Résumé

Le présent travail a pour objectif de procéder à une série de mesures de l’efficience de transport d’eau dans des séguias en terre faisant partie des réseaux d’irrigation des périmètres de la Petite et Moyenne Hydraulique de Chichaoua Amont et de Jorf situés respectivement dans les provinces de Chichaoua et Errachidia. Le travail a également consisté en une analyse granulométrique d’échantillons représentatifs de sols composant chaque séguia. Les mesures ont concerné cinq séguias dans le périmètre de Jorf (Tafilalet) et 3 séguias dans le périmètre de Chichaoua Amont. Les mesures de l’efficience de transport de l’eau dans ces séguias ont été effectuées selon la méthode du débit entrant-sortant. Le jaugeage des débits a été réalisé à l’aide d’un micro-moulinet hydrométrique dont le principe repose sur la mesure de la vitesse d’écoulement dans différentes sections mouillées des séguias. Les résultats des mesures ont montré que les pertes par infiltration, dans les deux séguias en terre du périmètre de Chichaoua, varient en moyenne entre 36 et 50 % tandis que dans le périmètre de Jorf, les tests effectués ont révélé des pertes en eau moyennes dans les séguias en terre, comprises entre 52 et 69 %. L’écart entre les pourcentages maximaux de pertes enregistrées (50 % et 69 %) est dû à la différence dans les textures des sols composant les séguias en terre dans les deux périmètres. Ces sols sont caractérisés par une dominance des sables dans le cas du périmètre Jorf et des limons dans le périmètre de Chichaoua.


Mots clés: Irrigation, efficience de transport, infiltration, pertes d’eau, seguias en terre, mesure de débit.

INTRODUCTION

Le secteur de la Petite et Moyenne Hydraulique (PMH) contribue à une part non négligeable dans la production agricole. L’intensification de la mise en valeur dans les périmètres de PMH contribuerait à une meilleure couverture des besoins alimentaires du pays, à l’amélioration des revenus des agriculteurs dans des zones souvent marginales et à la fixation des populations rurales. En plus, l’aménagement des périmètres d’irrigation de la PMH est souvent considéré comme étant un levier vers un processus d’amélioration des infrastructures productives et sociales en milieu rural et peut constituer, de ce fait, une des voies privilégiées pour promouvoir le développement rural (Laith, 2008). Cependant, les périmètres de PMH sont caractérisés par l’utilisation d’équipements traditionnels et par un faible effectif d’irrigants (Pascon, 1984) et donc des infrastructures d’irrigation dans la majorité des cas, constituées de seguias en terre. Ces séguias engendrent beaucoup de pertes d’eau ce qui se manifeste par une faiblesse des productions agricoles d’une part, et l’impossibilité de l’extension de l’irrigation d’autre part.

A cet effet, l’amélioration de l’efficience des infrastructures d’irrigation traditionnelles devient une nécessité si on veut maintenir le rôle de la PMH comme levier du développement rural. Malgré les efforts déployés ces deux dernières décennies, le niveau des réalisations en PMH est en deçà des besoins en aménagement des périmètres traditionnels existants et des possibilités d’extension de l’irrigation dans le secteur de la PMH. Ceci pourrait être dû à la lourdeur des investissements d’une part et au nombre important des périmètres de la PMH d’autre part. A des fins d’illustration, il y a lieu de signaler que le diagnostic de la situation des aménagements dans les périmètres traditionnels de PMH a montré que sur un linéaire total de 25 000 km de canaux et de séguias existantes, 10% seulement des réseaux d’irrigation étaient dans un état de fonctionnement acceptable au début des années 2000 (El Bouari, 2004).

