intégrée des ressources en eau de surface et souterraine et des impacts prévus des changements climatiques.

Il s’avère donc que la gestion des ressources en eau dans le bassin du Souss-Massa est très complexe suite à plusieurs facteurs. De part son contexte naturel et l’aridité de son climat, le bassin versant du Souss-Massa est un espace vulnérable et difficile à gérer. L’impact des variations climatiques indiquées par la sécheresse qui sévit périodiquement dans cette région, ajoutés à l’irrégularité habituelle des pluies et des cours d’eau, expliquent la raréfaction de la ressource et le recours à l’exploitation massive des nappes. Le schéma ci-dessous explique les différents facteurs qui influencent la gestion de l’eau dans la zone.

Le cycle global de l’eau du bassin du Souss-Massa fonctionne sous des pressions naturelles, économiques et humaines. La multiplication de ces facteurs nécessite une gestion intégrée qui doit permettre simultanément d’assurer la conservation et la pérennité de la ressource en eau, d’augmenter la productivité agricole de l’eau, de répondre aux demandes croissantes des autres usages et de préserver les besoins des écosystèmes afin de contribuer à la protection de l’environnement (Figure 3).

CONCLUSION

Le recours à la modélisation économique s’est imposé comme approche fondamental pour comprendre et illustrer les questions d’ordre économiques, politiques et agricoles. Pour une meilleure valorisation et conservation des ressources en eau, plusieurs approches ont été développées. L’apport de ces travaux est très important puisqu’il a permis l’identification des axes de développement des modèles économiques. De même, ces travaux ont relevé les besoins en données et en travaux de recherche complémentaires pour permettre de disposer d’outils d’aide à la prise de décision plus fiables et mieux adaptés au contexte physique et socio-économique.

L’analyse de l’état actuel des ressources en eau au niveau de la zone montre qu’il y a un déséquilibre important entre l’offre et la demande en eau avec un déficit annuel moyen de 300 Mm3 enregistré au niveau des deux principales nappes de la zone Souss et Chtouka. On note aussi que les ressources de surfaces sont très irrégulières et limitées avec un apport annuel moyen de 650 Mm3.

Eu égards à ces constats, il est indispensable pour la zone de Sous-Massa de disposer d’une approche intégrée de gestion des ressources en eau, en vue de gérer et d’organiser la répartition et le contrôle de l’utilisation des ressources en eau et d’en assurer également la protection et la conservation.

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