Aussi, ce diagnostic met en évidence le besoin urgent de réhabilitation de tous les périmètres qui n’ont pas fait l’objet, jusqu’à présent, d’aménagement hydro-agricole par l’État. C’est dans cette optique qu’on propose de conduire une recherche pour trouver une solution de réhabilitation des périmètres traditionnels de PMH. L’objectif est d’améliorer l’efficience de transport en utilisant des solutions adaptées et peu coûteuses. On propose, en effet, d’utiliser un matériau de revêtement autre que le béton: il s’agit de la solution du revêtement par le sol lui-même à condition que ce sol réponde à un certain nombre d’exigences en matière de cohésion et de limitation de pertes par infiltration. Non seulement cette variante engendrerait un investissement moins lourd que celui du revêtement au béton, mais on gagnerait aussi sur les frais d’entretien et de maintenance des canaux en terre.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Sites des essais

Les zones d’étude des périmètres de Chichaoua et Jorf sont situées respectivement dans les régions du Haouz et de Tafilalet (Figure 1). Pour le périmètre de Chichaoua Amont, les séguias étudiées sont: Attaicha sur 502 ml, Tarmest 2 en terre sur 284 ml et Tarmest 2 bétonnée sur 120 ml. Pour le périmètre de Jorf, les séguias concernées par les essais sont: Lkhtitira sur 150 ml, Lgdima sur 70 ml, El Alouia Hnabou sur 150 ml, Masref Lhaj Khlifa sur 150 ml et séguia Jdida bétonnée sur 300 ml. Le nombre total des sections de mesures s’élève à 31. Les débits transités par ces séguias sont compris entre 14 l/s et 78 l/s.

Jaugeage des débits

Le jaugeage des débits a été réalisé à l’aide d’un micro moulinet hydrométrique dont le principe repose sur la mesure de la vitesse d’écoulement dans différents points de la section mouillée de la séguia et dont les dimensions sont relevées sur place au niveau de chaque station de mesure. Toutes les séguias testées ont des sections trapézoïdales dont la section mouillée S (m²) est exprimée par:

Avec:

B: La largeur superficielle de la séguia (m);

b: La largeur du fond de la séguia (m);

et h: Le tirant d’eau (m).

Pour mesurer la vitesse de l’écoulement dans les séguias testées, le moulinet est positionné perpendiculairement à l’écoulement, puis la valeur de la vitesse affichée sur l’écran du moulinet est enregistrée. Pour la même section, trois mesures sont prises: au niveau de la surface de l’eau, au milieu et au fond de la séguia. La valeur moyenne est celle qui est prise en compte pour le calcul du débit Q (m3/s) à partir de l’équation:

Dans laquelle:

V (m/s) représente la vitesse moyenne de l’écoulement dans la section considérée;

S (m²) la section mouillée de la séguia.

Détermination des pertes par infiltration dans les séguias

La méthode utilisée est la différence entre le débit entrant et le débit sortant. Par cette méthode, les débits passant par deux sections amont et aval d’un tronçon donné sont calculés après avoir mesuré les vitesses d’écoulement dans les sections considérées moyennant l’utilisation du moulinet. Les pertes par infiltration Pi (%) dans le tronçon testé sont déterminées en fonction des débits amont Qam (l/s) et aval Qav (l/s) par (3):

Pi peut être également exprimé en termes de réduction de débit par unité de longueur de séguia (l/s.m) par (4):

L étant la distance qui sépare deux sections de mesures (m).

En termes de pourcentage de pertes par unité de longueur de séguia, Pi (% / m) est donné par la relation (5):

Un autre moyen d’exprimer les pertes Pi, est de rapporter la réduction de débit entre deux sections de mesure à la surface de la séguia mise en contact avec l’eau entre les deux sections considérées. Dans ce cas, Pi sera exprimé en (l/s/m² ou en m3/m²/j) suivant la relation (6):

W étant le périmètre mouillé de la section de mesure (m).

Détermination de l’efficience de transport dans les séguias

L’efficience de transport de l’eau dans les séguias, e (%), est liée aux pertes par infiltration Pi par (7):

Prise des échantillons et analyse granulométrique du sol

Des échantillons de sol ont été prélevés dans chaque séguia et mis dans des sacs portant chacun le nom de la séguia prospectée. Une analyse granulométrique de ces échantillons a été effectuée dans le laboratoire du Département des Ressources Naturelles et Environnement de l’IAV. L’objectif de cette analyse est de lier les pertes par infiltration à la nature du sol entrant dans la composition de la séguia en terre. Les analyses permettent d’obtenir la répartition en pourcentage des grains solides selon leurs dimensions. Deux types d’essais ont été effectués: Par tamisage pour les particules les plus grosses (> 80µm) et par sédimentométrie pour les particules les plus fines (< 80µm).

RÉSULTATS ET DISCUSSION

L’analyse granulométrique

L’analyse granulométrique des échantillons prélevés à partir de la terre des séguias concernées par les mesures d’efficience dans les périmètres de Chichaoua Amont et de Jorf, a permis de déterminer les proportions pondérales des grains de différentes tailles.

A partir de ces résultats, les courbes granulométriques des sols d’essai ont été tracées comme le montrent les figures 2 et 3.

Le report sur le triangle textural (Figure 4) des résultats obtenus sur les proportions des tailles des grains composant les sols des 5 séguias en question, a permis de classer les sols prospectés. Pour le périmètre de Chichaoua Amont, les sols composant les séguias Tarmest 2 et Attaicha ont la même texture, il s’agit de sols limoneux. Cependant, pour le cas du périmètre de Jorf, les sols relatifs aux séguias Lgdima et Lkhtitira sont limono-sableux, alors que ceux des séguias El Alouia Hanabou et Masref El Haj Khlifa ont une texture limoneuse.

En examinant les résultats de l’analyse granulométrique, il ressort que pour le périmètre de Chichaoua, l’échantillon représentatif de la séguia Tarmest 2 présente une texture équilibrée avec des proportions proches comprises entre 17,6 % et 19,5 % pour les fractions contenant le sable fin, le sable grossier, le limon grossier et l’argile. Seuls les limons fins s’écartent de cet intervalle par leur proportion qui atteint 25 %. Cependant, pour l’échantillon représentatif de la séguia Attaicha, il y a lieu de noter la dominance de la fraction relative aux limons fins qui atteint 42,2 % par rapport aux autres fractions qui présentent des écarts entre elles et dont le pourcentage varie entre 2,8 % pour les limons grossiers et 27,4 % pour les sables fins.

Dans le cas du périmètre de Jorf, l’analyse de l’échantillon représentatif de la séguia Lgdima permet de conclure que les sables fins sont les plus dominants avec une proportion de 58,9 %, les sables grossiers étant caractérisés par une faible proportion de 3,7 %. Pour le reste des fractions, à savoir les limons fins, les limons grossiers et les argiles, ils présentent des fractions relativement proches se situant entre 10,7 % et 13,5 %. Pour la séguia El Alouia Hanabou, l’analyse de son échantillon représentatif montre une dominance des sables fins dans une proportion qui atteint 47,5 % avec une proportion faible des sables grossiers soit 2 %. Quant aux autres fractions, le pourcentage varie entre 9,2 % et 24,3 %. Pour la troisième séguia Lkhtitira, son sol est caractérisé par une texture à dominance de sable fin dont le pourcentage atteint 51,7 % avec une faible proportion de sable grossier de 6,5%. Le reste des fractions engendre une proportion allant de 12% à 16,6%. En ce qui concerne la quatrième séguia, Masref El Haj Khlifa, on note la prépondérance des sables fins d’une proportion obtenue de 49,1 % avec un très faible pourcentage de sables grossiers de 1,9 %. Les fractions restantes se situent entre 13,4 % et 18,4 %.

Calcul des pertes par infiltration

Les tableaux 1 et 2 présentent les résultats des calculs des pertes par infiltration dans les séguias testées des périmètres Chichaoua Amont et Jorf, sur la base de la méthode du débit entrant-sortant. Les résultats sont exprimés en pourcentage de pertes déterminé pour chaque tronçon testé à part, puis le même pourcentage est calculé pour des longueurs de tronçons cumulées.

Dans le cas du périmètre de Chichaoua Amont, il ressort que pour la séguia Attaicha, les pertes par infiltration sont de l’ordre de 50 % pour un linéaire testé de 284 m soit en moyenne des pertes de 17,6 % par 100 mètres de séguia. A noter également que les pertes varient pour la même longueur testée. Ceci est illustré par les valeurs obtenues des pertes enregistrées au niveau des tronçons AB et BC dont les longueurs sont de 100 m chacun. En effet, les pertes par infiltration dans ces deux tronçons sont respectivement de 36 % et 16 %. Pour la séguia Tarmest 2 en terre, les pertes par infiltration sont de l’ordre de 36 % pour un linéaire testé de 502 m soit en moyenne des pertes de 7 % par 100 mètres de séguia. A titre de comparaison, des mesures d’efficience ont été effectuées sur la séguia Tarmest 2 bétonnée et les résultats ont donné des pertes en eau de 39 % pour un linéaire testé de 120 m. Ces pertes sont dues à la mauvaise étanchéité observée au niveau des vannettes des prises d’irrigation, qui, bien qu’elles soient fermées, laissent échapper un débit de fuite non négligeable.

Dans le cas du périmètre de Jorf, il apparaît que les pertes par infiltration sont de l’ordre de 57 % pour la séguia Lkhtitira et 69 % pour les séguias El Alouia Hanabou et Masref El Haj Khlifa, pour un linéaire testé de 150 m dans les trois séguias, soit en moyenne des pertes respectives de 38 % et 46 % par 100 mètres de séguia. Aussi dans ce cas, il y a lieu de remarquer que les pertes varient entre 19 % et 29 % pour la même longueur testée soit 50 m dans le cas de la séguia Lkhtitira. Pour la séguia El Alouia Hanabou, ces pertes se situent entre 27 % et 37 %. Alors que toujours pour le même linéaire testé à savoir 50 m, les pertes enregistrées au niveau de la séguia Mesref El Haj Khlifa sont comprises entre 28 % et 38 %. La séguia Lgdima, dont les mesures n’ont concerné qu’un linéaire de 70 m, les pertes varient de 12 % à 18 %. En guise de comparaison, des mesures d’efficience ont été effectuées sur la séguia Jdida qui est bétonnée et les pertes en eau enregistrées sont évaluées à 36 % pour un linéaire testé de 300 m. Ces pertes relativement grandes pour un canal bétonné, s’expliquent par la présence de fissures dans les parois de la séguia car entre les sections de mesure des débits, il n’y a pas de prises latérales qui pourraient éventuellement occasionner des pertes d’eau; d’autre part, la section hydraulique de la séguia est bien dégagée de sorte que toute hypothèse de pertes par débordement est à écarter.

La figure 5 représente la variation des pertes par infiltration en fonction de la longueur pour les séguias Attaicha et Tarmest 2 en terre. L’interprétation de ces courbes permet de conclure que les pertes par infiltration augmentent avec la longueur mais suivant deux taux de variation différents. Dans le cas de la séguia Attaicha, le premier et le deuxième taux sont respectivement de 0,36% et 0,07% par mètre linéaire. Cependant, pour la séguia Tarmest en terre, ces taux sont respectivement de 0,16% et 0,03% par mètre linéaire. Ceci veut dire que le taux d’accroissement des pertes diminue avec la longueur de la séguia ce qui s’explique mathématiquement par le fait que la branche de la courbe a tendance à être parallèle à l’axe des abscisses lorsque la distance augmente. Cette tendance de courbe paraît logique du moment que le débit subit une diminution continue le long de la séguia en terre, et par conséquent, le taux de pertes sera décroissant lorsqu’on longe la séguia de l’amont à l’aval.

La figure 6 représente la variation des pertes par infiltration avec la longueur pour les séguias Lgdima, Lkhtitira, El Alouia Hanabou et Masref El Haj Khlifa. L’analyse de ces courbes permet de conclure encore une fois que les pertes par infiltration augmentent avec le linéaire des séguias. Les deux taux de variation des pertes caractérisant chaque courbe sont 0,29% et 0,1% par mètre linéaire pour la séguia Lgdima, 0,4% et 0,32% par mètre linéaire pour la séguia Lkhtitira, 0,5% et 0,32% par mètre linéaire pour les séguias El Alouia Hanabou et Masref El Haj Khlifa. Ces valeurs montrent aussi que les taux de pertes diminuent lorsqu’on se dirige vers l’aval de la séguia. Ceci est dû à la diminution du débit avec la longueur de la séguia.

A des fins de comparaison avec les résultats d’autres travaux sur l’étude des pertes par infiltration dans les canaux en terre, il a été jugé nécessaire d’exprimer ces pertes aussi en termes de volume d’eau infiltrée par unité de surface de la séguia et par unité de temps (m3/m²/j). Les calculs ont été faits sur la base de l’équation (6). Les résultats des calculs sont représentés sur le tableau 3.

Récapitulatif des différentes pertes par infiltration en fonction de la texture du sol

Pour disposer de tous les éléments qui permettent de se situer par rapport aux recherches antérieures qui s’intéressent à l’évaluation des pertes par infiltration dans les canaux en terre, il a été jugé utile de présenter toutes les données pouvant aider à la comparaison avec d’autres travaux similaires. Pour cela, on présente dans le tableau 4 un récapitulatif des données concernant les différentes séguias testées à savoir: les textures des sols, les débits et les pertes par infiltration.

DISCUSSION

On peut rapporter le débit transité par une séguia donnée à sa surface de telle sorte qu’on obtienne le volume d’eau journalier perdu par unité de surface de la séguia, exprimé en (m3/m²/j). Cet indicateur est jugé le mieux approprié pour pouvoir comparer, sur les mêmes bases, les pertes par infiltration entre les différentes séguias étudiées. La figure 7 donne une représentation graphique de ces pertes en fonction des séguias.

Dans le cas du périmètre de Chichaoua, on remarque que les pertes par infiltration mesurées dans les séguias Attaicha et Tarmest 2 en terre sont évaluées respectivement à 16,8 et 24,4 m3/m²/j. C’est la séguia Attaicha qui occasionne le moins de pertes. Ceci pourrait être dû à la présence d’une proportion importante de limons fins dans le sol constituant la séguia Attaicha (42,2%), à comparer avec 25% dans le sol de la séguia Tarmest 2. L’autre raison est le débit d’alimentation qui est de l’ordre de 28 l/s dans la séguia Attaicha par rapport à 78 l/s dans la séguia Tarmest 2. Une troisième raison liée aux vitesses moyennes d’écoulement dans les 2 séguias qui sont dans un rapport de 1,5 (VTarmest= 1,5xVattaicha).

Dans le cas du périmètre Jorf, on observe que les pertes par infiltration enregistrées au niveau des séguias Lkhtitira et Masref Lhaj Khlifa sont respectivement de 38,7 et 39,2 m3/m²/j. Ces valeurs sont nettement supérieures à celles enregistrées au niveau des autres séguias du même périmètre dont les valeurs se situent entre 28,5 et 30,2 m3/m²/j. Les raisons pour lesquelles ces valeurs semblent être importantes pourraient revenir, entre autres, à la nature des sols composant ces 2 séguias. En effet, les 2 textures sont caractérisées par une dominance des sables (plus que 50%). Aussi, l’effet de la texture est conjugué à celui des caractéristiques hydrauliques de ces 2 séguias, marquées par des vitesses d’écoulement faibles favorisant plus de pertes par infiltration. Ceci est illustré par les valeurs des vitesses moyennes mesurées dans les 2 séguias en question à savoir: 0,35 m/s dans la séguia Lkhtitira et 0,22 m/s dans la séguia Masref Lhaj Khlifa. Les vitesses d’écoulement observées sont essentiellement dues, d’une part, à l’état des berges des séguias, qui sont couvertes de végétation et dont l’impact est d’engendrer des coefficients de rugosité faibles; d’autre part aux pentes du fond des séguias qui sont faibles.

Pour les séguias Lgdima et El Alouia Hanabou, on remarque que les pertes par infiltration sont évaluées respectivement à 30,2 et 28,5 m3/m²/j. La différence de ces valeurs par rapport à celles obtenues dans le cas des séguias Lkhtitira et Masref Lhaj Khlifa pourrait être expliquée par le faite que dans le cas de la séguia El Alouia Hanabou, le débit d’alimentation de la séguia est relativement faible (16 l/s), donc il faut s’attendre à moins de pertes que dans le cas des séguias Lkhtitira et Masref Lhaj Khlifa où le débit d’alimentation est situé entre 26 et 27,90 l/s. Quant à la séguia Lgdima, bien que son débit (25 l/s) soit proche de celui des premières séguias, les pertes par infiltration sont en deçà de celles enregistrées au niveau de ces séguias. Cette différence pourrait être attribuée à la profondeur initiale de l’eau à l’entrée de la séguia.

Les pertes par infiltration enregistrées dans les séguias en terre testées du périmètre Chichaoua sont comprises entre 36 et 50 % soit en moyenne 43 %. Ce résultat est proche de celui généré par les essais conduits sur les séguias en terre du même périmètre durant l’année 2013, et qui ont permis d’obtenir 34 % comme valeur de pertes en eau (Moumen et Ait Raiss, 2013). D’autres essais effectués dans la même année et dans le même périmètre ont permis de dégager un taux de pertes d’eau de 44 % mesurées sur un linéaire de 200 m (Radoui, 2013). En guise de comparaison avec les résultats de mesures similaires conduites ailleurs, les pertes par infiltration dans un canal en terre véhiculant un débit compris entre 20 et 60 l/s sont évaluées entre 3 et 8 l/s par 100 m (Smout, 2007; Abu-Gulul, 1975, cités par Ahuchaogu et al., 2015). D’autres investigations conduites au niveau de canaux en terre dans le bassin de l’Indus au Pakistan ont abouti à des taux de pertes de l’ordre de 66 % (Arshad et al., 2009). D’autres études concernant la comparaison entre les pertes en eau dans les canaux revêtus et ceux en terre ont montré que les pertes dans les canaux revêtus étaient comprises entre 5 % et 20 %, et se situent entre 25% et 70% dans les canaux en terre (Jafaid et al., 2012). La différence entre ces résultats et ceux obtenus dans la présente étude, en particulier au niveau des canaux bétonnés, pourrait être expliquée par la bonne qualité du revêtement (absence de fissures, étanchéité des joints), ce qui a permis de générer des pertes en eau faibles par rapport aux valeurs dégagées à partir des mesures effectuées sur les séguias revêtues dans les 2 périmètres étudiés. Néanmoins, un certain nombre de recherches réalisées sur les pertes par infiltration dans les canaux en terre en Inde, Egypte et Turquie ont révélé des valeurs relativement faibles de ces pertes atteignant respectivement les valeurs de 23% (Ambast et al., 1990), 20% (Mohamed et al., 1995; Dennis, 1999) et 27 % (Erhan et al., 2006), ce qui démontre la possibilité d’atteindre dans des canaux en terre des valeurs proches de celles obtenus dans des canaux bétonnés.

CONCLUSION

Les résultats présentés dans cet article indiquent que les pertes par infiltration ne dépendent pas uniquement de la nature des sols, mais d’autres facteurs à savoir: (i) le fonctionnement hydraulique des séguias dans lequel un certain nombre de paramètres hydrauliques interviennent tels que le débit, le tirant d’eau, la pente du fond et la rugosité; (ii) l’état des parois et du fond des séguias qui, dans le cas où elles sont mal entretenues, pourraient occasionner des pertes en eau, suite à la déformation de la section mouillée et au changement de la rugosité de la séguia qui résultent de l’envasement de la section et du développement des herbes dans le fond et sur les berges de la séguia.

Dans la majorité des cas, les courbes de variation du taux de pertes par infiltration en fonction de la longueur de la séguia ont presque la même allure, avec un taux de variation prononcé au départ des tronçons et qui diminue de l’amont à l’aval de la séguia.

Les résultats dégagés à partir des mesures sur les pertes par infiltration ont montré qu’il est difficile d’attribuer une seule valeur de l’efficience de transport d’eau dans les canaux en terre pour un périmètre de Petite et Moyenne Hydraulique donné. En effet, les pertes par infiltration dans les séguias en terre mesurées diffèrent d’une séguia à une autre au sein du même périmètre, bien que la nature du sol entrant dans la composition de la séguia soit presque similaire. Ces pertes varient même au niveau d’une seule séguia, ce qui pose le problème de la représentativité de cet indicateur pour un réseau d’irrigation traditionnel type PMH. En principe, les mesures sur les pertes par infiltration telles que conduites dans le présent travail, doivent être complétées par d’autres mesures entre les 2 extrémités de la séguia, à savoir, l’amont et l’aval. Cependant, il y a lieu de souligner que cette tâche n’est pas facile car il faut veiller à ce que toutes les prises d’irrigation entre l’amont et l’aval soient fermées. Ceci n’est pas évident du moment que les usagers de l’eau d’irrigation tiennent absolument au respect du tour d’eau.

Par ailleurs, cet écart entre les valeurs des taux de pertes par infiltration enregistrées au niveau des séguias en terre testées aurait comme intérêt d’éclairer les décideurs sur le choix des séguias prioritaires en matière de réhabilitation dans un seul périmètre ou le choix des périmètres qui seraient concernés en priorité par l’aménagement.

Les valeurs obtenues à partir des mesures effectuées dans les deux périmètres ont montré que les pertes par infiltration peuvent atteindre 69%, soit une efficience de 31%. On conclut donc que les pertes sont très importantes et pourtant ces séguias n’ont pas fait encore l’objet de réhabilitation. Ceci est du certainement à la non disponibilité des crédits nécessaires pour ce genre d’aménagement consistant en la réhabilitation des séguias en terre par bétonnage, qui est une solution coûteuse surtout que les linéaires à bétonner sont très importants si on compte toutes les séguias en terre existant dans l’ensemble des périmètres de Petite et Moyenne Hydraulique du Royaume. C’est dans ce sens, qu’il est temps de réfléchir à des solutions alternatives au bétonnage qui sont moins onéreuses et qui peuvent être réalisées facilement et rapidement en vue de rattraper le retard enregistré au niveau de la réalisation du programme annuel de réhabilitation des périmètres de Petite et Moyenne Hydraulique. Parmi ces solutions de substitution au bétonnage, on peut envisager le cas d’utilisation de la terre comme moyen de revêtement surtout que certaines investigations ont montré que parfois les pertes par infiltration dans un canal non revêtu peuvent être faibles comme l’indiquent les résultats obtenus à la lumière des essais d’efficience d’eau réalisés en Inde, Égypte et Turquie.

Il ressort des mesures effectuées sur le terrain que les séguias en terre sont mal entretenues. Ceci est illustré par l’existence d’irrégularités dans les sections hydrauliques offertes à l’écoulement, ce qui est traduit par des vitesses parfois très faibles qui favorisent l’infiltration des eaux, et par la suite plus de pertes en eau. L’existence de la végétation dans certaines sections des séguias est considérée comme étant un facteur qui augmente la rugosité, créant plus de résistances à l’écoulement et entraînant ainsi une réduction des vitesses dans ces sections.

De ce qui précède, on peut avancer que la réduction des pertes par infiltration dans les séguias en terre peut être assurée en agissant à quatre niveaux: (i) en procédant d’abord au recalibrage de la séguia par l’adoption de pentes de fond des séguias supérieures aux pentes actuelles, ce qui va engendrer des vitesses moyennes d’écoulement plus fortes que les vitesses actuelles. De cette manière, on pourrait assister à des pertes en eau inférieures; (ii) en redimensionnant la section hydraulique sur la base du principe de la section la plus avantageuse dans laquelle le périmètre mouillé sera minimal. Ainsi, pour les mêmes valeurs des débits, on réduit la longueur de contact entre l’eau et la séguia, ce qui permettra de minimiser les pertes en conséquence; (iii) en effectuant de façon périodique des opérations d’entretien des séguias en vue de garantir une hydraulicité capable d’assurer toujours les débits issus des droits d’eau existants; (iv) en proposant un type de revêtement à base de matériaux locaux qui doit être en mesure de garantir le moins de pertes par infiltration et une section stable.

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